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Nos dirigeants ont mal lu Keynes, nous le payons cher

Keynes reconnaissait qu'il fallait limiter les prélèvements obligatoires à 25 % du PIB ou encore limiter l'usage de la planche à billets. Dommage que ses thuriféraires l'aient si mal lu ! Comment s'étonner que la croissance patine et que les crises s'enchaînent ?

Fabien Clairefond pour « Les Echos »
Fabien Clairefond pour « Les Echos »

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 30 nov. 2018 à 07:57

Pourquoi la crise financière a-t-elle éclaté ? Pourquoi la reprise n'est-elle pas vraiment solide ? Pourquoi les gouvernements sont-ils incapables de s'attaquer aux défis pressants du climat, des inégalités, du vieillissement, des technologies ? Le débat en France se focalise autour du « libéralisme » : trop pour les uns, pas assez pour les autres.

La cause vient de Keynes, nous dit le sage Jacques de Larosière, ancien directeur général du FMI, dans son dernier livre (1). Pas de John Maynard Keynes lui-même mais d'une fausse lecture de son oeuvre créant un consensus « vaguement keynésien ». La racine des mauvaises solutions plonge dans cette mauvaise lecture qui a fait de l'endettement budgétaire et monétaire un subterfuge général aux réformes structurelles nécessaires.

Première fausse politique : la progression continue des dépenses budgétaires. En France, l'Etat a gonflé de 40 % son poids depuis les années 1970. Pour se financer, il a accru les prélèvements de 25 %, mais cela a été loin de suffire, la dette a triplé en proportion du PIB pour toucher les 100 %. Une course folle. « Keynes a conçu la politique de stimulation par la demande comme arme contracyclique », écrit Larosière, « mais il n'a jamais préconisé une hausse ininterrompue de la dépense publique et de l'endettement » pendant quarante ans.

Dans une lettre écrite en 1938 à son confrère Colin Clark alors en Australie, Keynes avait reconnu qu'il fallait limiter le montant des prélèvements obligatoires à 25 % du PIB. Au-delà, le trop d'impôts risquait de refroidir l'activité. 25 % ! Les prélèvements obligatoires ont franchi la barre des 1.000 milliards en France , mais les tenants des déficits, un peu à droite et beaucoup à gauche, continuent de s'appuyer sur leur lecture erronée de l'économiste du siècle dernier.

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Deuxième fausse solution : la politique monétaire. Ici encore, les banquiers centraux se réfèrent à un vague keynésianisme pour Les banques centrales doivent changer leur politique monétaire . La ligne de conduite est de ne pas refaire les erreurs de la restriction de crédits opérée lors de la grande crise de 1929 et de faire exactement le contraire : ouvrir grand les vannes à chaque choc. Telle était la ligne définie par Alan Greenspan à la Réserve fédérale, d'une succession de baisses des taux jusqu'à passer sous la ligne de l'intérêt zéro. Le « maestro » a fait école dans tous les autres pays.

Keynes pourtant avait clairement indiqué qu'en deçà d'un certain seuil (le taux d'intérêt minimal acceptable) se dégage une préférence pour la liquidité et la croissance en souffre. Une politique monétaire trop expansive joue contre elle-même.

Les déficits budgétaires néfastes et les relances monétaires excessives sont les deux causes des bulles et des crises à répétition.

Des déficits budgétaires néfastes et des relances monétaires excessives seraient les deux causes des bulles et des crises à répétition et de la croissance insipide. Parce que cet argent facile permet aux politiques de « gagner du temps » et de différer les réformes (allègement de l'Etat, éducation, concurrence) et parce qu'il a entraîné le monde dans une financiarisation devenue « extrême ». « L'endettement considérable des sociétés occidentales reflète l'affaiblissement d'un certain nombre de grandes démocraties face à leurs créanciers », souligne Larosière. Qu'on songe au gouvernement italien actuel qui crâne devant la Commission de Bruxelles mais qui se couche quand les marchés financiers décotent ses emprunts.

Comment en sortir ? Jacques de Larosière élargit son propos au système monétaire mondial, qui n'a plus de coordination depuis la rupture de Bretton Woods. « Les gouvernements ont cru retrouver leur liberté, […] en fait ils n'ont fait que se subordonner aux marchés en profitant des facilités d'endettement. » Mais lucide sur le temps populiste présent, il doute que cette coordination soit possible car elle suppose un abandon de souveraineté.

L'an passé, un autre grand sage de France, lui aussi ancien directeur général du FMI, Michel Camdessus, parvenait, dans un livre humaniste éclairant, à la même nécessité de recadrer la finance, de reconstruire un système monétaire, de rebâtir le G20 et le FMI, de redonner des capacités à l'ONU (d'abord en Afrique) (2).

La liquidité mondiale devait être régulée par une instance supranationale qui jouerait le rôle de pompe aspirante et refoulante pour éponger les excès et, de la sorte, rapprocher la finance de l'économie réelle. Cette idée avait été émise en 1930 par un grand économiste : John Maynard Keynes. Il est temps de revenir à ce qu'il a vraiment dit.

(1) « Les 10 préjugés qui nous mènent au désastre économique et financier », Odile Jacob

(2) « Vers le monde de 2050 », Fayard

Eric Le Boucher

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