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Juger Macron sur le fond, pas sur la forme

CHRONIQUE. C'est triste, mais c'est ainsi : la petite phrase sur les « Gaulois » ou le dialogue avec un jeune chômeur occupent bien plus d'espace médiatique que des sujets majeurs sur la santé, la pauvreté ou l'école. Emmanuel Macron doit en tenir compte s'il veut continuer à transformer le pays.

Juger Macron sur le fond, pas sur la forme
(Capture d'écran)

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 21 sept. 2018 à 10:07

Quand le débat politique en viendra-t-il, enfin en France, à la substance ? L'affaire Benalla, la phrase surla phrase sur ou l'apostrophe d'un jeune horticulteur sans emploi à l'Elysée ont fait cet été couler des tonnes d'encre et animé tous les forums TV. La réforme de la lutte contre la pauvreté, celle de la santé, celle de l'école, celle en discussion sur les retraites passent quasiment inaperçues. Les médias en parlent un jour, sans guère de commentaires, puis passent à autre chose. Aimantés, ils en reviennent à la surface, au style, aux personnalités, aux petites attaques.

Pourquoi ? Pourquoi cet abaissement systématique du débat du fond sur la forme ? La première réponse est l'air du temps hyperventilé à l'âge des médias sociaux. Il faut des matchs, des flammes, des explosions. Les chaînes d'information en continu, en violente concurrence entre elles, cherchent des mots, des phrases, des expressions, des « moments », qui vont devenir viraux. La France n'est pas seule dans ce mouvement de transformer de la politique en jeu vidéo, le phénomène est général. Mais on peut déplorer une accentuation forte à Paris où la presse écrite générale a abandonné son rôle de référence. Elle l'a perdu notamment en se rangeant au principe du « puisque les autres en parlent, il faut en parler » même si « l'événement », trop superficiel, ne le mérite pas. Les chaînes en continu, depuis, donnent le « la ».

Ni idées ni experts

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La deuxième explication est le vide des logiciels politiques. L'opposition de droite comme de gauche n'a ni les idées ni les experts qui connaissent les sujets de la pauvreté, de la santé, de l'école. Qui sont les « shadow ministres de l'Education » que le PS ou Les Républicains seraient en mesure de mettre en face d'un Jean-Michel Blanquer ? Qui maîtrise autant que lui les études académiques mondiales sur la pédagogie ? Qui a autant d'expérience ? Ne parlons pas de La France insoumise, qui « sort » sur tous les thèmes, les mêmes quatre ou cinq figures dont la radicalité des propos est proportionnelle à leur ignorance du fond.

Air du temps, ignorance, la troisième raison est la suspicion. Emmanuel Macron pense que le modèle social français s'est abîmé parce qu'il n'a pas été réformé et qu'il s'est encroûté. Faute de courage politique, il creuse les inégalités au lieu de les réparer. Mais sa politique de réformes, de « transformation », se heurte au consensus français, solidement entretenu depuis trente ans, selon lequel ce modèle social national est ce qu'il y a de mieux et s'il s'est dégradé, c'est la faute de moyens budgétaires et humains insuffisants, c'est la faute de Bruxelles, c'est la faute du libéralisme. La réforme est antisociale et ne peut qu'être cela.

En finir avec ce consensus erroné oblige à un long travail de démolition. Le gouvernement n'y est que faiblement parvenu sur le Code du travail ; les Français attendent le résultat sur le chômage, il tarde. Il a réussi pour la SNCF : contrairement à 1995, les usagers n'ont pas soutenu les grévistes et ils n'ont rien contre la concurrence, au contraire. Il est en passe de réussir sur l'école : les Français ont commencé à admettre que la glissade dans les classements mondiaux relevait d'une défaillance interne au monde éducatif et qu'il était temps de le « réformer » pour le remettre à sa tâche d'enseigner des connaissances.

Le débat politique se focalise sur le style du président : il bouscule. […] Puisque les mots viraux détruisent sa pédagogie, il devrait se méfier de lui-même.

Les deux autres réformes de cette rentrée, la pauvreté et la santé, ont la même philosophie. Elles sont conformes au voeu présidentiel de « transformation ». Le plan pauvreté sort de la simple amélioration du sort de démunis par des aides plus généreuses pour les accompagner vers une réinsertion par le travail. L'idée n'est pas neuve (Michel Rocard), mais les moyens semblent là. Le plan santé met un terme à l'affrontement (en fait surjoué) des médecines libérale et publique et redessine avec finesse mais hardiesse leur coopération. Ces deux plans doivent encore faire l'objet de discussions, mais la ministre Agnès Buzyn aurait mérité pour l'un comme pour l'autre de vives félicitations : le modèle français est rénové. Le seul débat devrait porter sur leur coût non négligeable dans les conditions budgétaires que l'on sait.

Le débat politique se focalise sur le style du président : il bouscule. Ses apostrophes font de lui un donneur de leçons, il irrite, il fait naître des révulsions. Soit, puisque les mots viraux détruisent sa pédagogie, il devrait se méfier de lui-même. Mais il a raison de s'emporter contre les faussetés sociales françaises. Si Emmanuel Macron bouscule sur la forme, c'est qu'il veut transformer le fond. On ne peut que l'encourager à continuer.

Eric Le Boucher

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