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Investisseurs chinois : pourquoi l'Europe doit mieux les surveiller

Face à l'appétit grandissant de la Chine pour les actifs européens, l'UE, sous la pression de Paris, Rome et Berlin, veut se doter d'un instrument de protection. Mais, les Etats membres se déchirent entre eux sur cette vision.

Li Shufu, directeur général de Geely, a créé la suprise en s'invitant dans le capital de Daimler, maison mère de Mercedes Benz
Li Shufu, directeur général de Geely, a créé la suprise en s'invitant dans le capital de Daimler, maison mère de Mercedes Benz (NICOLAS MAETERLINCK / AFP)

Par Richard Hiault

Publié le 22 mars 2018 à 10:00Mis à jour le 22 mars 2018 à 10:01

Le 24 février dernier, l'opinion publique allemande est stupéfaite. Au pays roi de l'automobile, elle s'émeut de l' entrée d'un milliardaire chinois dans le capital de Daimler. Li Shufu à la tête du constructeur Geely révèle l'acquisition de 9,6 % des parts de la maison mère de Mercedes-Benz et Smart. Il devient, par la même occasion,son premier actionnaire. Brigitte Zypries, la ministre allemande de l'Economie, s'emporte. Pour elle, cet achat ne doit pas être « une porte d'entrée pour servir la politique industrielle d'autres Etats ».

Nous sommes ouverts aux partenaires commerciaux

Quelques heures plus tard, Angela Merkel tempère. Elle ne voit aucune « infraction » dans cette opération. « Nous sommes ouverts aux partenaires commerciaux », insiste la chancelière. Certes. 

Il n'empêche. Les acquisitions européennes par des investisseurs étrangers, en particulier chinois, commencent sérieusement à inquiéter les leaders politiques de l'Union européenne. Et l'affaire Daimler reflète une fois de plus une ambition mondiale croissante des entreprises chinoises. Rien qu'en 2016, les flux d'investissement chinois vers l'Europe ont totalisé 75 milliards d'euros d'acquisitions soit  autant que lors des dix années précédentes.

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Les achats chinois en hausse

Les acquisitions chinoises défrayent régulièrement la chronique. En 2016, la Grèce vend au chinois Cosco, le Port du Pirée. L'année précédente, c'est le groupe industriel italien, Pirelli, qui passe sous pavillon chinois. En Allemagne, le rachat du fabricant de robot, Kuka, en 2016 suscite un vif émoi. Côté français français aussi,les opérations s'amplifient avec le Club Méditerranée racheté par Fosun, Accor qui a vu l'entrée de Jin Jiang en tant que premier actionnaire sans oublier Dongfeng, actionnaire important de Peugeot, . Récemment, les intérêts chinois se sont même élargis aux terres agricoles (dans l'Allier) ou viticoles (dans le Bordelais et la Bourgogne). Ce qui inquiète Emmanuel Macron qui a annoncé la mise en place prochaine de « verrous réglementaires » sur de tels achats.

Renforcement francais 

« Ouverture ne veut pas dire pillage de nos technologies, de nos compétences, de nos savoir-faire », a tempêté au début de l'année le ministre des finances, Bruno Le Maire, en annonçant que de nouveaux secteurs (stockage de données, intelligence artificielle) seraient soumis à une autorisation préalable de l'Etat pour la validation d'un investissement étranger. Ils complètent la liste des secteurs déjà visés par Arnaud Montebourg en 2014 (transports, énergie, télécommunications, eau, santé, défense).

L'Europe veut pourtant rester ouverte aux investisseurs étrangers. Mais elle n'entend pas le faire à n'importe quel prix. Surtout si ces investisseurs sont chinois et que ses intérêts stratégiques sont en jeu. Une étude de l'Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE) parue fin janvier, souligne par exemple que « les opérations de rachats d'actifs étrangers par les acteurs chinois se sont intensifiées ces dernières années marquant la volonté des entreprises […] d'acquérir des compétences ou des technologies ». Pour l'Observatoire, l'expansion chinoise a suivi trois étapes qui ont progressivement intensifié la menace industrielle pesant sur les économies occidentales. Dans un premier temps, commercialement, la Chine conquiert des parts de marché. Dans un second temps, Pékin oblige le transfert de technologies pour les entreprises étrangères désireuses de s'implanter en Chine. Aujourd'hui, nous assistons à la troisième étape : L'acquisition d'actifs à l'étranger qui n'est qu'un autre moyen de se procurer des technologies, des savoirs faire et des compétences.

Bruxelles va réagir

Face au rouleau compresseur chinois, l'Union européenne se doit de réagir sous peine de prendre le risque d'assister à un pillage en règle de ses compétences et de ses brevets, et voir peut être sa sécurité menacée. La décision de renforcer les règles serait d'autant plus justifiée que le marché chinois est loin d'être aussi ouvert que le marché européen. Mais, en matière de surveillance des investissements étrangers, non seulement l'Union manque  d'une approche commune mais ses vingt-huit Etats membres ne partagent pas la même vision. 

L'Union sans mécanisme unique

Les Etats-Unis disposent depuis 1975 d'un comité - le Committee on Foreign Investment in the United State ou CFIUS - chargé de donner son feu vert à toute acquisition d'actifs américains par un étranger. Une réforme du CFIUS est en cours afin d'en renforcer son champ d'application. Le Japon a aussi son dispositif. L'Australie et le Canada ont renforcé le leur en 2015. Même l'Inde et la Chine sont dotés de leur propre outil pour protéger leurs industries stratégiques. Dans l'Union, seuls douze Etats membres dont la France, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Espagne en ont un. 

Alliance entre Paris, Rome et Berlin

Afin de resserrer les mailles du filet, Paris, Berlin et Rome se sont alliés pour porter le débat au niveau de l'Union. Il y a un an, les trois capitales ont demandé à la Commission européenne de renforcer les règles dans le domaine. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a promis l'élaboration d'un cadre européen de filtrage. La partie s'annonce délicate. Pour l'heure, les travaux techniques ont commencé.

Auteur d'un rapport sur le sujet, Franck Proust, député européen (PPE) et membre de la commission commerce international du Parlement européen défend la création d'un tel mécanisme. Ses propositions seront soumises à cette commission du commerce le 22 mars prochain. « La naïveté face à la concurrence déloyale est terminée », écrit il.

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Le point d'étape de Cécilia Malmstöm

La Commission espère obtenir un mandat d'ici décembre prochain. « Notre but n'est pas une harmonisation. C'est un cadre de coordination et d'échange d'informations entre Etat membres sur les investissements étrangers. Libre à eux d'en faire partie ou non », détaille, à Sofia, fin février, Cécilia Malmström, la commissaire européenne au commerce. Les mailles du filet sont bien lâches.

Dissensions européennes

Plusieurs pays européens s'opposent en effet  à un tel filtrage. La Finlande, les Pays Bas, la Grèce et plusieurs Etats d'Europe de l'est, exception faite de la Lettonie, la Lituanie et la Pologne, n'y sont pas favorables. Et pour cause. L'initiative chinoise des « Nouvelles routes de la soie », vaste projet d'investissements dans les infrastructures à destination de l'Europe, s'accompagne de capitaux. Plusieurs pays de l'est ou du sud du continent, sont prompts à succomber aux sirènes de l'argent Chinois y compris dans les secteurs stratégiques. L'exemple de la Grèce et du port du Pirée en témoigne. Il est pourtant urgent d'agir et de privilégier l'intérêt européen avant l'intérêt national à court terme. A l'heure où les Etats-Unis s'engouffrent dans le protectionnisme, il ne faudrait pas que l'Europe devienne le dernier marché des entreprises chinoises en quête de savoir-faire. 

Richard Hiault

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