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La résistible ascension du marché commun africain

L'Union africaine espère parvenir début juillet à mette en oeuvre une zone de libre-échange. Ce serait un pas important pour l'intégration économique du continent. Mais nombre d'obstacles demeurent encore. 

Par Jacques Hubert-Rodier

Publié le 18 juin 2018 à 11:35

Le contraste est saisissant. L'Amérique défait l'accord de libre-échange nord-américain et tourne le dos à l'accord de partenariat transpacifique. Donald Trump poursuit de façon obsessionnelle la destruction du multilatéralisme. Pendant ce temps, l'Union Africaine (UA) qui tient début juillet son 31e sommet à Nouackchott en Mauritanie , est décidée à faire avancer son projet de créer une « zone de libre-échange continentale » (ZLEC) de 55 pays africains. 

Après la signature d'un premier accord initial par 44 pays en mars dernier à Kigali, l'UA qui a lancé les premières négociations en 2012, espère que cette zone qui compte 1,2 milliard de personnes et ne pèse qu'un PIB cumulé de 2.500 milliards de dollars, légèrement supérieur à celui de la France, deviendra effective dès 2019.

Jamais depuis la création en 1995 de l'organisation mondiale du commerce (OMC), autant de pays n'avaient apposé leur signature sur un accord commercial. Dans un premier temps, ce traité régional vise à éliminer les droits de douane sur environ 90 % des biens échangés, libéraliser les services et réduire les barrières non tarifaires en Afrique. Dans un deuxième temps, les négociations porteront sur la question des investissements et la politique de concurrence.

Mais le décollage est lent et l'objectif de janvier 2019 sera difficile à tenir. Cinq pays ont ratifié le traité pour le moment sur les vingt-deux ratifications nécessaires à sa mise en oeuvre. L'Afrique du sud et le Nigéria, les deux principales économies du continent, n'ont pas signé l'accord à Kigali en mars dernier. L'Afrique du sud  se montre réticente, selon Falilou Fall, senior economist à l'OCDE, à une ouverture des frontières à la libre circulation des personnes. Mais l'Afrique du sud a néanmoins signé une « Déclaration de Kigali » soutenant la création de la ZLEC. « l'Afrique est un continent de marchands », avait d'ailleurs affirmé le président sud-africain Cyril Ramaphosa.

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Le Nigéria est un cas plus complexe. Le gouvernement doit négocier au préalable avec les syndicats inquiets de politiques trop libérales. Mais, affirme Patient Atcho, un porte-parole au département du commerce et de l'industrie de l'UA, Abuja devrait parvenir à signer d'ici à la fin de l'année.

«Les mécanismes existent déjà »

L'un des principaux arguments des promoteurs de la zone de libre-échange panafricaine est de répondre aux maux quotidiens de l'Afrique qui pèsent sur les échanges commerciaux entre pays et qui ont pour nom corruption, barrages routiers ou encore retards pour les transports de marchandises lors du passage des frontières. 

Ce commerce intrarégional reste relativement faible représentant 21 % du total du commerce africain (79 % avec le reste du monde), à comparer avec 61,7 % au sein de l'Union européenne ou encore 50 % pour l'Accord de libre échange nord-américain. Un niveau néanmoins plus élevé que celui du Mercosur (13,6 %) en Amérique latine ou du Caricom dans les Caraïbes (9,7 %), note dans sa chronique publiée par Project Syndicate Francis Mangeni, directeur pour le commerce et les douanes du marché commun de l'Afrique orientale et australe (Comesa). Cette différence avec l'Amérique latine s'explique, selon lui, par le projet de zone tripartite de libre-échange qui englobe, outre le COMESA, la communauté d'Afrique de l'est (EAC) et celle d'Afrique australe (SADC). A cette zone il faudrait aussi ajouter un organisme comme la CEDEAO (communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest), qui vise à une plus grande intégration monétaire et à créer une union douanière dans cette dernière région.

C'est du reste l'existence de ces zones qui permet d'envisager la création d'une alliance plus large. « Les mécanismes existent déjà », affirme ainsi Falilou Fall de l'OCDE. De plus, la faiblesse des échanges intra-africains est le reflet de la faiblesse des exportations de produits manufacturés. L'Afrique reste très largement dépendante de l'exportation de matières premières extractives, hydrocarbures, minerais, vers le reste du monde.

Perte de recettes budgétaires

L'initiative n'est cependant pas sans risques pour les Etats : en particulier celui de provoquer une baisse importante des recettes budgétaires. Les droits de douane sont en effet l'une des principales ressources financières des Etats en Afrique rappelle Alain Antil, responsable du Centre Afrique subsaharienne à l'Ifri . La question est donc de savoir comment ils pourront être compensés.La Zlec pourrait en outre avoir des conséquences négatives sur le commerce transfrontalier qui fait vivre des milliers de personnes aux frontières de certains pays 

Risque de déception

Surtout, cette future zone, si elle voit le jour,  risque de décevoir. Va-t-elle vraiment doper une croissance inégalement répartie sur l'ensemble du continent?  Contribuer à la diminution des inégalités sociales? Diminuer de façon sensible la population de 420 millions d'Africains vivant dans l'extrême pauvreté? Résoudre l'équation économique provoquée par une démographie galopante?

Il ne faut sans doute pas trop en demander à ce qui ne reste qu'un accord commercial.Mais  même si ses effets restent limités, il s'agit d'un pas  vers l'intégration du continent africain. Ce qui permettra aussi d'éviter une balkanisation de l'Afrique dont les frontières entre pays ont été dessinées par les anciennes puissances coloniales.

Jacques Hubert-Rodier (Editorialiste de politique internationale aux Echos)

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