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Les économistes découvrent les dégâts du libre-échange

Les politiciens sont plus prompts à dégainer le protectionnisme que les économistes. Ce n'est au fond pas surprenant, car la vertu du libre-échange occupe une place spéciale dans la science économique : ce fut un peu la preuve de son utilité. Mais les esprits ont commencé à changer.

Les économistes découvrent les dégâts du libre-échange
(Dessin Boll pour Les Echos)

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 25 mars 2018 à 19:36

Et si Donald Trump avait raison de fermer les frontières ? Longtemps, la grande majorité des économistes aurait bondi à cette question. Voyons, les avantages du libre-échange sont trop évidents ! Ses bénéfices sont d'ailleurs l'un des sujets sur lequel les chercheurs sont le plus d'accord. Mais ils publient désormais des travaux troublants. La concurrence chinoise tuerait plus de 100 emplois par jour en France. Elle expliquerait un pavé dans la mare (chiffres portant sur le début des années 2000).

Avantage comparatif

Pourquoi donc les économistes ont-ils si longtemps fait confiance au libre-échange ? Certains l'ont fait par conviction idéologique. A leurs yeux, le marché est toujours l'organisation la plus efficace. Mais beaucoup d'autres, moins libéraux, sont aussi partisans de frontières ouvertes. Le prix Nobel Paul Samuelson l'avait expliqué il y a un demi-siècle. Un ami mathématicien l'avait mis au défi de trouver dans les sciences sociales une proposition « à la fois vraie et non triviale ».

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Samuelson lui cita celle formulée au XIXe siècle par l'Anglais David Ricardo, « la théorie ricardienne de l'avantage comparatif, qui démontre que deux pays tirent mutuellement profit du commerce, même si en valeur absolue la productivité de l'un est supérieure - ou inférieure - à celle de l'autre pour tous les produits. Que cette théorie soit logiquement vraie n'a pas besoin d'être démontré à un mathématicien. Qu'elle ne soit pas triviale est attesté par les milliers d'hommes importants et intelligents qui n'ont jamais été capables de la comprendre. » La supériorité du libre-échange, c'est un peu la preuve de l'utilité de la science économique. Et la réponse à une angoisse existentielle.

Le Mexique « suceur d'emplois »

Des décennies durant, les économistes du commerce international ont disséqué les avantages comparatifs. Mais pendant ce temps-là, le monde changeait. Le chef d'entreprise Ross Perot obtint près de 20 millions de voix à l'élection présidentielle américaine de 1992 en dénonçant le Mexique « suceur d'emplois ». Un an plus tard, le sénateur français Jean Arthuis publia un rapport prônant une hausse des droits de douane. En 1999, des dizaines de milliers de manifestants envahirent Seattle pour protester contre une libéralisation accrue des échanges. Un économiste turc réputé qui enseigne aujourd'hui à Harvard, Dani Rodrik, avait tiré la sonnette d'alarme sur les dégâts sociaux deux ans plus tôt dans un livre titré « La mondialisation est-elle allée trop loin ? ». Mais il resta isolé. A l'université, ses collègues le hélèrent longtemps d'un joyeux « Ca va, la révolution ? ».

Paul Krugman, nobélisé en 2008, soutient à l'époque que les problèmes créés par les échanges internationaux sont mineurs. Mais la montée en puissance de la Chine change les ordres de grandeur. Ce qui était vrai quand la Malaisie ou la Corée du Sud s'industrialisaient ne l'est plus quand le pays le plus peuplé de la planète se couvre d'usines.

 Ce qui était vrai quand la Malaisie ou la Corée du Sud s'industrialisaient ne l'est plus quand le pays le plus peuplé de la planète se couvre d'usines. 

Paul Samuelson, qui avait vanté les vertus du libre-échange, l'affirme en 2004, à l'orée de ses quatre-vingts ans. Raisonnant sur deux nations, comme David Ricardo, La leçon de Paul Samuelson (en 2004) que « le libre-échange peut quelquefois faire d'un changement technologique dans un pays un profit pour les deux pays, mais un gain de productivité dans un pays peut parfois bénéficier à ce seul pays en affaiblissant durablement l'autre ».

Des gagnants et des perdants

Beaucoup d'économistes préférèrent s'accrocher à leurs certitudes. Avec de solides raisons, au-delà de leurs choix idéologiques et existentiels. Ils considèrent souvent les protectionnistes comme des repoussoirs (Perot, Trump, Le Pen, etc.). Ceux, nombreux, qui travaillent en Amérique ont vu au sud du continent de parfaits échecs de fermeture des frontières (protection des industries naissantes au Brésil). Ils vivent plus loin de la Corée du Sud, de la Chine… ou des Etats-Unis du XIXe siècle, qui ont su se protéger efficacement. Enfin, il a longtemps été difficile de distinguer les effets du libre-échange et ceux de la technologie (ordinateurs et logiciels détruisent des emplois). Et de passer d'un raisonnement global à une analyse individualisée.

La donne a changé. Tous les économistes admettent désormais l'idée que la mondialisation fait des gagnants et des perdants. Ils exploitent de nouveaux outils pour analyser plus finement les effets des échanges. Les débats restent vifs. Un expert reconnu du commerce international, Gary Hufbauer, a ainsi calculé que les droits de douane imposés par les Etats-Unis en 2009 sur les pneus chinois ont permis de préserver 1.200 emplois dans l'industrie américaine du pneu… mais qu'ils en ont détruit trois fois plus dans le commerce.

Dilemme entre équité et efficacité

David Autor, un économiste du travail qui oeuvre au MIT de Boston, a lancé un pavé dans la mare il y a cinq ans. En examinant avec David Dorn et Gordon Hanson l'impact des importations chinoises au niveau des comtés américains exposés à cette concurrence, il a montré qu'elles ont détruit un million et demi d'emplois industriels entre 1990 et 2017. « Tu es contre le libre-échange ? » lui demanda un collègue lorsqu'il présenta ses travaux. Robert C. Feenstra, de l'université de Californie, avec Hong Ma et Yuan Xu, de l'université Tsinghua, ont pris les mêmes outils pour montrer que la croissance des exportations américaines avait permis de créer presque autant d'emplois.

Les économistes sont loin d'affirmer que Trump a raison. Mais ils abordent désormais le commerce international avec moins d'oeillères. Ils ont donc plus de chances de comprendre ses effets, en retrouvant un dilemme classique de la profession entre équité et efficacité. Et un défi à relever : comment compenser les perdants ? Le vieux Samuelson faisait une comparaison grinçante. « Marie-Antoinette avait dit : 'qu'ils mangent de la brioche'. Mais l'histoire n'a enregistré aucun transfert de sucre et de farine à ses sujets. »

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éditorialiste aux « Echos »

Jean-Marc Vittori 

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