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Les économistes face à la défaite des marchés

Les financiers considèrent que le marché est le meilleur moyen d'arriver à l'équilibre. Les économistes ont longtemps approuvé. La crise a violemment prouvé que la réalité est très différente.

Fabien Clairefond pour Les Echos
Fabien Clairefond pour Les Echos

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 12 sept. 2018 à 10:02Mis à jour le 13 sept. 2018 à 09:11

La tempête financière de la fin de l'année 2008 ne s'est pas levée par hasard. Elle est la conséquence directe de choix politiques influencés par des raisonnements économiques qui se sont révélés faux. Ces raisonnements ont-ils changé depuis ?

Il faut d'abord se rappeler que la crise était incroyable. Pour certains financiers, une panique comme celle enclenchée par la faillite de la banque Lehman Brothers le 15 septembre 2008 ne pouvait tout simplement pas exister. Pour d'autres, c'était une terrible malchance car pareil événement ne devait se produire qu'une fois tous les 30.000 ans. Alan Greenspan, qui avait régné sur la finance mondiale pendant plus de quinze ans en présidant la banque centrale des Etats-Unis, s'était dit « choqué ».

Octobre 2008 : Alan Greenspan fait part de son « désarroi » face à la crise des subprimes

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Répartition « normale » des risques

La crise financière de 2008 relevait de l'inconcevable parce qu'elle n'avait pas été conçue. Pour être plus précis, l'hypothèse d'une telle catastrophe avait été peu à peu rejetée hors du champ des possibles par les financiers et leurs régulateurs. Au début des années 2000, l'audacieux qui osait évoquer devant l'un d'entre eux l'éventualité d'un risque systémique se faisait renvoyer à ses livres d'histoire.

Cet aveuglement vient à la fois d'un point technique précis et d'une vision beaucoup plus large.

Le point précis, c'est la répartition du risque. Les financiers travaillent avec l'hypothèse d'une répartition « normale » des risques. C'est la courbe en cloche dessinée au XIXe siècle par le mathématicien allemand Carl Friedrich Gauss : forte probabilité d'événements moyens, très faible probabilité d'événements extrêmes. Le problème, c'est que cette hypothèse est fausse. Les risques extrêmes ne sont pas si rares. La faillite frôlée par le fonds de placement LTCM en 1998, qui avait semé la panique à Wall Street, l'avait montré. L'effondrement du château de cartes « subprime », qui n'aurait pas dû avoir lieu à en croire les modèles, l'a confirmé.

Outils de la physique

La vision plus large, c'est la confiance aveugle dans le marché. « Des marchés libres et concurrentiels constituent de loin le meilleur moyen d'organiser les économies », affirmait par exemple Alan Greenspan avant la crise. Vive la déréglementation ! Cette position idéologique largement partagée dans la communauté financière était étayée par de nombreux travaux académiques.

La science économique a été bâtie au XIXe siècle en empruntant les outils de la physique. La notion d'équilibre y est centrale, et le jeu du marché est censé forger cet équilibre. Des économistes ont certes admis qu'il pouvait y avoir des déséquilibres persistants, par exemple sur le marché du travail. Mais la finance était considérée comme un marché efficace. Même si les conditions posées par les chercheurs pour que le marché marche (transparence, infinité d'offreurs et de demandeurs…) y sont rarement présentes.

La quintessence de leur démarche se retrouve dans le modèle longtemps le plus employé dans les banques centrales : DSGE. GE pour équilibre général, D pour dynamique et S pour stochastique. Autrement dit, comme les chocs ne peuvent pas venir de l'intérieur du modèle, il faut les faire venir de l'extérieur, de manière aléatoire !

Paradoxe de la tranquillité

« Pourquoi personne n'a prévenu ? », avait demandé la reine d'Angleterre après le choc engendré par la faillite de la banque Lehman Brothers. Elle exagérait. Des économistes réputés comme Raghuram Rajan ou Robert Shiller avaient tiré la sonnette d'alarme. D'autres comme Jean Tirole et Bengt Holmström avaient travaillé sur le risque de liquidité des banques. Des travaux restés isolés.

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Avec la crise, les économistes ont redécouvert les anciens : Keynes et les « esprits animaux », Irving Fisher et la spirale dette-déflation, Hyman Minsky et le paradoxe de la tranquillité (quand ça va bien longtemps sur les marchés financiers, c'est que la prochaine crise gonfle). L'histoire économique a le vent en poupe. L'économie comportementale, qui explique par exemple les mouvements moutonniers, est désormais en pleine lumière - l'une de ses stars, Richard Thaler, a été distingué par le Nobel d'économie en 2017. Et dans les salles de marché, les mathématiciens ont bricolé les modèles d'évaluation des risques pour que l'extrême y soit moins exceptionnel. Mais une vraie analyse économique des marchés financiers est aujourd'hui seulement à l'état d'ambition.

Jean-Marc Vittori

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