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Chronique

L'introuvable démocratie des « gilets jaunes »

CHRONIQUE - La démocratie représentative a été construite sur la volonté de maîtriser l'impôt. Les « gilets jaunes » s'inscrivent dans une vaste remise en cause de cette forme de démocratie. Mais pour l'instant, on n'a rien inventé d'autre.

Le mouvement des « gilets jaunes » est difficile à saisir. Ceux que l'on entend dans la rue et sur les plateaux des médias réclament tout et son contraire.
Le mouvement des « gilets jaunes » est difficile à saisir. Ceux que l'on entend dans la rue et sur les plateaux des médias réclament tout et son contraire. (GUILLAUME SOUVANT / AFP)

Par Jean-Marc Vittori, Jean-Marc Vittori

Publié le 11 déc. 2018 à 08:37Mis à jour le 11 déc. 2018 à 09:27

Avec les « gilets jaunes », la démocratie est en question. Ce n'est pas que les « GJ » veulent l'abattre ou la confisquer. C'est tout simplement qu'ils en veulent une autre (du moins la grande majorité d'entre eux, pas les manipulateurs des extrêmes qui rêvent au grand soir). Leur mouvement rejoint ici une lame de fond qui se retrouve dans d'autres pays sous d'autres formes.

Tout et son contraire

Tout est parti d'une révolte contre la hausse des taxes sur le gazole. Est venue ensuite la revendication d'impôts moins lourds et plus justes. Puis l'expression d'une haine du président de la République, Emmanuel Macron. Or le contrôle de la recette publique est au fondement même de la démocratie, avec un jeu mouvant entre les gouvernants et le peuple autour de l'impôt. Pas la démocratie en général ou la démocratie athénienne, mais la démocratie représentative bâtie en Europe depuis des siècles.

Il faut bien sûr être prudent. Le mouvement des « gilets jaunes » est difficile à saisir. Ceux que l'on entend dans la rue et sur les plateaux des médias réclament tout et son contraire. Les catalogues de réclamations circulant sur les réseaux sociaux n'ont pas le moindre souci de cohérence. L'émotionnel l'emporte sur la logique. Et chaque commentateur plaque ses a priori sur cette réalité impalpable. Mais il semble bien que la question fiscale y joue un rôle majeur. Tout comme la contestation des élites - politiques, économiques, médiatiques.

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« Gilets jaunes » : qui ? pour quoi ?

Pouvoir fiscal

Pour comprendre ce qui se joue aujourd'hui, il est donc éclairant de remonter dans le passé, voir comment s'est organisée la relation entre le pouvoir et l'argent, entre le roi et l'impôt.

Cette histoire-là commence en Angleterre au XIIIe siècle, avec la signature par Jean sans Terre d'une charte. Les nobles en ont marre des impôts prélevés par ce roi qui les taxe à volonté après ses défaites militaires en France. Ils lui imposent la Magna Carta, créant un Conseil de 25 barons chargé d'encadrer le pouvoir fiscal du monarque. Le but est de limiter la puissance d'un homme seul par un pouvoir collégial.

La dépense publique augmente cependant au fil des siècles, pour cause de révolutions militaires . L'armée de métier émerge, la poudre rapportée de Chine sert à construire des armes à feu plus efficaces mais plus coûteuses que les épées d'antan, et il faut construire en face des forteresses à la Vauban pour résister aux boulets.

Vers la démocratie parlementaire

Comme il faut de plus en plus d'argent et donc d'impôts, il faut légitimer les prélèvements. Le Conseil devient peu à peu Parlement. En 1689, la Glorieuse Révolution anglaise engendre la Déclaration des droits qui renforce le Parlement. Lui seul peut créer des impôts et ses membres sont désormais élus (au suffrage censitaire).

En France, le roi garde les rênes. Mais début 1789, après de trop maigres récoltes, Louis XVI convoque les Etats généraux pour légitimer des hausses d'impôts : « Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour nous aider à surmonter toutes les difficultés où nous nous trouvons relativement à l'état de nos finances. » La Révolution commence. Le roi en perd la tête et la France prend à son tour une route sinueuse vers la démocratie parlementaire.

Poussée de la dépense publique

Cette forme de démocratie s'épanouit au XIXe siècle et triomphe au XXe. Le corps électoral s'élargit peu à peu (en France, il faudra attendre 1946 pour que les femmes votent). Cet élargissement s'accompagne d'une forte poussée de la dépense publique qui, de militaire au départ, devient administrative et sociale.

Les électeurs élisent leurs députés au suffrage universel, pour représenter officiellement non pas leur circonscription mais la nation. Dans un pays encore très rural, les électeurs choisissaient le plus souvent leurs députés dans la mince frange de la population qualifiée. Les paysans élisent des professeurs, des avocats, des industriels non parce qu'ils leur ressemblent, mais parce qu'ils portent leurs idées ou leurs intérêts.

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Eloignés de la moyenne

Mais cette forme de démocratie est aujourd'hui récusée. Les députés sont les personnalités politiques en lesquelles les Français ont le moins confiance . Dans un pays de mieux en mieux formé, ils n'ont plus le monopole de l'expertise. Dans un pays de plus en plus diversifié, ils s'éloignent fatalement de la moyenne. Et ils ne maîtrisent plus les finances publiques, à l'origine de l'institution parlementaire. Leur pouvoir sur le budget est devenu marginal.

Le président de la République est encore plus contesté. Si les Français aiment en élire un, ils adorent ensuite le haïr. Emmanuel Macron atteint ici des sommets. François Hollande comme Nicolas Sarkozy furent aussi profondément rejetés. Et si Jacques Chirac le fut moins, c'est seulement parce qu'il incarna l'inaction à la perfection.

Le rêve d'une autre démocratie

Les « gilets jaunes » s'inscrivent très exactement dans cette remise en cause de la démocratie représentative. Ils rejettent avec autant de vigueur les impôts et les élus. Ils veulent une autre forme de démocratie. Mais la confusion est grande. La rue n'est pas la foule, qui n'est pas la majorité, qui n'est pas le peuple. Dans son incapacité à désigner des interlocuteurs du gouvernement, le mouvement des « gilets jaunes » montre toute la difficulté de trouver une autre voie.

La démocratie directe n'est pour l'instant qu'un rêve. Jean-Jacques Rousseau nous avait prévenus : « Il n'y a pas de gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines » ( cité par l'historien Jacques de Saint Victor dans « Le Figaro »). Internet n'y change pas grand-chose. La démocratie du XXIe siècle reste à inventer.

Jean-Marc Vittori 

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