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Les leçons de l'affaire Lactalis

Les salmonelles du lait Lactalis ont révélé d'énormes failles, mais fait peu de victimes. C'est une rare occasion d'améliorer les procédures pour éviter une crise plus grave. Et de prendre conscience des progrès déjà accomplis.

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 15 janv. 2018 à 16:21

Elle fait la moitié d'un centième de millimètre. Mais elle ébranle un géant mondial du lait. L'affaire du lait infantile Lactalis contaminé par la bactérie Salmonella rappelle une histoire plus ancienne. Le Goliath du camembert Président, du roquefort Société, du beurre Bridel et du lait infantile Picot a négligé le tout petit David, qui n'est pourtant pas un dur à cuire (s'il résiste de manière impressionnante au dessèchement et au froid, il succombe vers 65°). Des bébés en ont été malades. Le groupe aux 75.000 salariés devrait survivre à sa négligence. Mais il faut tirer les leçons de cette histoire, qui n'aurait pas dû avoir lieu.

Couches archaïques du cerveau

La bulle médiatique qui s'est formée autour de cette affaire a, comme toujours, été excessive. Mais elle n'aurait pas dû surprendre les dirigeants de Lactalis. Dans la longue litanie de scandales qui émaillent l'histoire industrielle, de l'amiante aux voitures truquées, les épisodes qui touchent à l'alimentaire ont été virulents : vache folle, lasagnes au cheval, concombre tueur, oeufs au Fipronil, etc. Sans doute parce que la quête d'une alimentation saine remonte à des dizaines des milliers d'années et qu'elle est inscrite dans les couches archaïques de nos cerveaux. Contrairement, par exemple, à la durée de la batterie d'un téléphone.

Dans ces bulles, la réalité est souvent déformée. Le drame du concombre tueur, en 2011, constitue un parfait exemple. L'épidémie de gastro-entérite, qui a touché 4.000 consommateurs et en a tué une cinquantaine, était censée venir d'une grande exploitation espagnole alors que le problème venait en fait, selon les autorités allemandes, de germes de soja produits dans une ferme bio de Basse-Saxe à partir de semences venues d'Egypte.

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Les conséquences économiques, elles, sont plus lourdes dans l'alimentaire qu'ailleurs. Après quelques traces de benzène qui n'ont fait de mal à personne, les ventes de Perrier ont mis plus de vingt ans à dépasser leur niveau d'avant-crise. Alors que Volkswagen, qui a laissé rouler des millions de voitures polluant bien plus que ne le montraient des tests truqués, peut espérer redevenir bientôt premier producteur automobile mondial.

« Tueur de bébés »

Dans les scandales alimentaires, ceux qui touchent au lait infantile sont encore plus sensibles. Les victimes sont des bébés, fatalement émouvants et, bien sûr, sans défense. Sans aller fouiller à nouveau dans le cerveau, il est naturel que ces drames-là soient encore plus insupportables. Les dirigeants de Lactalis ne pouvaient pas l'ignorer. D'autant plus qu'il y a eu au moins trois épisodes qui ont frappé l'opinion.

Le premier est déjà ancien : il remonte aux années 1970. Ce fut aussi le premier scandale agro-industriel planétaire. Le suisse Nestlé a été attaqué pour avoir vendu son lait infantile dans des pays où les mères n'avaient pas les moyens de le préparer correctement. Mal préparés, les biberons ont entraîné d'innombrables décès d'enfants. Une ONG britannique publia en 1974 un rapport titré « Le tueur de bébés ». Un boycott fut lancé des Etats-Unis en 1977. Nestlé renonça à son marketing agressif. La firme s'est, depuis, mise à l'écoute de ses « parties prenantes » - salariés, clients, collectivités locales, associations, etc.

Le deuxième épisode est celui du « lait mélaminé », en 2008. Des industriels chinois ont ajouté dans le lait de la poudre de mélamine, une résine plastique toxique, pour en augmenter la teneur apparente en protéines. 300.000 enfants en auraient été malades, 50.000 ont été à l'hôpital, 6 sont morts. Des milliers de tonnes ont été retirées de la circulation. Les ventes ont chuté d'un tiers en Chine. Les dirigeants de Lactalis ne peuvent pas l'ignorer : ils en ont profité pour développer leurs exportations.

35 de trop, mais…

Le troisième épisode est encore plus proche de Lactalis. Début 2005, le fabricant de lait en poudre Celia avait rappelé plusieurs lots de lait contaminé par la salmonelle. Fragilisé, Celia avait été racheté l'année suivante par… Lactalis. Avec son usine de Craon, celle d'où venait le problème qui avait provoqué près de 150 salmonelloses, celle aussi d'où vient le problème actuel.

Cette fois-ci, le nombre de bébés victimes de salmonellose serait de 35. C'est bien sûr 35 de trop. Mais c'est moins grave que les foules de morts des pays en développement dans les années 1970. Ou que les 300.000 malades en Chine il y a une décennie, sans parler des décès. Ou que les 146 bébés touchés en 2005 dans un épisode pourtant bien moins médiatisé.

En réalité, cette affaire constitue une formidable chance… en révélant des failles partout. Chez l'industriel, qui a mal mesuré l'ampleur des risques et limité au départ l'ampleur du rappel de ses produits. Chez les distributeurs, qui ont vendu des boîtes qu'ils n'auraient pas dû vendre. Chez les pouvoirs publics, dans le contrôle et la supervision des retraits. L'analyse systématique de ces failles constatée sur une crise au bout du compte limitée va permettre de mieux organiser toute la chaîne de protection.

Codes-barres et textos

Paradoxalement, la crise Lactalis révèle aussi les progrès déjà accomplis. Dans la connaissance, d'abord : une épidémie limitée peut être détectée. Des analyses de bactéries permettent d'en pointer l'origine. Dans l'information ensuite : cette connaissance peut être mise à la disposition du plus grand nombre pour limiter les risques. Dans l'action enfin : les codes-barres peuvent être utilisés pour bloquer en caisse les produits défectueux. Les distributeurs pourraient envoyer des textos aux clients qui en ont auparavant acheté. Très efficace pour vendre, le ciblage du consommateur peut être tout aussi efficace pour protéger. Demain, Big Brother ne se contentera pas de vous regarder, il pourra aussi vous sauver. Si vous acceptez de lui confier vos données.

Jean-Marc Vittori 

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