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Chronique

Le vide politique derrière le procès en démocratie

Le pluralisme serait menacé de disparaître, entend-on, une fois la très forte majorité de députés En marche installée à l’Assemblée. Au contraire, notre démocratie fonctionne à merveille : elle a viré tous les partis « sans solutions ».

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 15 juin 2017 à 17:17

Ainsi le pluralisme serait menacé de disparaître en France. La très forte majorité de La République En marche à l’Assemblée nous ferait basculer dans un régime du pouvoir absolu. Et les procureurs de plaider que l’abstention record fragilise, comprenez invalide, le résultat du scrutin : 32 % (score du premier tour) divisés par 2 (le taux de participation), cela donne seulement 16 % des Français qui auraient voté pour les candidats d’Emmanuel Macron. Absurde calcul pour des prétendus démocrates : qui nie le résultat de la démocratie et la nie elle-même.

Jean-Cristophe Cambadélis déplore « une immense fatigue démocratique ». François Baroin se drape : « Le débat est indispensable, les Français veulent de la clarté. » Marine Le Pen se lance : « Est-ce que vous voyez la tête que va avoir cette Assemblée nationale ? Plus de 80 % de députés macronistes. On ne pourra pas donner de leçons à la Russie. » Jean-Luc Mélenchon délégitime : « Demain, la France, ça ne peut pas être cette majorité de circonstance qui aura crû comme un champignon après la pluie. »

Des élections champignons hallucinogènes ? Une élection poutinienne ? Une élection opaque ? Une élection de fatigue ? La classe politique française en réalité ne comprend toujours pas ce qui lui arrive. Le succès d’Emmanuel Macron est trop rapide pour être vrai. Trop « chamboule-tout », comme dit Laurent Fabius, pour être réel. C’est un historique hold-up, une grande mysti­fication, une folle tromperie, bref ­forcément une atteinte à la démocratie.

La vérité est plus simple. Comme les personnages de bande dessinée qui vont au-delà de la falaise, la classe politique découvre le vide intellectuel sur lequel elle reposait. M. Cambadélis parle de fatigue, mais, oui, les Français sont fatigués d’un PS qui avoue benoîtement aujourd’hui qu’il lui faut « se repenser entièrement ». Il est bien temps. M. Baroin parle de « clarté ». Mais où est la clarté de son parti sur l’Europe, sur le libéralisme, sur la mondialisation ? Les Républicains se disputent, divergent franchement, ils n’ont d’idées claires sur rien. Quant aux extrêmes, Emmanuel Macron leur a réglé leur compte lors du débat télévisé. Il a écrasé Marine Le Pen, dont le programme s’est avéré vide. Il en aurait été de même s’il avait dû affronter Jean-Luc Mélenchon, dont le chavisme est beau comme l’antique communisme mais fou comme lui.

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De quelle pluralité parle-t-on ? Quelles idées mettez-vous en face de celles, travaillées depuis dix ans par Emmanuel Macron, accumulées dans les dizaines d’excellents rapports écrits depuis et qu’il a fait siens ? La classe politique française n’a, pour sa part, rien à dire de sérieux, d’étudié, de possible. Elle se limite au mieux à proposer, à chaque élection, trois prélèvements nouveaux et trois économies hésitantes. Seul François Fillon avait un programme « clair », pensé, libéral, de lutte contre « l’assistanat » qui paralyserait la France. François Baroin s’est empressé de le châtrer.

Soyons plus précis. Les quatre partis écrasés par La République En marche se divisent en deux camps : celui de l’impossible et celui du vide. L’impossible regroupe le Front national et La France insoumise. Les deux scrutins, présidentielle et législatives, démontrent que le vote en leur faveur reste un vote de protestation.

De rage pour le FN, de rêve pour LFI, mais c’est pareil. Les Français ont compris que rien dans leurs programmes respectifs n’est véritablement applicable, à commencer par la déterminante sortie de l’euro. Ils observent l’infernal casse-tête qu’est le Brexit. La preuve du faible crédit que leur accorde, au fond, leurs électeurs a été donnée au premier tour des législatives : l’abstention les a touchés en premier lieu. Ni Mme Le Pen ni M. Mélenchon n’ont d’idées pour sérieusement gouverner, le véritable champignon hallucinogène, c’est eux.

Le parti du vide est composé de LR et du PS. Le point de départ d’Emmanuel Macron vient du déchirement de ces partis sur toutes les grandes questions de l’heure, le fédéralisme européen, le libéralisme, le social, l’islam. Faute d’avoir tranché sur le fond, ils peinent à montrer une unité de façade et, en fait, ne songent qu’à la préservation des sièges. Les différends sont tels que l’issue de l’éclatement semble désormais inévitable. En Mozart du pied de biche qu’il est devenu, le président de la République s’y emploie.

Le vide vient d’un manque de travail sur tous ces sujets, mais aussi d’une fausse analyse fondamentale. Leurs différends internes se jouent à droite sur un « il faut être plus à droite » et à gauche sur le « il faut être plus à gauche ». Emmanuel Macron les prend de court par pur pragmatisme : qu’importe la couleur, il prend ce qui fonctionne. Il est pour la concurrence quand le marché est bien réglé, pour l’étatisme quand il l’est mal. Les commentateurs politiques s’y trompent quand ils décrivent un homme « ni gauche ni droite », alors qu’il est « et gauche et droite ». L’antique fracture de la politique n’est pas morte, au contraire, elle aura besoin de se ­renforcer pour redresser les excès du capitalisme.

Mais, pour l’heure, pour redresser la seule France en retard, le président en apporteur de solutions est l’homme de la situation. Et l’emballement pour En marche s’explique : le président rafle la mise auprès des classes supérieures et moyennes, qui attendaient exactement cela : du pragmatisme. Dans le même temps, les rageurs et les rêveurs, déçus par leurs candidats de l’impossible, s’abstiennent « pour voir ». La démocratie française fonctionne à merveille : elle a viré tous les « sans solutions ».

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