Publicité
Décryptage

Le Mouvement 5 étoiles, précurseur des « gilets jaunes »

ANALYSE. Cinq ans après la percée électorale du Mouvement 5 étoiles (M5S) en Italie, le mode opératoire des « gilets jaunes » offre des similitudes frappantes avec le parti transalpin. Le scénario italien montre les risques majeurs liés à l'utilisation de Facebook comme instrument de cristallisation des revendications populistes.

Partisans du Mouvement 5 étoiles lors d'un rassemblement à Rome, le 2 mars 2018.
Partisans du Mouvement 5 étoiles lors d'un rassemblement à Rome, le 2 mars 2018. (Sipa)

Par Pierre de Gasquet

Publié le 12 déc. 2018 à 12:31

Remake d'une farce italienne incertaine ou nouvelle forme de révolte sociale post-démocratique ? Depuis plusieurs semaines, on n'a pas fini de s'interroger sur le caractère inédit du mouvement des « gilets jaunes », « défiant tous les canons de la mobilisation sociale ». Pourtant, vu de l'autre côté des Alpes, cette saga franco-française laisse une étrange impression de déjà-vu, voire de réchauffé. Nombrilisme français ?

Apolitique, « asyndical », symptôme d'un délitement social profond et d'une crise des corps intermédiaires… le mouvement gaulois offre de nombreuses similitudes avec le Mouvement 5 étoiles (M5S), fondé en 2009, à la différence près de sa dimension d'extrême violence dans les grandes villes.

« Rage antisystème »

Publicité

Au minimum, le destin semi-tragique du M5S, aujourd'hui englué dans une alliance contre-nature avec la Ligue de Matteo Salvini, devrait faire réfléchir sur les ressorts d'une révolte post-syndicale qui puise ses racines dans « la rage antisystème ». Et l'urgence de ne pas oeuvrer à la désagrégation des partis modérés face à la déferlante des populismes de tout poil.

« Mieux vaut Beppe Grillo que la révolution dans les rues ! Heureusement qu'il est là… » confiait un grand banquier italien en 2013, au lendemain de la première grande percée électorale du M5S. D'une certaine manière, Grillo a canalisé la rage en Italie.

L'absence d'un leader « charismatique » identifié est une des différences majeures entre le mouvement italien et celui des « gilets jaunes » en France. C'est loin d'être la seule. Même s'il a en partie ratissé à droite, auprès des déçus de la Ligue ou du parti de Silvio Berlusconi, le M5S est à l'origine beaucoup plus proche des Verts Allemands que du Front national. Il a largement recruté auprès des chômeurs et des employés avant d'élargir son bassin aux ouvriers en jouant sur la « peur des immigrés ».

Mais par-delà les différences locales, les ressemblances sont frappantes et le terreau est largement similaire. Le fondateur du M5S, Beppe Grillo, ne s'y est pas trompé en revendiquant clairement la paternité des grands thèmes de revendication des « gilets jaunes ». « Leurs thèmes sont les nôtres », a-t-il lancé au journal « Il Fatto Quotidiano » . Révolte territoriale, hétérogénéité des composantes , usage radical des réseaux sociaux, dénonciation des élites et des médias traditionnels : le mouvement attrape-tout des « gilets jaunes » offre de nombreuses similitudes avec le précédent italien. Jusqu'au choix de la couleur, largement présente aussi dans la bannière (jaune et blanche) du M5S.

Un des points communs les plus frappants est l'utilisation de Facebook comme principal instrument de mobilisation et de cristallisation des revendications, sur fond de critique radicale des médias traditionnels. Dès sa création en 2009, l'un des principaux ressorts du M5S sur le terrain a été l'usage massif et organisé des réseaux sociaux, et surtout de Facebook, comme coagulateur de revendications, sous l'impulsion du cofondateur et véritable « idéologue » du mouvement Gianroberto Casaleggio, décédé en 2016.

« Le M5S ne fonctionne pas comme un mouvement traditionnel mais comme PageRank de Google [l'algorithme qui classe les résultats de recherche en se basant sur la popularité des pages, NDLR]. Il n'a ni vision, ni programme, ni quelconque contenu positif », écrivait le politologue Giuliano da Empoli (ex-conseiller de Matteo Renzi) dans son éclairant essai sur le M5S, « La Rage et l'Algorithme » (*). « La machine du Mouvement est la traduction politique de Netflix et de Google. Elle capte les préférences des utilisateurs et leur donne exactement ce qu'ils veulent. »

« Silicon Valley du populisme »

Pour cet observateur endurci, l'Italie reste la « Silicon Valley du populisme » et le M5S la « première incarnation politique du maoïsme digital ». Cinq ans après son premier grand succès électoral, force est de constater que le mouvement créé par Beppe Grillo s'est laissé largement entraîner dans une spirale populiste délétère : un nouveau leader improbable, Luigi Di Maio, largement oblitéré par son allié d'extrême droite, Matteo Salvini, des élus fragilisés par leur amateurisme sur le terrain, et une dérive anti-européenne régressive.

Pour l'heure, la révolte des « gilets jaunes » a été accueillie comme du « pain bénit » par Matteo Salvini, l'homme fort de la coalition populiste italienne. Selon Federico Fubini, éditorialiste du « Corriere della Sera » , les « gilets jaunes » auraient même déjà accouché d'« un hybride entre le programme électoral de la Ligue et celui du M5S, sous stéroïdes ». Pour d'autres, le vrai danger serait, en revanche, une « renzisation » galopante d'Emmanuel Macron, sous l'impact d'une alliance mortifère entre les extrêmes. Un mauvais remake de « Nous nous sommes tant aimés »… 

(*) Giuliano da Empoli, « La rabbia e l'algoritmo : Il grillismo preso sul serio », Marsilio, 2017.

Pierre de Gasquet

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité