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Plan pauvreté : la pièce manquante

Le plan contre la pauvreté annoncé par le chef de l'Etat donne la priorité aux enfants et ne repose plus, comme les précédents, sur les seules prestations sociales. Mais il oublie une dimension expérimentée avec succès aux Etats-Unis : la mobilité géographique, qui consiste à aider les citoyens à quitter les zones de pauvreté.

Fabien Clairefond pour « Les Echos »
Fabien Clairefond pour « Les Echos »

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 14 sept. 2018 à 07:32

Par pure coïncidence, le président français a présenté son plan de lutte contre la pauvreté alors qu'aux Etats-Unis les élus républicains et démocrates du Congrès se sont retrouvés, une fois n'est pas coutume, pour adopter dans la même semaine un projet visant le même objectif, mais de nature très différente.

Le programme consiste à aider les familles à sortir non pas de la pauvreté par des prestations ou des accompagnements comme en France, mais à les extraire des zones de pauvreté, les petites villes ou les banlieues. Ce choix, très américain, de la mobilité ne vise pas à proprement parler les adultes, mais veut donner des chances meilleures à leurs enfants.

Expérimentations américaines

Des expérimentations ont ainsi été menées dans les années 1990 pour, dans cinq villes, déplacer 4.600 familles avec enfants des zones déshéritées, définies comme ayant 40 % d'habitants pauvres, vers des zones où le taux de pauvreté est inférieur à 10 %. Les outils de ce programme (Moving to Opportunity) étaient multiples : trouver des quartiers, assister pour le déménagement, pour l'inscription à l'école et les autres services sociaux et payer le surplus de loyer qui dépasse 30 % du revenu de la famille.

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Le résultat est remarquable pour les enfants : ils seront mieux éduqués et ils gagneront dans leur vie 30 % de revenu de plus que s'ils étaient restés dans leur quartier d'origine. Ce bénéfice concerne tous les enfants (les noirs comme les blancs), mais à la condition d'avoir moins de 8 ans lors du déménagement ; plus âgés, le programme n'a aucun effet.

La loi qui vient d'être adoptée au Congrès veut élargir l'expérimentation à 22.500 familles, avec un crédit de 50 millions de dollars, puis il est prévu de poser la question à grande échelle devant le Sénat l'an prochain.

Sortir les familles des quartiers pauvres

Le plan français ne prévoit rien de tel. Il ne se concentre pas sur une augmentation des aides sociales, comme les plans précédents, mais il entend aider les enfants (dans leur école) et accompagner les adultes à retrouver un emploi. L'idée de sortir des familles de leur quartier pauvre ne se retrouve nulle part. Est-ce parce que la mobilité géographique est jugée inefficace ? Après tout, en matière d'éducation, le « busing », le transport par autocar des enfants dans des écoles hors de leur quartier, n'a pas dramatiquement réduit la fracture des inégalités en Amérique. En France, considère-t-on que la mixité obligatoire des logements sociaux répond à la question de la pauvreté des enfants ? On ne sait. Mais une expérimentation pourrait au moins être tentée.

Mobilité géographique

Plus largement que la seule pauvreté, la réponse à l'américaine par la mobilité géographique ne fait pas partie des habitudes de politiques publiques françaises. La charge à répétition contre le chef de l'Etat sur le thème des territoires qu'il « n'aime pas », et qu'il abandonnerait, s'appuie sur l'antique réflexe : il faut aider les zones qui coulent, demander des crédits, des défiscalisations, des canalisations d'emplois privés, mais surtout publics, vers ces zones sans développement autonome.

Déserts d'emplois

L'idée que le plus efficace serait peut-être de sortir les ménages de ces déserts d'emplois n'effleure personne ou presque. Aux Etats-Unis, les vieilles usines sont laissées à la rouille, donnant un spectacle de désolation qui heurte un Français; dans l'Hexagone, il faut s'accrocher à sa terre. L'avenir est ici, pas ailleurs. Et s'il est noir, la faute en revient à la puissance publique qui doit s'en mêler, investir, transformer les bâtiments en parcs d'attractions ou en ateliers pour artistes, qu'elle nationalise avant le désespoir. Encourager à partir : non. L'exode rural a été très tardif, l'exode industriel recommence. L'économie agrégative d'aujourd'hui (les talents vont aux talents) est à l'origine de la métropolisation. Les zones avec peu sont malheureusement destinées à avoir encore moins, sauf à s'inventer une nouvelle spécialité locale attractive. C'est souvent possible, mais pas partout, et l'argent dépensé à maintenir coûte que coûte les emplois d'hier sera perdu. Mieux vaudrait faire un programme à l'américaine de déménagement.

Si, pour les adultes, ce n'est pas toujours facile de retrouver un emploi parce que apprendre une nouvelle compétence est exigeant, au moins le sort des enfants s'annoncerait meilleur. Le plan contre la pauvreté annoncé par le chef de l'Etat donne la priorité aux enfants, il reprend l'idée de mobilité générationnelle pour extirper les jeunes de la trappe où sont les parents. Mais la mobilité géographique reste toujours taboue. Quand le fait de rester chez soi condamne son destin, la seule solution est de partir. La bonne politique publique serait d'y aider, pas de défendre les pauvres « territoires ».

Eric Le Boucher

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