Grosse coalition, maigre satisfaction
Angela Merkel a enfin réussi à forger une majorité parlementaire. Mais ses difficultés révèlent le grippage d'une mécanique constitutionnelle jusqu'ici très efficace. De quoi inquiéter les Allemands, mais aussi tous les Européens.
L'Allemagne devrait bientôt avoir un nouveau gouvernement. Plus de trois mois après les élections législatives, les deux grandes forces politiques qui se partagent la chancellerie depuis près un demi-siècle sont enfin tombées d'accord pour former une « Grosse Koalition ». Leurs dirigeants en ont l'expérience : c'est la quatrième fois depuis l'après-guerre. Mais ils ne vont pas vite pour autant. Les délégués du SPD, le parti social-démocrate de centre gauche, se prononceront sur les 28 pages du compromis le 21 janvier. Cette étape devrait poser peu de problèmes, tant l'appareil du parti a senti passer le vent du boulet le 24 septembre dernier avec le plus mauvais score de son histoire et nombre de députés élus de justesse. Mais le vote des 430.000 membres du SPD en février est plus incertain. Et même s'il est positif, les négociations avec la CDU d'Angela Merkel ne devraient pas aboutir avant Pâques.
Une belle mécanique enrayée
Cette marche longue et incertaine n'est évidemment pas un drame dans un pays à la politique apaisée et à l'économie prospère. Mais c'est un signe de plus de l'usure des institutions politiques dans les pays avancés. L'Allemagne avait jusqu'à présent une mécanique constitutionnelle particulièrement efficace. Une démocratie parlementaire avec des députés élus au scrutin nominal et un Bundestag néanmoins composé à la proportionnelle, un verrou bloquant l'entrée au Parlement des partis recueillant moins de 5 % des voix, un autre verrou interdisant la censure du chancelier sans proposer un successeur… Ce « parlementarisme rationalisé » a permis de vraies alternances politiques, la formation de majorités durables et l'adoption de profondes réformes dans une perspective de long terme. Très loin de la cohabitation quasi-permanente aux Etats-Unis, de l'instabilité chronique de l'Italie, de la brutalité stérilisante au Royaume-Uni ou d'un jeu souvent anémiant entre exécutif, législatif et administratif en France.
Outre-Rhin, la fragmentation des partis enraye la belle mécanique. Avec sept partis aujourd'hui présents au Bundestag, la formation d'une majorité commence à ressembler à une gageure, comme l'a vécu la pourtant chevronnée Angela Merkel en échouant dans une première tentative avec les Verts et les libéraux en novembre dernier. Le programme de coalition CDU-SPD est très conservateur sur les questions de politique intérieure, à l'inverse des apparentes avancées sur le versant européen. L'alternance devient plus rare et cette raréfaction va sans doute gonfler le nouveau parti qu'est l'AfD, avec ses détestables relents d'extrême-droite. Tout ceci constitue un vrai risque pour l'Allemagne. Et pour l'Europe.
Jean-Marc Vittori