Montréal, 15 septembre 2004  /  No 146  
 
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André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.
Page personnelle
 
 
ÉTHIQUE LIBERTARIENNE
 
MONNAIE, OR ET LIBERTÉ *
 
par André Dorais
  
  
          L’or a longtemps servi de monnaie, mais plus aujourd’hui(1). Investir dans l’or ne fait pas de ce métal une monnaie. Qu’est-ce que la monnaie? Une monnaie qui sert aux transactions quotidiennes n'a pas à être métallique. La forme qu’elle prend a moins d’importance que le métal dont elle constitue une réclamation. La monnaie, telle qu’elle se présente aujourd’hui, sans contrepartie métallique, constitue une fraude incommensurable. Celle-ci ne pourra se poursuivre longtemps sans entraîner de graves conséquences. Tâchons d’y voir plus clair.
 
Rôle et définition de la monnaie 
  
          La monnaie est d’abord un moyen d’échange. On s’en sert pour payer et comparer biens et services et comme moyen d’épargne. Elle est conditionnelle à la division du travail et à la planification à long terme. Elle est donc une source de prospérité. Toutefois, ces caractéristiques demeurent incomplètes, car elles laissent entendre que n’importe quoi peut servir de monnaie. C’est faux, car seuls les biens répondant à certaines caractéristiques ont été choisis comme monnaie. Avant d’adopter une monnaie les gens ne connaissaient que l’échange direct, le troc. À cette époque lointaine, l’or servait, et sert toujours, entre autres, d’ornement, de bijou et d’élément utilisé dans l'art religieux. 
  
          À travers les époques, l’or et l’argent ont été choisis le plus souvent comme monnaie. Il y a moins d’un siècle on se servait encore, selon le lieu, de pièces d’or et d’argent dans les transactions quotidiennes. La durabilité de la monnaie métallique inspirait confiance; sa malléabilité et sa divisibilité permettaient de produire une gamme de pièces homogènes; sa rareté, sa facilité à entreposer et à transporter en faisaient un objet convoité. Ces pièces étaient faciles à échanger et étaient reconnues par une vaste majorité. 
  
          Aujourd’hui, considérant les montants d’argent échangés, il ne serait plus aussi vrai de dire que l’or est facile à transporter. Les billets, cartes de crédit et de débit sont plus pratiques. Les autres défauts de l’or comme monnaie, quant à son rôle dans les transactions quotidiennes, sont sa lourdeur et les difficultés à le retracer suite à une perte ou un vol. Si vous vous faites voler une carte de crédit ou un chèque, vous pouvez limiter les pertes en demandant de rendre ces substituts inopérants et en vous procurant de l’assurance. Perdre ses pièces d’or, c’est comme perdre ses billets. Il faut espérer qu'un bon Samaritain nous les rendra. Est-ce à dire qu’il n’y a plus d’espoir de revoir une monnaie métallique? 
  
          Je crois que les substituts (billets, dépôts, certificats, etc.) sont ici pour rester. Ces substituts constituent de la monnaie en autant qu’ils servent de moyens d’échange. Une monnaie sans contrepartie métallique n’en demeure pas moins une monnaie, mais plus précisément une fausse monnaie. On parle alors de monnaie fiduciaire, soit un substitut qui ne se substitue plus à rien. Ainsi, il y a monnaie légitime en autant qu’elle soit métallique ou que son substitut constitue une réclamation du métal remboursable sur demande. 
  
L’étalon-or 
  
          L’or n’a nul besoin d’être utilisé dans les transactions quotidiennes pour être qualifié de monnaie, mais il doit agir minimalement comme valeur de référence. L’or a bien un prix, mais il ne sert plus d’étalon auquel les autres biens et monnaies se mesurent et se comparent. Il sert à peine d’épargne, mais cela pourrait changer rapidement. Ces caractéristiques sont essentielles pour en faire une monnaie légitime. D’ici le rétablissement de cette monnaie, on se contente de la fausse monnaie à ses risques et périls. Pour revoir l’or comme monnaie il suffit de refuser la fraude, c’est-à-dire la banque centrale et les réserves fractionnaires. L’or a toujours été la monnaie de choix de l’homme libre, mais l’homme de l’État ne veut pas d’hommes libres. Le politicien dit être capable de faire mieux que ce que chacun de nous peut faire dans un contexte de liberté. Il prétend faire le bien, alors qu’il ne fait que la dictature du bien.  
  
Banque centrale et réserves fractionnaires 
  
          Lorsque l’or servait d’étalon les récessions pouvaient être fortes, mais elles étaient toujours courtes. Les réserves limitées d’or empêchaient l’expansion aveugle de l’activité économique. Cependant, l’incompréhension manifestée par les étatistes envers le marché leur fait considérer la maladie pour le traitement(2). Ils considèrent le manque de réserves comme étant la cause des récessions, de sorte qu’ils font place à la monnaie fiduciaire d’abord et surtout au moyen du système des réserves fractionnaires.  
  
          Si les cycles économiques existent, cela est essentiellement dû au système des réserves fractionnaires. Ce système côtoie l’or comme monnaie depuis quelque 500 ans. Il permet aux banques de prêter plus de substituts monétaires qu’elles possèdent d’or dans leurs coffres. Un banquier n’admettra pas que son système est frauduleux, soit parce qu’il le croit ainsi (une majorité), soit parce qu’il se contente de la légalité du système. Effectivement, les politiciens ont presque toujours cautionné cette pratique. 
  
          Ces derniers ont d’ailleurs souvent accentué la fraude à l’arrivée d’une guerre en empêchant les gens de reprendre leur or pour mieux le voler par suite sous le couvert de l’urgence nationale. En 1914, en Europe, ils en ont fait une pratique permanente. À cette date, la Première Guerre mondiale éclate. Les banques commerciales brisent leurs contrats et ne remettent plus l’or à leur propriétaire. Il y a confiscation de propriété, ratifiée par les gouvernements. À leur tour, les gouvernements confisquent l’or aux banques non pas pour le remettre aux propriétaires légitimes, mais pour se l’arroger. Selon les gouvernements, voler le peuple n’est pas cher payé pour tuer l’ennemi.  
  
          L’ajout d’une banque centrale au système des réserves fractionnaires coordonne et accentue la création de crédit ou l’expansion monétaire. Qui dit création de crédit, dit également expansion économique, mais aveugle. Après une forte expansion aveugle de l’économie survient inévitablement une contraction.  
  
          Les banquiers veulent les avantages de l’étalon-or: prix stables ou légèrement à la baisse, économie en croissance, échange international et monnaie qui maintient sa valeur. Mais ils ne veulent pas ses inconvénients: prêts limités par les dépôts et profits limités au rôle d’entremetteur. En sacrifiant les racines au profit des fruits ils obtiennent le contraire de ce qu’ils voulaient, soit des cycles économiques, faillites, perte de pouvoir d’achat, rêves brisés et révolutions.  
  
     «Les banquiers veulent les avantages de l’étalon-or: prix stables ou légèrement à la baisse, économie en croissance, échange international et monnaie qui maintient sa valeur. Mais ils ne veulent pas ses inconvénients: prêts limités par les dépôts et profits limités au rôle d’entremetteur.»
 
          Du moment que les banques centrales ont été créées l’étalon-or n’a plus été qu’une parodie. Le nom reste, mais pas le contenu. Les marchés sont inondés de monnaie fiduciaire qui prend rapidement toute la place. Les réserves sont alors constituées d’or et de papier. À force de s’amuser avec leur nouveau jouet les banquiers de l’État ont causé la Grande Dépression. Étant donné que l’or avait encore un rôle les hommes de l’État l’ont pointé d'un doigt accusateur pour ensuite le confisquer à la population. Seul l’or et le marché, qui lui a donné naissance, peuvent être coupables aux yeux des politiciens et de leurs valets. Une répétition de cette triste époque est donc à prévoir étant donné que la seule monnaie qui existe dans le monde est aujourd’hui fiduciaire.  
  
          L’avantage d’une banque centrale pour un État est qu’elle permet une création illimitée de monnaie. Cependant, cette monnaie n’ayant plus de contrepartie métallique, n’étant plus un bien, ne constitue qu’une simple promesse de payer, c’est-à-dire un crédit, une dette. Plus les banquiers mettent en circulation de monnaie fiduciaire, plus il y a de dette. Cela permet aux dirigeants gouvernementaux de vous offrir toutes sortes de programmes sociaux au prix d’un endettement croissant. Pour payer ces programmes ils vous taxent et vous empruntent tout en dévaluant la valeur de leurs obligations envers vous en créant constamment de la monnaie de crédit. Inflation, duperie et fraude caractérisent ce système. Il est légal, mais illégitime et de plus en plus dangereux.  
  
          Sous un régime d’étalon-or non perverti par l’État, les dettes qu’une société peut supporter sont déterminées par ses actifs tangibles. Chacune de ces dettes constitue une réclamation d’un actif. Dans pareil régime, les obligations gouvernementales ne se vendent que dans la mesure où il y a compensation adéquate sous forme de taux d’intérêt plus élevé. La capacité d’emprunt des gouvernements se trouve ainsi sévèrement limitée. Étant donné que les gouvernements n’aiment pas être limités, ils ont volé l’or de vos ancêtres et exigé leur confiance. Aujourd’hui, lorsqu’ils vous empruntent de l’argent, c’est pour mieux vous taxer par la suite, car depuis cette époque les obligations gouvernementales n’ont plus aucune contrepartie si ce n’est que la taxation et l’inflation. Ils vous demandent l’argent de votre poche gauche, la dévaluent et vous remboursent, tant qu'ils le peuvent, par l’argent qu’ils vous soutirent de votre poche droite. 
  
          Grâce à ce système monétaire inique, il y a beaucoup plus de dettes qu’il n'y a d’actifs. En conséquence, les prix de certains actifs augmentent, du moins pour un temps, et l’épargne des gens perd de sa valeur. Vous avez fait des sacrifices pour vous payer quelque chose plus tard? Le gouvernement ne s’en fiche peut-être pas, mais puisqu’il désire d’abord satisfaire sa clientèle du jour, c’est tout comme. L’inflation dans pareil système est due uniquement au gouvernement. Les économistes ont tendance à la cacher non pas tant par complicité que par endoctrinement aux écoles de pensée dominantes. Les analystes financiers ne la comprennent pas davantage et les médias s’y abreuvent. Les gens ont aujourd’hui de gros diplômes, mais leur compréhension n’a pas suivie, du moins certainement pas celle de la praxéologie. Lorsqu’on ne peut définir le mal, on ne peut le prévenir.  
  
          Les conséquences de l’inflation se présentent aujourd’hui non pas tant dans les biens de consommation que dans les marchés boursiers, obligataires et immobiliers, tous exclus des indices d’inflation. Ces indices sont des moyennes qui excluent les habitudes particulières des gens. Or, plusieurs individus consomment essentiellement les mêmes choses toute leur vie et peuvent être affectés beaucoup plus que la moyenne par l’inflation. Celle-ci ne frappe pas tout le monde également. Certains en bénéficient, mais plus elle dure, plus la perte de pouvoir d’achat affecte tout le monde.  
  
          Une monnaie fiduciaire est un guide dont la vue faiblit avec l’âge. Les décisions qui en découlent sont faussées et entraînent cycles économiques et redistribution aveugle de richesse. La monnaie métallique est la seule monnaie légitime qui ait existé. Seule elle protège la propriété des gens, par conséquent les droits fondamentaux. L’or est indissociable du libéralisme dans son sens le plus profond, c’est-à-dire la raison, et son retour est non seulement inévitable, mais il est déjà commencé.  
  
Vente et location d’or par les banques centrales 
  
          La plupart des banques centrales se départent de « leur » or. Il est soit vendu, soit loué. Cependant, il est peu probable qu'elles le revoient, car les institutions financières qui l’ont loué, à un taux ridicule, l’ont ensuite vendu aux investisseurs. Il s’agit d’une entente tacite entre les partis. Les banquiers de l’État agissent ainsi, car cela leur sauve des frais d’entreposage. Payer pour un produit qui, à leurs yeux, ne sert plus à rien est une raison suffisante de s’en défaire. Cette vente déguisée leur procure d’autres avantages: une dépréciation de l’or qui le rend moins intéressant aux yeux des investisseurs et une « inflation » qui apparaît moins élevée lorsque mesurée par le prix de l’or. Toutefois, cette pratique ne peut durer que le temps que les banquiers de l’État en possèdent. Or, selon des études, qui s’accumulent, il en reste beaucoup moins dans les coffres des banques centrales que les gens le pensent(3) 
  
          Le bon côté de ces manipulations est que l’or se retrouve, de nouveau, de plus en plus dans les mains de la population. Procurez-vous le et gardez-le précieusement, car il pourrait être un des rares actifs à ne pas perdre de sa valeur lors des prochaines années. Les gouvernements n’ont aucun pouvoir face à une population qui rejette une monnaie fiduciaire. De sorte que pour maintenir leur pouvoir certains d’entre eux tenteront de rétablir un lien quelconque entre la monnaie et l’or. Cependant, la plus grande qualité de monnaie qui puisse exister est celle offerte librement, sans intervention aucune du gouvernement. Moins le gouvernement se mêlera des questions de monnaie, plus il y aura prospérité. Le jour où une majorité transigera avec l’or ou exigera des garanties quant à la convertibilité de leurs substituts en or, celui-ci redeviendra monnaie pour le bénéfice de tous. 
  
  
* Ce texte est inspiré d’une série d’articles intitulée « The Gold Wars » de Gary North et d’un essai d’Alan Greenspan publié en 1966. Jusqu’en 1971, la monnaie trouvait encore un certain appui en l’or. Alan Greenspan est aujourd’hui président de la puissante Réserve fédérale américaine. Il connaît le rôle de l’or comme monnaie mieux que la plupart des gens évoluant dans le secteur financier et ailleurs, mais pour des raisons sur lesquelles on ne peut que spéculer il est peut-être celui qui a permis la plus grande et la plus rapide dévaluation du dollar de l’histoire des États-Unis. La seule raison qui me vient à l’esprit pour expliquer cette témérité est qu’il pensait, peut-être pas tout à fait à tort, au moment d’accepter le poste de président en 1987, que le gouvernement américain n’envisageait pas un retour à l’étalon-or et que, dans ce contexte, il préférait la sécurité d’emploi du fonctionnaire à gérer la monnaie au travail dans le secteur privé. Ce faisant, il aura assuré son avenir personnel au risque de détruire celui de millions de gens. Ses actions font avancer l’idée d’un retour à l’étalon-or, mais de la manière la plus coûteuse qui soit.
 
1. Les banques centrales, du moins celles qui détiennent encore de l’or, peuvent régler leurs transactions entre elles par transfert d’or, mais cette pratique est tellement loin du quotidien des gens qu’il m’apparaît légitime de dire que l’or ne sert plus de monnaie.  >>
2. Je parle des étatistes et de leur incompréhension du marché, car cela est le lot de la majorité. Il y a encore moins de gens qui comprennent le rôle de l’or comme monnaie. Cependant, ce n’est pas parce qu’il y a compréhension qu’il y a assentiment ou encore respect des règles. Au début du siècle, une poignée de gens très influents ont encouragé les politiciens à démonétiser l’or. Ces banquiers étaient aussi bien étatistes que capitalistes, car une partie des bénéfices qu’ils tiraient du système bancaire se faisait au détriment des autres. Cela n'a pas changé depuis. Les dirigeants gouvernementaux qui ont suivi leurs conseils ne sont pas des victimes pour autant: d’abord, parce que ce sont eux qui leur ont attribué ce pouvoir, ensuite parce qu’ils y trouvaient leur compte, nommément par une emprise plus large sur la vie des gens. Voir « A History of Money and Banking in the United States: The Colonial Era to World War II » de Murray N. Rothbard.  >>
3. Ted Butler, en 1997, a adressé une lettre à Alan Greenspan dans laquelle il dénonçait les manipulations de l’or et de l’argent. Dans cette lettre, Butler épargne la Réserve fédérale plus par politesse qu’autre chose. Ce texte est concis et va droit au but. Depuis lors, Butler n’a cessé de dénoncer ces manipulations. D’autres études substantielles se sont ajoutées depuis, soit celle de la Gold Anti-Trust Action Committee et, récemment, celle de Sprott Asset Management Inc>>
  
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