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Les nouveaux mystères de la productivité

Le ressort majeur de la croissance, la productivité, tourne au ralenti. Après avoir accusé l'offre et la demande, les économistes regardent ce qui se passe dans les entreprises. L'énigme persiste.

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 10 janv. 2018 à 16:31

Avant, la voiture tenait une moyenne de 90 kilomètres à l'heure. Mais depuis l'accident, elle va plutôt à 50. Ca se traîne… C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui dans l'économie mondiale. Avant la crise, la productivité du travail progressait de près de 2 % l'an dans les pays avancés (1,8 % précisément, chiffres OCDE). Depuis 2009, elle n'avance plus que de 1 % par an. Et ce ralentissement ne vient pas seulement de la crise. Il a commencé il y a près d'un demi-siècle, comme le montrent des travaux exhaustifs de la Banque de France.

Or, la productivité est un ressort essentiel de l'activité. C'est le premier moteur de la croissance. Ses toussotements se répercutent sur toute l'économie et les voyageurs, les électeurs, le sentent bien. Mais le conducteur, le gouvernant, n'y peut pas grand-chose, au moins à court terme, c'est-à-dire à l'horizon de son mandat électoral. Quant aux mécaniciens, l'économiste, il se perd en conjectures.

« Stagnation séculaire »

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Le débat a été lancé il y a cinq ans déjà, par Robert Gordon. Ce spécialiste de l'université de Northwestern estimait que le ralentissement est inéluctable, car les nouvelles technologies du XXIe siècle apportent moins de gains de productivité que les anciennes du XIXe. Un robinet d'eau est plus utile qu'un smartphone. Ce à quoi les économistes du MIT Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee ont rétorqué que les effets positifs des technologies de l'information commençaient à peine à apparaître. Des historiens comme Joel Mokyr ont rappelé que les innovations majeures diffusent lentement leurs effets. L'électricité a vraiment changé la vie des décennies après l'invention de l'ampoule par Thomas Edison.

De son côté, le professeur de Harvard Larry Summers a insisté sur la demande plutôt que l'offre. Reprenant le concept de « stagnation séculaire » forgé en 1937 par l'un de ses prédécesseurs à la prestigieuse université de Boston, Alvin Hansen, il estime qu'une panne d'investissement plombe les gains de productivité et détraque les taux d'intérêt.

Problème de mesure

Mais ces explications ne suffisent pas. Les économistes se sont donc interrogés sur la mesure. Et si les gains de productivité étaient trop nouveaux pour être détectés par les outils statistiques traditionnels ? Aux Etats-Unis par exemple, les Etats où la densité de brevets déposés est la plus forte sont ceux où les gains de productivité sont les plus faibles. L'économiste Philippe Aghion, professeur au Collège de France, a publié des travaux estimant la « croissance manquante » dans plusieurs pays.

En France, la production mesurée par le PIB aurait ainsi récemment progressé de 0,6 % de plus chaque année que ne l'indiquent les comptes nationaux de l'Insee. C'est loin d'être négligeable. Mais les économistes s'accordent à dire que le problème de mesure n'explique pas tout le ralentissement constaté. Il faut donc aller plus loin, voir ce qui se passe sous le capot - c'est-à-dire dans les entreprises. Trois pistes ont été avancées.

D'abord, il y aurait trop de crédit. Avec les politiques monétaires très accommodantes menées depuis la crise financière, des entreprises peu productives survivent en empruntant de l'argent. Trois chercheurs de l'OCDE, Müge Adalet McGowan, Dan Andrews et Valentine Millot, ont publié un article au titre frappant : « Les morts-vivants ? Entreprises zombies et productivité. » Ils montrent que dans un secteur donné, « une part plus élevée du capital piégée dans des firmes zombies est associée avec un investissement plus faible et de moindres créations d'emploi par les entreprises non zombies ». Les mauvaises entreprises chassent les bonnes. La productivité en souffre.

Inégalités croissantes entre entreprises

Ensuite, il n'y aurait pas assez de concurrence. Après des années de croissance et de fusions, les grandes entreprises dominent de nombreux marchés. Jason Furman, qui fut chef des conseillers économiques du président Barack Obama, donne des chiffres impressionnants sur les Etats-Unis. Dans le commerce de détail, les cinquante premières firmes du secteur ont porté leur part du marché de 26 à 37 % en quinze ans. Les nouvelles entreprises (créées il y a moins de cinq ans) emploient aujourd'hui à peine plus de 10 % des salariés contre 40 % en 1980. Or la concurrence est un aiguillon essentiel de l'innovation et de la productivité.

L'un des chercheurs de l'OCDE qui avait travaillé sur les firmes zombies, Dan Andrews, a regardé avec deux autres de ses collègues, Chiara Criscuolo et Peter Gal, les différences de productivité au sein d'un même secteur. Ils montrent que les firmes les plus productives n'ont cessé de progresser, tandis que les autres ont carrément stagné. Des inégalités croissantes entre entreprises expliqueraient donc le ralentissement de la productivité. Ce qui pourrait s'expliquer par les performances des plateformes électroniques comme Amazon, qui réalisent des progrès inaccessibles à leurs rivaux. Mais d'autres chercheurs ont relevé que les entreprises les meilleures changent souvent d'une année sur l'autre…

Ecole gratuite

Enfin, il n'y aurait pas assez de compétences. Ou pour être plus précis, les compétences de la population active sont loin d'être celles qui seraient nécessaires pour exploiter le potentiel de la révolution technologique. Des chercheurs évoquent aussi les compétences des managers. Cette piste-là a été pour l'instant moins explorée par les économistes. Mais là aussi, les parallèles historiques sont utiles. A la fin du XIXe siècle, quand la deuxième révolution industrielle prenait son essor, Jules Ferry et les républicains ont rendu l'école gratuite puis l'instruction obligatoire. Aujourd'hui, rien n'indique pareille mobilisation éducative, sauf peut-être en Corée du Sud ou dans les pays nordiques. C'est sans doute l'une des barrières aux gains de productivité. Les mécaniciens de l'économie n'ont pas fini de chercher.

Jean-Marc Vittori

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