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Le bitcoin, une étape logique de l'histoire monétaire

+ VIDEO. Souvent présenté comme une verrue financière, le bitcoin s'inscrit en réalité dans une longue histoire monétaire. En marquant le recul du centralisme, et donc de l'Etat.

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 17 janv. 2018 à 14:00

Michiel Van Aarnhem est un jeune et fringant conseiller du ministère néerlandais des Finances. Avec son ami Jason Halbgewachs, du ministère de la Justice, il a tourné une petite vidéo pédagogique titrée «  » qui leur a valu le premier prix d'un concours organisé par la Banque centrale européenne. En cent cinquante secondes, ils démolissent la cryptomonnaie : elle est bien trop volatile pour servir à mesurer la valeur, permettre des échanges ou épargner, les trois fonctions traditionnelles de la monnaie. Mais quand Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, leur a demandé ce qu'ils allaient faire des 4.000 euros du prix, il y a eu un couac : les gagnants ont dit… qu'ils allaient acheter du bitcoin !

A priori, le bitcoin et ses centaines de rivales qui envahissent les circuits numériques n'ont rien des vraies monnaies. Tous les spécialistes l'affirment, souvent avec un brin de condescendance. C'est « un actif spéculatif par définition », déclare par exemple Vitor Constâncio, le numéro deux de la BCE. Mais ces experts fort compétents auraient pu employer les mêmes arguments, il y a quelques siècles, pour ce qui est aujourd'hui le symbole le plus évident de la monnaie : le billet de banque (tous les arguments sauf un, sur lequel il faudra revenir).

Coquillages, or, argent

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En réalité, le bitcoin pointe un avenir monétaire possible, tout comme l'assignat à la fin du XVIIIe siècle. Un avenir qui reflète à la fois les bouleversements techniques, l'émergence de nouvelles institutions et les aspirations humaines.

La monnaie est née de l'envie des hommes et des femmes d'échanger des marchandises, il y a des milliers d'années. Il leur fallait du matériel rare, solide, petit. Ils ont donc choisi les coquillages, l'or, l'argent. Vers 600 avant Jésus-Christ, le roi lydien Alyattès fait frapper des pièces à son image, dont il garantit la valeur. Mais il n'est pas le seul. Des ligues de marchands fabriquent aussi leurs monnaies. Les cités grecques frappent bientôt des pièces à leur effigie (la fameuse chouette pour Athènes).

Les métaux précieux vont s'imposer. Des unités de poids, comme le marc ou la livre, deviennent des noms de monnaie. La vallée de Saint-Joachim, en Bohême, riche en mines d'argent, donne elle aussi son nom à une monnaie, le thaler (« thal » signifie « vallée » en allemand) déformé plus tard en dollar. En français, « l'argent » devient l'incarnation de la richesse.

Croissance bridée

Le règne des monnaies métalliques présente deux caractéristiques à garder en tête. D'abord, il n'a rien d'un monopole, même si les gouvernants tentent d'imposer leur ordre monétaire - comme Jean le Bon, qui créa le franc en 1360. Les devises sont en concurrence et il y a une « rue au change » dans chaque ville (ou un pont, comme à Paris). Rois et seigneurs trichent en rognant la quantité d'or ou d'argent de leurs pièces. « La mauvaise monnaie chasse la bonne », remarque le financier anglais Thomas Gresham au XVIe siècle.

Ensuite, la quantité de monnaie dépend des stocks de métaux précieux. Cette rareté fonde leur valeur. Mais c'est aussi une contrainte stupide. Au Moyen Age, la croissance est bridée par la quantité de monnaie disponible. A l'inverse, quand les Espagnols ramènent des centaines de tonnes d'or et d'argent des Amériques, l'Europe tout entière a un coup de fouet économique.

Le désordre monétaire commence à changer au XVIIe siècle. Conclus en 1648 pour mettre fin à d'interminables guerres de religion, les traités de Westphalie posent les fondations des Etats modernes qui montent en puissance. La monnaie en est l'un des symboles. La Banque d'Angleterre est créée en 1694 pour émettre des billets. Au XVIIIe siècle, l'Etat français, désargenté, tente à deux reprises de desserrer la contrainte financière en développant de la monnaie papier : le système de Law (1716-1720) et les assignats révolutionnaires (1791-1796). C'est la faillite chaque fois, car l'Etat imprime à tout-va et les Français perdent confiance. En 1803, le consul Bonaparte les rassure en ordonnant la frappe de pièces d'or de 20 francs, qui deviendront les « napoléons ».

Vidéo : Comprendre le bitcoin en 3 questions

Longue histoire de dématérialisation

Mais avec la croissance des révolutions industrielles, l'or et l'argent ne suffisent définitivement plus. L'économiste John Maynard Keynes parlera bientôt d'une «  » qui est « éloignée de l'esprit et des besoins des temps nouveaux ». Les billets vont s'imposer sous la houlette des Etats, tout comme la monnaie scripturale (celle qui est seulement écrite dans des registres puis des comptes électroniques). Le dernier lien de la monnaie avec le métal disparaît en 1971, quand le président américain Richard Nixon déconnecte le dollar de l'or. Pour renforcer la confiance dans la monnaie, les Etats se résignent à rendre leur banque centrale indépendante. En 1999, l'euro est créé sans la moindre référence métallique. Une grande première dans l'histoire monétaire.

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Le bitcoin n'est donc pas une absurdité monétaire. Sa valeur est supposée venir de sa rareté, comme celle de l'or. Et il s'inscrit dans une longue histoire de dématérialisation. La cryptomonnaie est au numérique ce que le billet de banque fut au papier. La comparaison va plus loin. Comme le billet de banque, elle favorise l'anonymat et plaît donc aux truands. Ses premiers pas s'accompagnent de volatilité et de spéculation. Comme l'assignat, le bitcoin risque, selon toute vraisemblance, de perdre pratiquement toute sa valeur. Mais les cryptomonnaies ont un bel avenir devant elles, tout comme en eurent les billets.

L'Etat hors champ

Il y a, bien sûr, une différence essentielle. Le billet de banque reflète un ordre monétaire très centralisé garanti par l'Etat. Il porte d'ailleurs la signature du président de la BCE dans la zone euro, ou celle du secrétaire au Trésor aux Etats-Unis. Par essence, la cryptomonnaie est aux antipodes de ce système. Sa valeur vient de sa rareté supposée. Elle est gérée sur un réseau informatique décentralisé, de pair à pair. La seule garantie dont elle puisse se prévaloir est la confiance que lui font ses utilisateurs. De quoi faire perdre leur latin aux habitués de la bonne vieille monnaie : l'Etat est hors champ.

Mais, au fond, ce n'est guère surprenant. D'abord parce que les technologies de l'information favorisent la décentralisation, les organisations « plates », peu hiérarchisées, la diversification, alors que les révolutions industrielles de l'énergie et de la production de masse exigeaient, au contraire, une centralisation poussée, de fortes hiérarchies et de l'uniformisation. Ensuite parce que les politiques « non conventionnelles » induites par les crises financières de ces dernières années se sont traduites par une forte création monétaire, qui a fragilisé la confiance dans les monnaies traditionnelles.

Le monde monétaire de demain pourrait ressembler à la concurrence du Moyen Age, avec des devises d'Etat, des cryptomonnaies, des monnaies locales, à la fois rivales et complémentaires. Ce n'est pas parce que c'est difficile à imaginer, et plus encore à réglementer, que cela n'arrivera pas.

Jean-Marc Vittori

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