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Chronique

L'Italie de Matteo Renzi : modèle ou contre-exemple ?

Matteo Renzi a décidé de tourner le dos à la rigueur et annoncé une baisse d'impôts de 6,7 milliards pour les ménages cette année. C'est pain bénit pour la gauche anti-Valls. Mais l'exemple italien est-il le bon ?

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Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 18 avr. 2014 à 01:01

Pendant une semaine, la plus grande confusion a régné en France sur les fameux 3 % de déficit et beaucoup ont cru que le gouvernement avait renoncé à faire les 50 milliards d'euros d'économies budgétaires ou du moins qu'il allait les adoucir, y mettre des « délais ». Encouragé par les déclarations tortillées de Hollande, de Valls, de Sapin et de Montebourg, la gauche du PS a pensé que ça y était, elle l'avait emporté, les leçons de la déroute électorale ont été entendues, l'austérité était remisée en faveur d'« une politique de croissance », c'est-à-dire de distribution de pouvoir d'achat. Pendant cette semaine d'embrouillement, un renfort a été mis en avant par certains commentateurs : Matteo Renzi, le jeune et courageux chef du gouvernement italien, vient de faire demi-tour en abandonnant la funeste politique d'austérité en place depuis trois ans à Rome pour renoncer à l'objectif de 3 % et relancer la consommation par la distribution de 80 euros à tous les Italiens à bas revenu. Voilà le bel exemple ! La France ne doit pas s'engager dans la rigueur quand les autres y renoncent.

Puis pour les mêmes, patatras ! Berlin et Bruxelles refusent que la France obtienne un nouveau sursis pour ses 3 % de déficit. Du coup, la mise en oeuvre du plan d'austérité de 50 milliards devient incontournable. La France doit obéir au « Diktat », elle n'a plus d'autonomie, elle est mise sous la coupe des Allemands et des bureaucrates de la Commission. Quand le Premier ministre annonce, mercredi, les premiers et rudes détails du plan d'économies, Jean-Luc Mélenchon y va de son commentaire : « Valls n'est que l'huissier de Bruxelles. »

Cet épisode est catastrophique à tous les points de vue. Le gouvernement a réussi à créer de faux espoirs, à décevoir sa gauche, à entretenir l'idiote idée que l'austérité n'est faite que pour obéir à une Europe aveugle aux souffrances. A un mois des élections au Parlement de Strasbourg, bravo ! S'il fallait sauver le soldat extrême gauche en perdition depuis que ses idées sont mieux exprimées par l'extrême droite, le gouvernement, pourtant social-démocrate, ne pouvait faire mieux.

Manuel Valls a remis les choses dans le bon sens au nom de la « vérité » mendesiste : la réduction des déficits est nécessaire non à cause de l'Europe, mais parce que la France vit « au-dessus de ses moyens ». Son modèle de croissance, depuis trente ans, repose sur l'emprunt, il est subventionné, artificiel. Il est temps de dire la vérité : une économie n'est durablement solide que par la production de biens et de services rentables des entreprises qui doivent, en conséquence, avoir des marges assez fortes pour investir et embaucher.

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Le Premier ministre n'avait pas le temps de revenir sur l'exemple italien. Il aurait dû le faire parce que, précisément, on y voit un pays non pas « bon modèle », mais contre-exemple de ce qu'il faut faire. Matteo Renzi le valeureux chevalier qu'il faut suivre ? Il faut plutôt s'interroger pour savoir s'il n'est pas au contraire une résurgence du politicard italien traditionnel, de ceux qui, en France et en Italie, de l'école Chirac-Berlusconi, ont toujours reculé devant les difficultés et ont fait passer leur réélection avant l'impératif économique d'adaptation à la mondialisation.

Précisons, en s'empressant de dire qu'il ne faudra juger Matteo Renzi que plus tard, quand il aura levé, s'il les lève, toutes les ambiguïtés de sa politique. Le 60e chef du gouvernement italien depuis la guerre est arrivé après un putsch contre son prédécesseur, pour dire qu'il allait tout changer. Que la vieille politique était morte, qu'il n'y avait pas de tabous et que l'Italie « peut le faire », grâce au courage et au volontarisme. Il a annoncé, ce qui a plu aux anti-austérité français, une baisse d'impôts de 6,7 milliards d'euros pour les ménages à partir de mai.

Mais cette baisse ne va pas alourdir le déficit italien qui est, il faut le souligner, déjà sous la barre des 3 % (-2,6 % en 2014). Matteo Renzi va la compenser par une nouvelle baisse des dépenses publiques, une taxe sur les banques et une hausse des recettes de la TVA due à la croissance revenue (0,8 % cette année après -1,9 % en 2013). L'addition est en réalité encore très imprécise, d'où les critiques des économistes italiens : quelles économies ? quelles recettes de TVA ? quelles privatisations ? Surtout, Matteo Renzi n'a rien prévu du côté de « l'offre ». Non pas tant à cause de la compétitivité des entreprises, elle est bien meilleure en Italie qu'en France comme le prouve son excédent commercial (1 % du PIB contre un déficit de 3 % en France), mais à cause des autres freins à la croissance : innovations, marché du travail, concurrence, législations diverses.

Surtout, la dette italienne atteint 132 % du PIB. L'Italie modèle des anti-austérité ? Avec ce poids sur les épaules, Rome doit dégager tous les ans 5,3 % du PIB pour payer ses intérêts, elle doit faire plus encore pour commencer à la réduire. A l'échelle de la France, ce serait 100 milliards, plus du double de ce que paie Bercy, autant d'argent payé aux créditeurs, autant de moins pour « relancer » l'économie et financer le modèle social. Manuel Valls a parlé de perte de souveraineté : on en mesure outre-Alpes le prix.

L'austérité a un effet récessif, personne ne le nie. Il faut être prudent et la France, sans doute, n'arrivera pas ex post à tenir des engagements maastrichiens. L'erreur du gouvernement a été de le demander ex ante, d'où le refus de Bruxelles. Il y aura un « délai » et si les réformes sont là, la Commission ne le pénalisera pas. Mais il faut expliquer aux Français que le stop au déficit et les 50 milliards d'économies sont indispensables au bénéfice de la croissance durable et de l'emploi.

Eric Le Boucher

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