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Les réformes de Macron à l'épreuve de la grève SNCF

+ VIDEO. Changer la SNCF, c'est le Graal du réformateur. Macron s'y attaque avec de sérieuses chances de réussite. A condition d'éviter l'écueil fatal de la grève par procuration.

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 12 mars 2018 à 13:36

Et maintenant la SNCF ! Décidément, Emmanuel Macron ne respecte rien. En moins d'un an, le président de la République s'est déjà attaqué à la négociation en entreprise, à la fiscalité du capital, à l'assurance-chômage, à la formation professionnelle. Depuis un demi-siècle, jamais locataire de l'Elysée n'a touché aussi vite autant de sujets, à l'exception peut-être de François Mitterrand.

Mais la SNCF, c'est autre chose : le Graal du réformateur français. Il y a près d'un quart de siècle, le Premier ministre de l'époque, Alain Juppé, y carbonisa son avenir national en s'attaquant à la retraite à 50 ans. Jacques Chirac trouva du coup plus prudent de ne pratiquement rien faire pendant les douze années où il fit président.

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Lest salarial

Son successeur, Nicolas Sarkozy, rouvrit le dossier au début de son mandat en 2007. Mais pour décaler l'âge de la retraite des cheminots, il lâcha un lest salarial massif. Des économistes calculèrent que la réforme risque de coûter plus cher qu'elle ne fait économiser, ce qui n'était évidemment pas le but recherché.

Plus récemment et plus modestement, la direction de l'entreprise a tenté en 2016 de changer les « taquets », ces règles sur les horaires de travail (si un cheminot termine après 20 heures la veille d'un jour de repos, il a droit à un jour de repos supplémentaire). Ces taquets font du planning de l'entreprise un casse-tête coûteux. Là aussi, il a fallu reculer.

L'actuel président veut une réforme d'une tout autre ampleur. Il entend notamment supprimer le fameux « statut du cheminot » pour les nouvelles recrues. Ce statut obtenu de haute lutte, qui profite aujourd'hui à 90 % des salariés de la SNCF, leur accorde l'emploi à vie, une médecine gratuite, des augmentations automatiques (à effectifs constants, la masse salariale de l'entreprise augmente mécaniquement de 2 % par an). Sa suppression est un chiffon rouge. Va-t-elle déclencher une longue grève dont le gouvernement sortira vaincu et affaibli ? Les syndicats s'y préparent. Dans la gauche extrême, on évoque « la mère de toutes les batailles».

« Droit dans ses bottes »

Les va-t-en-guerre ont d'ailleurs des raisons d'espérer la victoire, car il y a des points communs entre 1995 et 2018. C'est une époque de reprise économique, où ressurgissent les mécontentements endigués par la crise passée. Un président est depuis peu à l'Elysée, avec un Premier ministre résolu à changer le pays. En 1995, Alain Juppé était resté « droit dans ses bottes». En 2008, Edouard Philippe compte faire passer le changement par une ordonnance, un outil qui bride le débat à l'Assemblée. Philippe, qui était fin 2016 un très proche de Juppé…

Les Français semblent certes aujourd'hui voir la réforme d'un bon oeil. D'après le premier sondage publié à l'annonce du projet gouvernemental (Harris Interactive pour RTL et Atlantico.fr), 69 % d'entre eux se disent favorables à la suppression du statut du cheminot. En décembre 1995, après deux semaines de grève, la majorité des Français étaient au contraire partisans du retrait du plan Juppé (53 % selon un sondage Ipsos pour France 2 et « Le Point »).

Mais, à l'époque, ils avaient changé d'avis (du moins 15 à 20 % d'entre eux). Avant la grève de la SNCF, ils étaient pour le changement. Pendant la grève, ils sont devenus contre. Ce basculement est essentiel pour comprendre ce qui va se jouer dans le mouvement social des prochaines semaines. Les cheminots de 1995 avaient porté les frustrations d'une population meurtrie par la récession de 1993, la réforme des retraites du privé, les avancées du grand méchant marché. C'était la grève par procuration. « Il y avait des pêcheurs qui apportaient des cagettes de poisson sur les piquets de grève»,se souvient Bernard Thibault (1), à l'époque leader de la CGT-cheminots.

Prudent sur la fermeture de lignes

Si une grève éclate et s'installe dans le temps, les Français peuvent-ils à nouveau changer d'avis, soutenir le mouvement après l'avoir rejeté ? A priori, la donne a changé. Au sein de la SNCF, la discorde règne parmi les syndicats, avivée par les piques lancées sur les réseaux sociaux. Depuis la réforme de 2007, chaque salarié doit déclarer son intention de se mettre en grève deux jours avant le début du mouvement, ce qui permet à la direction de réorganiser les horaires. Et il n'y a plus de pardon salarial après la fin d'un mouvement : la fiche de paie est dûment amputée, ce qui tempère l'excitation.

Du côté du gouvernement, il y a peut-être moins de naïveté que dans les années 1990. Edouard Philippe est très prudent sur la fermeture de lignes, autre chiffon rouge qui peut provoquer la révolte des élus locaux. Il ne touche pas aux billets gratuits des salariés. Il peut sacrifier le président de la SNCF, Guillaume Pepy. Il a aussi de la chance : un accord collectif vient d'être signé dans le transport urbain de voyageurs, réduisant le risque d'une extension du conflit.

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Des usagers devenus usagés

Les Français, eux, ont changé de regard sur la SNCF, parce que la SNCF a changé. En 1995, le train de banlieue marchait bien. La société avait à peine commencé à sabrer les dépenses dans les « transports du quotidien». Après trois décennies de sous-investissement massif, il en va tout autrement. Retards et incidents techniques se multiplient, comme on l'a vu gare Montparnasse de manière spectaculaire. Nombre d'usagers ont l'impression d'être devenus des usagés. Les cheminots sentent d'ailleurs chaque jour leur exaspération.

Les Français savent enfin qu'ils ont élu un président réformateur. Si la SNCF ne figurait pas dans les 32 pages de son programme, le candidat Macron avait expliqué au think tank TDIE qu'il fallait « une évolution des règles d'emploi des cheminots». A priori, le gouvernement a davantage de cartes en main que celui de 1995 pour réussir à réformer la SNCF. Mais rien n'est joué. Un incident, un événement suffit parfois à changer le cours de l'histoire. Seule certitude : la capacité de changer la France va se jouer dans les prochaines semaines.

(1) Rapporté par l'AFP, 4 décembre 2015.

VIDEO. Grève à la SNCF : le compte à rebours a commencé

Jean-Marc Vittori 

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