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Critique

Maîtriser nos technologies avant qu'elles ne nous contrôlent

La toute-puissance des Gafa fait peser à terme un risque totalitaire sur le monde. Il faut les réguler pour ne pas y succomber. Un livre polémique.

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Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 23 juin 2017 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Elle a pour nom CRISPR-Cas9. Il s'agit d'une enzyme, découverte il y a deux ans, capable de cibler une partie de l'ADN, pour la couper, la modifier ou la détruire. On peut s'en servir comme d'une paire de ciseaux pour découper l'ADN. Ce n'est pas la seule méthode qui permet une telle manipulation génétique, mais sa spécificité est qu'elle est très facile à mettre en oeuvre et très peu chère. Elle a été classée comme arme de destruction massive par l'agence américaine NSA en 2016 parce que, introduite chez quelques personnes, elle peut contaminer toute une population en quelques générations. La porte est grande ouverte aux dérives eugéniques. Déjà, des équipes de chercheurs chinois utilisent cette méthode sur l'être humain. Pour lutter contre des cancers incurables, certes. Mais ensuite ?

Attention à la science ! crient Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, et Mickaël Berrebi, actuaire et financier. Il y a trois ans les mêmes auteurs nous prévenaient d'une « guerre de l'argent » à venir, d'une rivalité pour l'épargne mondiale que l'autonomisation du monde financier rendra forcément violente. Cette fois, toujours pessimistes, ils voient venir un scénario digne du « Meilleur des mondes » d'Aldous Huxley ou du « 1984 » de George Orwell : surveillance généralisée, intrusion dans la vie privée et création d'un nouvel homme, augmenté, immortel, transhumaniste, demi-dieu. La finance sans laisse conduit à la guerre, la technologie sans muselière nous mène à pire : la perte par l'homme de la maîtrise de son destin.

La cause profonde de ces risques totalitaires est la même qui motive à nouveau la plume des auteurs : la faiblesse des pouvoirs publics. Contre la finance, parce que celle-ci échappe aux frontières des Etats, contre les technologies, parce qu'elles sont si complexes que le discours des grandes entreprises s'impose sans aucun contre-pouvoir. La pulsion de puissance des « prophètes » de la techno-science est telle qu'ils vont, comme cela s'est vu souvent dans le passé, s'en prendre aux valeurs de l'humanisme. Il est temps que le monde politique reprenne la main.

Voyage pédagogique sur les problèmes de l'heure

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L'attrait premier du livre est de nous en faire la démonstration grâce à un long voyage pédagogique sur les problèmes de l'heure, tous liés d'une façon ou d'une autre à la technologie. La « stagnation séculaire », les dérives dangereuses, les illusions de la connaissance mise à la portée de tous, l'explosive diffusion des réseaux sociaux, les fractures numériques. Pour qui a pris un peu de retard, veut se mettre à jour et savoir quoi penser de l'intelligence artificielle, de la blockchain, du Big Data, des manipulations génétiques, la lecture de l'ouvrage est utile. Les dangers sont bien montrés, comme l'acceptation de la surveillance par des populations face, par ailleurs, au terrorisme, ou encore les fausses nouvelles et les contre-vérités qui font plus de clics sur Internet que la vérité, trop exigeante sans doute.

Les auteurs avancent des solutions, elles ont l'intérêt d'ouvrir un débat qui ne manquera pas de grossir. Philosophie générale : il faut que la technologie soit gouvernée par les responsables politiques et que cesse le laisser-faire pour les entreprises de ces secteurs. Casser les monopoles de Google et de Facebook : la proposition de Jean-Hervé Lorenzi et de Mickaël Berrebi tombe pile à un moment où les accusations s'accumulent sur les géants du Gafa. Les auteurs ont le sens de la polémique.

Comme souvent dans le capitalisme, certaines entreprises grossissent et éliminent la concurrence. Dans l'histoire, une réaction antitrust salutaire est intervenue contre Standard Oil, démantelée en 1914, comme contre ATT en 1984. Il est temps de faire de même pour les géants du Net, disent les auteurs. Ils proposent de les découper par domaines d'action : le moteur de recherche d'un côté, les différentes applications (vente en ligne, diffusion de contenus, etc.) de l'autre. Il ne faut autoriser ces groupes qu' « à ne proposer qu'un seul type de service ».

Cette partie du livre va monopoliser le devant de la scène, mais les auteurs proposent aussi « une éthique mondiale » pour superviser les manipulations génétiques et, dans un traité à l'échelle planétaire, pour fixer les bonnes pratiques. Ils veulent restaurer un droit à la confidentialité de ses données (communications, lectures...) et l'interdiction de la maîtrise par un seul acteur de l'ensemble d'une chaîne de valeur. La conclusion est un appel à la coordination internationale sur la technologie, comme cela a été fait sur le climat. Tout dans le livre est discutable, mais le débat devait être ouvert.

Eric Le Boucher

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