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Décryptage

Comment ouvrir (vraiment) les conseils d'administration

ANALYSE. L'entreprise ne peut pas fonctionner au profit de ses seuls actionnaires. Mais comment organiser le pouvoir des autres intérêts en jeu ? Dans le conseil d'administration ? A côté ? Le débat est vif.

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(Les Echos)

Par Jean-Marc Vittori, Jean-Marc Vittori

Publié le 6 déc. 2018 à 15:28Mis à jour le 13 déc. 2018 à 11:51

Milton Friedman avait tort. La responsabilité sociale de l'entreprise n'est pas seulement d'accroître ses profits, contrairement à ce qu'avait proclamé le professeur de Chicago dans un célèbre article publié en 1970, six ans avant de recevoir le Nobel d'économie. Les investisseurs eux-mêmes finissent par l'admettre, bien qu'il reste quelques forcenés bruyants parmi eux.

Valeur partagée ou intérêt bien compris ?

Et pourtant, les actionnaires ont gardé le pouvoir dans l'entreprise. Ils désignent toujours la totalité (ou la grande majorité) des femmes et des hommes qui siègent au sommet de l'entreprise : le conseil d'administration. D'où des débats très animés sur les moyens d'élargir la responsabilité de cette instance discrète et puissante. Dans le Code de commerce , « le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en oeuvre ». Comme le gouvernement sous la Ve République, qui « détermine et conduit la politique de la nation ».

Aux Etats-Unis, le débat a porté sur l'objectif de l'entreprise. Dans cette perspective, les administrateurs restent les mêmes, mais ils doivent élargir leur vision. Le gourou du management Michael Porter avait proposé en 2011 de passer de la « shareholder value » (valeur pour l'actionnaire) à la « shared value » (valeur partagée). En 2017, un autre professeur de Harvard, Oliver Hart, distingué par le Nobel l'année précédente, a publié un article académique très remarqué avec Luigi Zingales, de l'université de Chicago. Eux soutiennent que l'entreprise doit maximiser le « shareholder welfare » et non la « shareholder value ». Autrement dit, l'intérêt élargi, ou bien compris, de l'actionnaire.

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Codétermination

Le législateur s'est emparé du sujet. En 2010, l'Etat du Maryland a créé le statut de « benefit corporation », qui permet à une entreprise d'avoir un objectif d'intérêt général. Les deux tiers des Etats américains ont suivi. Ces innovations ont trouvé un écho en Europe. En Italie, un statut similaire a été mis en place en 2016. Côté France, la loi Pacte , en voie d'adoption au Parlement, attribue un rôle social et environnemental aux entreprises, leur donne la possibilité de se définir une « raison d'être » et permet la création d'entreprises « à mission ». Au Royaume-Uni, une loi de 2006 stipule que le dirigeant doit faire réussir l'entreprise en tenant compte des « parties prenantes » - salariés, fournisseurs, clients, collectivités, etc.

En France, le débat est aussi venu sur la gouvernance de l'entreprise, et donc la composition du conseil d'administration. C'est compréhensible, pour trois raisons. D'abord, une douzaine de pays européens pratiquent déjà la « codétermination », avec en moyenne un tiers de salariés au sein des conseils d'administration (l'Allemagne va jusqu'à la moitié pour les grandes entreprises). Ensuite, il y a déjà nombre de firmes françaises où des salariés votent au conseil - celles qui sont publiques ou le furent, comme Renault et Orange.

Lieu de la création collective

Enfin, une ambitieuse réflexion a été menée sur cette question depuis près d'une décennie au Collège des Bernardins, pilotée par le père Baudoin Roger et le professeur d'économie Olivier Favereau (1). Deux économistes de l'Ecole des mines, Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, ont élargi la définition de l'entreprise : elle n'est pas seulement une unité de production et de commercialisation, mais aussi « le lieu de la création collective ». Le salarié n'apporte pas seulement à l'entreprise sa capacité de production, il y investit sa compétence et la met en risque, tout comme l'actionnaire avec son argent.

Dès lors, l'actionnaire et le salarié ne sont pas des simples « parties prenantes » mais des « parties constituantes » de l'entreprise, comme le soutient l'avocat Christophe Clerc. Il est logique que l'un et l'autre soient représentés au conseil d'administration. Ces réflexions ont percé à travers une proposition du rapport Gallois de 2012 (« au moins quatre représentants des salariés » dans les conseils des grandes entreprises), puis dans le rapport Notat-Sénard de 2018. La loi de 2013 sur la sécurisation de l'emploi a imposé un administrateur salarié dans les conseils des grandes entreprises. Une loi de 2015 puis la loi Pacte renforcent l'obligation.

Comité des parties prenantes

Mais cette voie est contestée. Dans un livre issu d'entretiens avec des dirigeants d'entreprise, des investisseurs et des experts (2), l'historien économique Félix Torres préfère des « conseils d'administration plus proches des parties prenantes ». Antoine Frérot, le patron de Veolia et aussi président de l'Institut de l'entreprise à l'origine de cette étude, précise le message : « Dans la codétermination, il n'y a que deux parties prenantes. Or il y en a davantage. » Il pointe la piste d'un conseil des parties prenantes, dont le président interviendrait régulièrement en conseil d'administration.

« C'est une solution qui convient parfaitement pour Veolia dont l'activité implique beaucoup d'acteurs », rétorque le dirigeant d'une firme de taille intermédiaire, emblématique de l'industrie. « Chaque entreprise doit trouver sa voie, sans obligation », affirme ce patron… qui admet cependant l'utilité de l'obligation légale d'avoir au moins 40 % de femmes au conseil. Le think tank de centre gauche Terra Nova, lui, recommande d'avoir à la fois administrateurs salariés et comité des parties prenantes. Le débat continue.

(1) Synthèse concentrée dans « Gouvernement, participation et mission de l'entreprise », par Blanche Segrestin et Stéphane Vernac, Hermann, octobre 2018.

(2) « L'entreprise post-RSE », par Félix Torres, Institut de l'entreprise, octobre 2018.

Jean-Marc Vittori 

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