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Faire l'« unité » germano-française

L'adversité européenne d'aujourd'hui appelle à une « fusion » de nos deux pays. Il faut foncer, en multipliant les projets communs. Les autres suivront.

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 8 mars 2018 à 14:31

Le 14 juin 1940, en pleine débâcle, le général de Gaulle est envoyé à Londres par Paul Reynaud, président du Conseil. Il est reçu immédiatement par Winston Churchill à qui il parle d'un projet « inouï » : la « Anglo-French Unity » (1). Il s'agit d'un texte de cinq pages préparé par les anglophiles français de Londres, dont Jean Monnet, et les francophiles britanniques, qui proposent rien de moins qu'une fusion des deux pays tant que dure la guerre. Le but est de préserver la souveraineté française malgré l'occupation allemande jusqu'à ce que « les ressources infiniment supérieures des empires et des Etats-Unis apportent la victoire ». Le projet n'aura pas de suite ; en France, Paul Reynaud démissionne. On connaît la suite.

Ce petit rappel pour dire qu'aujourd'hui, début mars 2018, la France et cette fois-ci l'Allemagne sont bien seules. Les périls sont historiques. Extérieurs : les empires chinois et américains se rient de l'Europe, ils se moquent de ces petites contrées qui s'acharnent à vouloir faire route ensemble sous le principe d'un pays-une voix malgré toutes leurs évidentes différences. Eux, en tiennent aux nations et au retour du rapport de force, ils s'arment militairement et, c'est nouveau, commercialement, comme Donald Trump pour qui la guerre protectionniste « est facile à gagner ». Intérieurs : pour la première fois depuis 1958, un pays va sortir de l'Union, l'amie d'hier, la Grande-Bretagne. Le projet européen est si délité qu'il est rejeté par les peuples. Les scrutins montrent les uns après les autres que l'état d'esprit s'est inversé, l'union ne fait plus la force mais la faiblesse.

La France, avec un président proeuropéen affirmé, croit qu'une relance est indispensable et urgente. Elle a fait des propositions en matière de défense, de sécurité, d'immigration, un budget de la zone euro, une agence pour l'innovation et des listes transnationales pour l'élection au parlement de 2019. L'Allemagne s'est dotée d'un gouvernement de coalition et d'une chancelière qui entendent aussi relancer l'Europe. La composante sociale-démocrate est pleinement d'accord avec la stratégie française, sinon avec toutes les propositions. Pourtant...

Pourtant, les pays de l'Est européen ont en majorité basculé dans le souverainisme et ils ont engagé une bataille pour une Europe a minima. Pourtant, la Commission, par crainte pour ses prérogatives, n'est pas allante sur les projets français. Pourtant, le parlement traîne les pieds ; le Parti populaire européen (PPE, le groupe de la droite à Strasbourg) s'est opposé aux listes transnationales, marquant un immobilisme intégral et déterminé pour la suite. Pourtant, huit pays du nord (Pays-Bas, Irlande, Danemark et pays de la mer Baltique) en appellent à la « vigilance » sur les ambitions de relance. Pourtant, l'Italie, partenaire toujours fiable, a voté pour des partis eurosceptiques.

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La relance est-elle morte avant sa naissance ? La France et l'Allemagne ne sont pas tout à fait isolées, mais, Belgique, Espagne, Portugal les rangs sont clairsemés. Le projet de relance, déjà en soi politiquement très difficile et institutionnellement très complexe, intervient dans un contexte d'hostilité. Alors même que ses résultats dépendront de la radicalité des changements, le risque est grand qu'ils soient écornés, amendés, limés, désarmés. L'opinion en sortira définitivement désabusée.

Tant pis, sans doute. Mme Merkel et M. Macron n'ont pas le choix. Dans le défilé, les chariots vont subir la pluie de flèches des Indiens embusqués mais, l'histoire commande, il faut avancer, en priant la déesse Europe.

Il est une autre solution, ou plutôt une voie contournée complémentaire : l'« unité germano-française ». L'adversité appelle à une « fusion » entre les deux pays d'autant plus étroite que celles à 19 ou à 27 seront lentes et sans consistance. Foncer, prendre les Indiens de vitesse, de là viendra le salut pour les deux chariots de tête et les autres suivront. Concrètement, cela signifie qu'il ne faut pas trop compter sur les projets qui, soit dépendent des débats intercommunautaires, soit relèvent du budget de la zone euro. C'est d'ailleurs le flanc faible des propositions d'Emmanuel Macron que d'être trop « traditionnellement françaises ». Un gros budget, dit-il, mais pour financer quoi ? Des régions en mal d'autoroutes ou de piscines que leur gouvernement refuse ? Il faut bien entendu consolider l'euro, par exemple comme l'imaginent les économistes franco-allemands (des nouvelles règles de Maastricht, un mécanisme de sauvetage bancaire, un dispositif de restructuration des dettes…). Mais l'idée d'une « fusion » serait double.

D'abord, affirmer crânement la covolonté d'avancer très loin et très vite pour écraser le scepticisme et l'immobilisme. Ensuite innover en attachant moins d'importance à la macro (à effet différé) qu'à la micro plus concrète et plus facile à mettre en place à deux. Les deux Etats pourraient encourager toutes les initiatives de toutes sortes par des règles fiscales et sociales harmonisées à très bref horizon. Donner une réalité au capitalisme rhénan contre la finance américaine. Mettre en place une véritable union de financement pour monter des outils d'épargne et des fonds souverains franco-allemands. Imaginer une politique industrielle commune (espace, Internet, génétique), à commencer par une forte incitation aux mariages binationaux du type PSA-Opel.

En résumé, une politique par l'effet de souffle. Emmanuel Macron la pratique en France. Il lui faut embarquer Angela Merkel parce qu'à eux deux cette voie de l'« unité » est sûrement la moins périlleuse et la plus marquante pour l'histoire.

(1) Marc Ferro, « Histoire de France », Odile Jacob.

Eric Le Boucher

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