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Chronique

Le XXe siècle contre le XXIe

CHRONIQUE. A l'origine de la crise des « gilets jaunes », il y a le passage d'un monde à un autre. Une transformation inéluctable du capitalisme qui angoisse la classe moyenne et la pousse à se révolter.

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(Les Echos)

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 10 déc. 2018 à 14:51

Le siècle qui s'est ouvert va déjà à une telle vitesse que beaucoup, n'ayant rien vu venir, se retrouvent dépassés. Ils n'ont encore rien vu. Ainsi de l'écologie. L'humanité n'a encore qu'à peine bougé, mais elle va accélérer dans les vingt ans qui viennent parce qu'il s'agit de la survie du genre humain. La prise de conscience tarde mais elle va venir, la transformation sera irrésistible. La vague va monter, elle va brutaliser les modes de vie du XXe siècle, les habitats, les transports, la consommation.

Le peu qui a été fait amène par exemple en France à rehausser le coût du carbone par une taxe de 7 euros la tonne en 2010 à 45 euros en 2018, et à 100 euros en 2030. Il en coûtera 500 euros par personne et par an, selon Jean Pisani-Ferry (1). Et sans doute faudra-t-il en vérité aller plus haut plus vite. C'est indispensable, c'est irrémédiable, ce sera fait. Nous ne voyons que le début.

Brutale transformation

Ainsi du capitalisme. Le XXe siècle a gonflé et enrichi une classe moyenne, permettant à des millions de ménages occidentaux de connaître le confort d'une maison propre et chauffée, d'une alimentation saine et diversifiée, des loisirs et des vacances à l'autre bout du monde. Dans les années 1960 et 1970, les salaires du top management augmentaient moins vite que ceux du salarié de base. Les inégalités diminuaient.

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Le XXIe est caractérisé par l'inverse, par la décomposition de la classe moyenne . Les emplois « moyens » d'hier, qui bénéficiaient d'une promotion automatique par ancienneté, donnant à tous l'assurance d'une « carrière » fût-elle modeste, sont en train de disparaître au profit d'un bas où les métiers sont révocables, peu couverts par les systèmes d'assurance d'hier, mal payés mais exigeants en dévouement, et d'un haut où il faut être créatif à tout âge tout en étant obéissant. Le revenu médian stagne depuis 1980 aux Etats-Unis, les inégalités explosent.

La cause en est le basculement de l'industrie vers les services , où la productivité est plus faible, donc les salaires aussi. L'éclatement des usines et la mondialisation en ont été les moteurs, mais la technologie plus encore. Nous n'en sommes ici aussi qu'au début, l'intelligence artificielle devrait renforcer l'évidage de la classe moyenne.

Personne n'a trouvé comment arrêter cette transformation du capitalisme, elle est comme l'écologie, irrémédiable. Du moins pour l'instant. Il faudra pour y parvenir réinventer une coordination mondiale, cadrer la finance, transformer la protection sociale, comme ce fut fait au XIXe lors de l'entrée dans l'ère industrielle, mais cela prendra du temps, prévient Daniel Cohen (2).

L'angoisse de la classe moyenne

Cette brutale transformation des modes de vie qu'impose le XXIe siècle a fait émerger le populisme. Celui-ci a une seconde cause, l'immigration. Le mouvement des populations par-dessus les frontières pendant ce siècle est peut-être une transformation moins irrémédiable que les deux autres, elle est moins certaine. Mais le social et le culturel, le niveau de vie et le mode de vie, forment couple pour angoisser la classe moyenne.

En Grande-Bretagne, l'anxiété a conduit au Brexit . Aux Etats-Unis, elle a porté Donald Trump à la Maison-Blanche . En France, comme souvent dans l'Histoire, la révolte passe par la rue, et, innovation psychanalytique, par les ronds-points. Partout, le désespoir devant ce que chacun devine comme un avenir irrémédiablement noir pousse les partis populistes qui font croire qu'on peut préserver les modes du siècle passé, que la solution est d'y retourner.

Les 'gilets jaunes' n'arrêteront pas l'Histoire. Ils n'arrêteront que la France.

Les gouvernements responsables proposent l'inverse : la vitesse. La mise en mouvement pour obtenir les avantages - certains - d'un pays en avance. Mais ils sont très mal à l'aise parce qu'ils doivent avoir le pied sur l'accélérateur et « en même temps » sur le frein pour ramasser ceux qui tombent dans les virages. Emmanuel Macron est un pilote rapide, il voulait rattraper trente ans de retard français. Les « gilets jaunes » l'ont bloqué.

Cette crise montre la violence avec laquelle le XXIe siècle broie le XXe. Les victimes en « gilets jaunes », quoi qu'elles pensent gagner dans leur « victoire », n'obtiendront jamais assez pour conserver leur vie comme avant. Les « gilets jaunes » n'arrêteront pas l'Histoire, ils n'arrêteront que la France. La crise peut être salutaire s'ils rompent avec l'immobilisme populiste et se mettent à s'engager non plus pour résister, mais pour inventer avec leurs compagnons de lutte, avec leurs élus, avec l'Etat, les transports, les habitats, la consommation du XXIe siècle.

(1) « Le Monde » du 30 novembre

(2) « Il faut dire que les temps ont changé », Albin Michel

Eric Le Boucher

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