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L'élection au Medef, un rendez-vous manqué

Confinée dans ses jeux d'appareil, l'organisation patronale s'apprête à élire son nouveau dirigeant dans l'indifférence quasi générale. Alors qu'un président pro-business vient de s'installer à l'Elysée, le contexte était pourtant favorable pour porter un discours moderne sur l'entreprise et la modernisation de l'économie.

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 15 juin 2018 à 08:45

L'élection à la tête du patronat français qui se déroule pour succéder à Pierre Gattaz est sans intérêt. C'est très dommage et très grave. Le monde est entré dans une phase de grands périls, le pays vit un moment historique de transformation de l'appareil politique, il devrait en être de même, en parallèle, du syndicat des entreprises. Mais la procédure est obscure, elle n'apparaît que comme une bataille de personnes et même désormais de mâles blancs, comme un entrelacs d'incompréhensibles jeux d'influence entre les provinces et Paris, et comme une compétition surannée entre des fédérations antiques au moment où le numérique fait sauter toutes les cloisons.

Cette élection a-t-elle un sens ? Les candidats opposent-ils des visions distinctes et fortes du rôle que doit jouer le Medef durant le siècle qui s'est ouvert ? D'une claire stratégie ? Bien malin qui peut le dire puisque la petite comptabilité électorale oblige les uns et les autres à en dévoiler le moins possible sur leurs projets pour ne s'aliéner aucune voix.

Couteaux sortis

Le scrutin est par excellence une élection en coulisses dans une époque où la crédibilité exige la transparence, où l'efficacité demande la vérité. Et maintenant que nous sommes, paraît-il, entrés dans la dernière ligne droite (ligne tortueuse serait plus approprié), voilà qu'il faut redouter que les couteaux soient sortis pour terminer « le carnage ». Le Medef sortira déchiré de cette élection quand l'union était primordiale.

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Candidat de premier plan

Le funeste paradoxe est qu'il y avait un candidat de premier plan, doté d'un parcours glorieux à la tête d'une des plus prestigieuses entreprises de France, à la fois inscrite dans un territoire profond et dotée d'une envergure planétaire, et qui proposait une vision française, européenne, humaniste, justement claire et forte. Las, Jean-Dominique Senard, PDG de Michelin, avait dépassé d'un poil la limite d'âge et l'organisation n'a pas cru nécessaire de revoir ses statuts. L'organisation a préféré s'entre-dévorer à plaisir. Nous y sommes.

Le plus grave est de voir le Medef passer complètement à côté de son temps. Ce n'est pas nouveau, certes. L'entreprise a toujours joué un rôle mineur dans l'histoire d'une France où le prestige est allé au monarque puis à la Révolution. Pour ne pas se faire taxer, mieux valait des richesses discrètes, d'où un retard permanent dans les technologies comme dans les esprits. L'exception a été courte sous le Second Empire, note Jean Peyrelevade (*). Dans « L'Etrange Défaite », l'historien Marc Bloch, passant en revue les multiples causes de la débâcle de 1940, accusait la bourgeoisie d'être « aigrie », jamais remise du Front populaire et qui « désespérant de ses propres destins avait fini par désespérer de la patrie ».

Vieille aigreur

En 2018, la bourgeoisie, les entreprises seraient-elles retombées dans ce travers national ? Aigreur, cécité, petitesse ? L'élection au Medef semble s'y complaire, elle manque une occasion historique. Après les assauts fiscaux et sociaux répétés des gouvernements successifs depuis Jacques Chirac, élevant la lourdeur des coûts et rigidifiant les codes, est venu le moment où, trop c'est trop, un reflux s'est mis en place avec le CICE sous François Hollande. Puis, miracle français, un candidat crânement pro-business a été élu à l'Elysée, il affirme sa ligne, au risque, on l'entend tous les jours, d'être accusé de manquer à sa gauche. Le Medef a, aujourd'hui, le choix entre saisir le basculement, le faire sien, pousser à l'investissement, l'embauche et l'optimisme, et, la vieille aigreur l'emportant, cultiver la crainte que le zéphyr ne soit que provisoire et réclamer, encore et encore, obsessionnellement, plus de baisse des impôts et des contraintes sociales.

Ramener la stratégie du syndicat patronal à une lutte incessante contre les charges et les lois est louper son temps.

Ramener la stratégie du syndicat patronal à une lutte incessante contre les charges et les lois est louper son temps. Le capitalisme est devenu schumpétérien, il offre des opportunités immenses, le monde patronal devrait se réorganiser en profondeur pour ne plus être que l'acteur et le promoteur de cette révolution-là, pour aider les startuppeurs, inventer comment faire pousser les licornes, pour être au-devant de la course à l'intelligence artificielle, etc. Un Medef non plus d'apparatchiks mais d'entrepreneurs. Le mal des entreprises françaises est la difficulté de grandir et la rétractation des exportateurs, on attendait des thérapies.

L'entreprise est appelée, dans ce siècle, à montrer l'exemple d'un collectif qui marie efficacité et humanité. Il aurait été digne d'en débattre.

Silence coupable

Plus grave encore est de louper les menaces de son temps. Elles grossissent devant nos yeux : l'Europe et le populisme. Le Medef est d'un silence coupable sur chacune d'elles. L'Europe, parce que se défait la construction des pères, accusée d'être le problème quand elle demeure la solution. Où sont les discussions des représentations patronales avec leurs homologues allemandes pour les convaincre de sortir de leur égoïsme mercantile ? Où sont les initiatives des patrons pro-européens, comme celles qu'on avait vues pour soutenir Jacques Delors, vers le marché unique puis la monnaie commune ? Pire que le silence du Medef est celui de l'Afep (les géants du CAC).

Montrer l'exemple

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Dénoncer le populisme est-il franchir la ligne politique interdite ? Est-il aller contre une inflexion sensible dans le petit patronat ? Mais justement ! Il serait urgent qu'au nom d'une idée de soi et de son avenir le patronat français s'engage contre ce mal destructeur de la raison économique elle-même. L'entreprise est appelée, dans ce siècle, à montrer l'exemple d'un collectif qui marie efficacité et humanité. Il aurait été digne d'en débattre.

(*) « Histoire d'une névrose, la France et son économie », Albin Michel, 2014.

Eric Le Boucher

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