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Chronique

Oubliez les robots !

Le monde regorge d’emplois. Le problème du moment, ce n’est pas la disparition du travail au profit des robots et de leurs propriétaires, c’est la mutation de nombreux emplois. Il faudra forger un nouveau contrat social.

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 26 juin 2017 à 16:16

Prophète de malheur… Voilà un emploi qui n’est pas près de disparaître. Même si nombre de ces prophètes prédisent justement la fin de l’emploi, attisant une peur aussi vieille que la révolution industrielle avec le souffle des révolutions de l’information. Il faut reconnaître que les économistes leur ont donné du grain à moudre. Deux chercheurs de l’université d’Oxford, Carl Benedikt Frey et Michael Osborne, ont lancé le mouvement il y a quatre ans en annonçant que la moitié des emplois avait une forte chance de disparaître aux Etats-Unis dans les vingt prochaines années. Les experts de l’OCDE ont évoqué ensuite plutôt un poste sur dix, ceux de France Stratégie un sur sept. Il y a trois mois, un prestigieux chercheur du MIT de Boston, Daron Acemoglu, a relancé la machine à fantasmes avec son collègue Pascual Restrepo , en montrant non les dégâts à venir des robots, mais ceux du passé. De 1990 à 2007, avant donc la récente accélération des progrès de l’intelligence artificielle, « un robot de plus par millier de salariés réduit le ratio emploi-population de 0,18 à 0,34 point ». Les estimations portent sur les Etats-Unis, mais il n’y a pas de raison de supposer une mécanique très différente en Europe.

On vous l’avait bien dit : la machine tue l’emploi ! Sauf que… ce n’est pas le problème du moment. Plus les pays emploient des robots, plus le taux de chômage est faible, comme le montrent la Corée du Sud, l’Allemagne et le Japon. Et, en pleine angoisse sur la disparition du travail, le monde s’approche du plein-emploi ! Le taux de chômage est descendu à 6 %, s’approchant du plancher où le manque de bras limite la croissance. La France est aussi concernée, même si les chômeurs y font encore 10 % de la population active. Les experts estiment en effet le « taux structurel » de chômage autour de 8,5 %, voire un peu au-delà tant les qualifications des demandeurs d’emploi sont éloignées de ce que recherchent les recruteurs. La croissance risque donc de buter non pas sur une demande laminée par les pertes d’emplois provoquées par l’automatisation, mais sur une offre de travail insuffisante. Oubliez les robots !

Enfin… gardez-les tout de même dans un coin de votre tête. La vague d’automatisation en cours constituera un défi majeur pour les décennies à venir. Un défi économique, social et politique, que nous relèverons en inventant de nouvelles formes d’organisation et de redistribution des revenus. Benoît Hamon, le candidat socialiste à l’élection présidentielle, a posé des questions essentielles, mais trop tôt. Car le problème du moment, ce n’est pas le manque d’emplois, mais l’emploi lui-même. Avec les nouvelles possibilités offertes par les technologies de l’information, les formes du travail changent et la pression sur les salaires s’accentue – d’où la rupture du lien entre plein-emploi et hausse des salaires. «Les économistes ont longtemps travaillé sur la courbe de Phillips, qui suppose un arbitrage entre inflation et chômage, résume l’économiste Daniel Cohen. Aujourd’hui, il semble que l’arbitrage se fasse plutôt entre chômage et emplois de mauvaise qualité. »

L’essor des technologies numériques fait disparaître des qualifications autrefois précieuses. Le GPS, qui connaît toutes les rues et sait forger tous les itinéraires, a ainsi tué le seul vrai avantage comparatif des chauffeurs de taxi (il sera temps de s’inquiéter plus tard des effets de la voiture autonome !). La réalité augmentée peut indiquer à l’ouvrier les pièces à prendre et les opérations à réaliser, lui faisant perdre une bonne partie d’un savoir-faire spécifique qu’il pouvait monnayer auprès de son employeur. Le numérique place en concurrence frontale des salariés qualifiés et donc correctement payés avec des indépendants ou des intérimaires aux compétences minimales mais guidés par les technologies de l’information. Dans un pays comme la France où les cotisations sociales sur le travail sont très élevées, le choc est rude.

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Les plates-formes numériques, elles, ont un autre effet : elles mettent en relation des acheteurs et des vendeurs qui n’avaient auparavant pas de moyen de se rencontrer. Elles favorisent donc l’apparition de nouvelles offres en concurrence avec des acteurs installés, comme Airbnb et les hôteliers. Elles facilitent aussi le travail à l’unité. C’est le grand retour des tâcherons ! Les plus qualifiés peuvent y trouver leur bonheur car ils espèrent vendre leurs prestations à bon prix, en organisant leur vie comme bon leur semble. En revanche, c’est le malheur des moins qualifiés, qui perdent le confort que leur avait apporté le salariat – stabilité de l’emploi, représentation collective, protection sociale, etc.

Ce n’est pas la première fois que le travail est chamboulé. Les premières révolutions industrielles avaient aussi déqualifié une partie des actifs (l’anthropologue Karl Polanyi le montre très bien dans son livre de 1944, « La Grande Transformation »). A l’inverse, elles avaient collectivisé l’organisation du travail, qui est aujourd’hui en voie de réindividualisation. Comme au tournant du XXe siècle, comme après la Seconde Guerre mondiale, nous devrons imaginer un nouveau contrat social, laisser s’épanouir de nouvelles libertés et organiser de nouvelles protections. Nous devrons d’abord chercher à comprendre les forces à l’œuvre, comme l’a fait, par exemple, Salima Benhamou, de France Stratégie , dans un récent rapport (1). En conclusion, elle cite Guy Ryder, le syndicaliste anglais qui dirige l’Organisation internationale du travail : «L’avenir du travail sera ce que nous en ferons, l’enjeu consiste à en faire ce que nous voulons.» Bien sûr, il y aura ensuite le défi des robots.

(1) « Imaginer l’avenir du travail. Quatre types d’organisation du travail à l’horizon 2030 », Salima Benhamou, Document de travail no 2017-05, France Stratégie, avril 2017.

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