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Pourquoi il faudra donner plus de pouvoir aux salariés

Dans l’entreprise, les salariés sont de plus en plus exposés aux risques économiques. En échange, ils devront avoir plus d’argent. Ou plus de pouvoir. Le changement est inéluctable.

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 9 oct. 2017 à 16:24

Dans le puzzle des réformes que tente d’assembler Emmanuel Macron, il y a une pièce manquante. Après avoir donné plus de poids à la négociation en entreprise, le président veut une meilleure formation professionnelle, une assurance-chômage performante adaptée, un système de retraite moins injuste. Dans un monde où plus rien n’est immobile, où chacun doit s’adapter en permanence, tout cela va dans le bon sens. Mais un sujet essentiel reste pour l’instant dans l’ombre : le partage. Partage des pouvoirs, des richesses, des risques. Or, si l’équilibre des pouvoirs est une condition de la démocratie en politique, c’est une condition de l’efficacité en économie.

Risque pour les salariés

Commençons par le risque. Dans la vision classique de l’entreprise, le partage est simple. Le salarié touche un salaire fixe et il risque de perdre son emploi si ça tourne vraiment mal. L’actionnaire touche un dividende variable, et donc assorti d’une prime de risque. Sauf que cette vision est devenue fausse. Nombre d’entreprises s’efforcent désormais de préserver les dividendes, quitte à comprimer les effectifs. Les salariés portent désormais une part du risque, sans percevoir la prime correspondante. Ce n’est pas neuf. « Il faut reconnaître que les mutations du capitalisme ont fait porter aux salariés des risques dont ils étaient protégés jusqu’à présent », constataient les économistes libéraux Augustin Landier et David Thesmar en 2005.

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Face à cette nouvelle répartition des risques, il faudrait une nouvelle répartition des richesses. Patrick Artus, l’économiste en chef de la banque Natixis, aujourd’hui sur la même ligne que Landier et Thesmar, préconise d’« associer les salariés à l’enrichissement des entreprises, pour éviter que les exigences de rentabilité élevée du capital ne conduisent seulement à ce que les salariés supportent de plus en plus le risque d’entreprise. » Ce nouveau partage était aussi le but d’une ordonnance adoptée… il y a un demi-siècle,  l’insistance de Charles de Gaulle, contre l’avis du patronat. « Il faut enfin que, dans les entreprises, la participation directe du personnel au résultat, au capital et aux responsabilités devienne une des données de base de l’économie française », affirma le président de l’époque pour justifier la création de l’intéressement et de la participation des salariés aux résultats. Leur impact reste cependant souvent marginal.

Codétermination

L’essor de l’actionnariat salarié a permis d’aller plus loin – aujourd’hui, plus de trois millions de Français détiennent ainsi des actions de leur entreprise. L’ancien président de France Télécom et de Carrefour, Michel Bon, porte la bonne parole avec l’association pour le développement de la participation et l’actionnariat salarié, Fondact . Il passe hélas ! beaucoup de temps à guerroyer avec Bercy, qui veut relever impôts et cotisations sur toutes les formes d’épargne salariale.

D’autres estiment qu’il faut aller plus loin. Partager d’abord et, surtout, le pouvoir. C’est la « codétermination », symbolisée par l’entrée au conseil d’administration de représentants des salariés prenant part aux votes. Elle passe souvent pour une exception allemande. En réalité, plus de la moitié des pays européens pratiquent une forme ou une autre de cette cogestion, avec des administrateurs salariés composant entre le tiers et la moitié du conseil (le président, élu par les actionnaires, ayant alors voix prépondérante). En 1970, une directive européenne avait même failli généraliser ce système.

En France, c’est un autre ancien PDG, Jean-Louis Beffa , qui porte le flambeau. Il avait apprécié l’efficacité du dispositif en Allemagne, où l’entreprise qu’il a longtemps dirigée, Saint-Gobain, est très implantée. Il a convaincu Louis Gallois, lui aussi familier de la gouvernance allemande via Airbus, d’introduire le sujet dans son fameux rapport de 2012 sur la compétitivité. Le rapport Gallois préconisait ainsi la présence « d’au moins 4 représentants des salariés » dans les firmes de plus de 5.000 personnes. L’année suivante, la loi en a imposé un seul (deux quand le conseil dépasse douze membres).

Une fenêtre au printemps

Les syndicats, qui ont longtemps rechigné à ce qui était qualifié de « collaboration de classes », commencent à entrer dans le jeu. Dans une interview au quotidien « Le Monde », le patron de la CFDT, Laurent Berger, a regretté l’absence d’avancées sur la codétermination dans les ordonnances sur le travail. Il a signé récemment un appel sur le sujet dans le même journal, avec notamment Daniel Cohn-Bendit, Jean-Pierre Chevènement et Jean Peyrelevade. Du côté des institutions patronales, on freine des quatre fers. Mais les chefs d’entreprise qui ont depuis longtemps des salariés dans leur conseil apprécient leur présence. Et Jean-Dominique Senard, le président de Michelin , qui a travaillé en Allemagne, a convaincu les actionnaires et la famille des fondateurs d’intégrer un administrateur salarié dans le conseil de surveillance (alors que le statut de l’entreprise, en commandite, la dispensait de l’obligation légale).

Le gouvernement aura une fenêtre pour avancer sur la question lors de la loi sur les entreprises au printemps prochain. C’est bien sûr compliqué. Les entreprises peinent déjà à respecter deux quotas pour leurs conseils (50 % d’administrateurs indépendants, 40 % de femmes). Mais dans un monde où on demande aux salariés d’être toujours plus autonomes, toujours plus impliqués, toujours plus responsables, il sera de plus en plus difficile de leur demander de n’avoir toujours aucun pouvoir.

Jean-Marc Vittori

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