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Chronique

Quelle violence est légitime ?

L'OEIL DU PHILOSOPHE - La violence monte, en France, de semaine en semaine. Légitimée par la loi, pour maintenir l'ordre public, ou bien légitimée par une logique révolutionnaire, pour changer de politique. Ou encore portée, pour certains, par la seule rage de saccager. Le mouvement des «gilets jaunes» est tiraillé entre ces trois formes, explique Roger-Pol Droit.

La violence monte, à Paris et ailleurs, de semaine en semaine.
La violence monte, à Paris et ailleurs, de semaine en semaine. (Photo Lucas Barioulet/AFP)

Par Roger-Pol Droit

Publié le 10 déc. 2018 à 09:21

Non, la France n'est pas à feu et à sang. Du moins pas encore. Mais la violence monte, à Paris et ailleurs, de semaine en semaine. Et nul ne sait où, ni quand, cessera l'escalade. Après les affrontements et saccages du 1er décembre, les prochaines manifestations risquent fort de dégénérer à leur tour. L'arrivée auprès des « gilets jaunes » de lycéens, d'étudiants et d'agriculteurs accroît la possibilité d'actions incontrôlables presque partout. Manifestants à bout de nerfs ou infiltrés par des extrémistes ou alors doublés par des pillards, le résultat est le même. Les forces de l'ordre, pour préserver ou rétablir l'ordre public, vont voir monter d'un cran, sinon de plusieurs, le niveau de leurs consignes d'action.

Ces événements endommagent des corps. Plusieurs centaines de blessés, certains gravement touchés. On laissera donc de côté d'autres formes de violence - verbale, symbolique, sociale… - pour s'intéresser uniquement à celles qui s'exercent physiquement, sur des personnes (coups et blessures) et sur des biens (dommages et destructions). A l'arrière-plan de tous les débats du moment se tient cette question classique de philosophie politique : quelle violence est légitime ?

La force et la loi

Deux réponses, inconciliables, se font face. D'un côté, celle de tous les théoriciens de l'autorité de l'Etat, de Thomas Hobbes à Max Weber, en passant par Montesquieu et bien d'autres. Selon eux, l'usage de la force n'est et ne peut être légitimé que par la loi. Max Weber parle ainsi du « monopole de la violence légitime » détenu par l'Etat. Seule la légalité autorise l'usage de la force, dans un cadre strict. La loi seule justifie cet usage, parce que, en principe, chaque citoyen a renoncé à se faire justice lui-même. En contrepartie, sa personne et ses biens sont protégés par l'autorité publique. Dans ce schéma idéal, légalité et légitimité sont synonymes. Toute violence exercée hors la loi est par conséquent illégitime.

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Mais le monde réel ne vit pas entièrement dans la légalité et la transparence des principes. Il se meut dans les rapports de force, les conflits, les tensions, voire les révolutions. A la légitimité de la violence d'Etat s'oppose, depuis des générations, une autre légitimité, que revendique la violence révolutionnaire. Ses modes d'action sont illégaux, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Malgré tout, aux yeux de ses apologistes, cette violence se trouvera légitimée par le désir de justice, la logique de l'histoire, la construction d'un autre monde. De Gracchus Babeuf à certains de nos contemporains, en passant par Marx-Engels-Lénine ou par Georges Sorel, cette violence est un moyen de changement. Sa fin est un monde meilleur. Ce qui légitime alors les violences, plus encore que souffrance et révolte, c'est le projet de casser une société, qu'on juge mal faite, pour en bâtir une autre, qu'on veut parfaite.

Dommages collatéraux

En vain, jusqu'à présent. En répétant trivialement qu'« on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs », on acquiesce par avance aux dommages collatéraux et même aux pires désastres. Pour rien, une fois encore. Car le propre des révolutions est qu'on ne voit jamais l'omelette tant annoncée… Pas plus qu'on ne voit chanter les lendemains.

En revanche, de la Terreur à la Révolution culturelle, en passant par le Goulag et Cuba (entre autres…), on constate sans peine tout ce qui fut détruit et tous ceux qui furent tués. Malgré tout, pour les tenants des révolutions, ce n'est que partie remise. Le jeu est à rejouer, le pouvoir demeure au bout du fusil. La violence reste donc, de ce point de vue, moyen légitime.

Nouveau nihilisme

Une troisième catégorie, plus étrange, s'est imposée récemment à côté de ces figures classiques. La violence pour la violence. Comme fin en soi, et non plus comme moyen pour quelque but que ce soit. Saccager pour saccager, détruire pour détruire, voilà le credo du nouveau nihilisme. Il met en oeuvre une violence absurdement autosuffisante, autolégitimée, qui ne débouche sur rien, et ne sert qu'à satisfaire la pulsion de mort.

Le mouvement multiforme des « gilets jaunes » est tiraillé entre ces trois formes de légitimation de la violence. Elles le travaillent à des degrés divers. Une part de ses contestations demeure « bon enfant » et démocratique. Une part de ses actions flirtent avec la révolution. Une frange est dans la destruction pure. La suite dépendra du dosage. Or l'équilibre semble instable et des basculements sont possibles. Du côté de la démocratie ou de la guerre civile.

Roger-Pol Droit

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