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L’autre
fait historique que l’on peut considérer comme
l’ancêtre du système monétaire de monnaie
fiduciaire moderne est l’application, dans l’Angleterre
médiévale, de la méthode du bâton de comptage pour
enregistrer le remboursement des dettes (cliquez ici pour lire l’article de Wikipedia sur le sujet)
Dans
l’économie principalement agricole du Moyen Âge, les
impôts étaient habituellement payés avec des biens, et
les paiements étaient enregistrés à l’aide
d’entailles sur des bâtons de bois, qui ensuite étaient
coupés en deux dans le sens de la longueur (le serf redevable en
gardait une moitié comme preuve de paiement). C’était une
méthode ingénieuse pour éviter la contrefaçon.
En 1100 après J.-C., le roi Henri Ier monta sur le trône
d’Angleterre, et adopta la méthode de la taille pour
l’enregistrement des paiements des impôts. À
l’époque d’Henri II, les impôts étaient
prélevés deux fois par an, et les bâtons de taille
accusant paiement des impôts de Pâques commencèrent bientôt
à circuler sur un marché secondaire, c’est-à-dire
qu’ils commencèrent à être acceptés en
paiement contre des biens et des services à moindre prix,
puisqu’ils pouvaient plus tard être présentés comme
preuve que les impôts étaient payés.
Il
ne fallut pas longtemps au roi et à son trésorier pour
réaliser qu’ils pouvaient émettre des bâtons de
taille en avance, afin de financer des « dépenses urgentes
» (comme on peut s’y attendre, ces urgences étaient
souvent liées à la guerre, le deuxième passe-temps des
gouvernements après l’extorsion de l’argent des
impôts).
La vente de ces droits sur les revenus futurs des impôts créa le
marché pour la dette du gouvernement, également une composante
essentielle du système moderne de monnaie fiduciaire.

Un bâton de bois se faisant passer pour de
l’ « argent ».
En 1660, après une brève interruption expérimentale avec
un gouvernement pseudo républicain sous Cromwell, la monarchie
anglaise fut réinstallée et Charles II commença à
régner mais avec des pouvoirs très réduits, surtout dans
le domaine des impôts.
Puisque le roi devait mendier l’argent des impôts au Parlement,
il avait énormément de mal à payer ses très
nombreuses factures. À chaque fois que Charles obtenait, de haute
lutte, la permission du Parlement d’augmenter les impôts, il
allait immédiatement encaisser les reçus d’impôts
futurs en vendant à moindre prix des bâtons de taille aux
orfèvres. Ceci nécessita l’introduction de la
méthode déjà mentionnée consistant à
rendre une telle dette payable au porteur, ce qui permit aux orfèvres
de la vendre sur le marché secondaire afin de récolter des
fonds pour prêter davantage au roi.
Ils commencèrent également à payer des
intérêts aux déposants, afin d’attirer davantage de
fonds. À ce stade, les affaires des orfèvres étaient
bonnes, car le roi était l’équivalent d’un
excellent emprunteur, sur qui l’on pouvait toujours compter pour payer
sa dette grâce aux reçus des impôts futurs. Personne ne
trouva problématique que les coffres comptèrent bientôt
plus de bouts de bois que d’or. Cette dette gouvernementale
représentait un marché actif, et les orfèvres en
profitaient bien.
Entre-temps, le roi décida de circonvenir au Parlement et
commença à émettre des bâtons de taille à
sa guise (notons que la moitié de l’un de ces bâtons, qui
restait à la trésorerie, possédait un manche et
était appelé le « stock », terme qui a
évolué jusqu’à décrire les actions des
sociétés cotées en bourse aujourd’hui).
Naturellement, Charles II était plus qu’heureux
d’échanger des bouts de bois contre de l’or, et comme on
pouvait s’y attendre, il déclencha bientôt un
véritable boom du crédit en augmentant sa production de
bâtons de bois.

Charles II, le
« Monarque Joyeux », dans toute sa splendeur, les yeux
rivés sur le butin
Pourquoi
était-il surnommé le «Monarque Joyeux » ? Eh bien,
vous seriez joyeux aussi si vous pouviez déclencher un énorme
boom du crédit en échangeant des bouts de bois contre de
l’or.
Alors, que fait un roi avec tout cet or reçu en échange de
bouts de bois ? Au cours de ses 25 ans de règne, il perdit trois
guerres (deux contre les hollandais et une contre les Français), il
survécut à quatre parlements différents (dont seulement
le premier lui était hostile), il aida à créer la
compagnie des Indes orientales, conclut des accords douteux avec Louis XIV
(son cousin), engendra une horde d’enfants illégitimes dont il
en reconnut 14, et était célèbre pour sa cour
hédoniste. En effet, tout cela était très « joyeux
».
Bien sûr, il existait une limite naturelle à cette expansion de
la dette. Une fois que tout l’argent des déposants avait
été transféré au roi, il ne pouvait se procurer
des dépôts supplémentaires d’or qu’en offrant
des taux d’intérêt supérieurs à ceux
d’avant.
En 1671, l’escompte annuel sur la dette du roi avait atteint 10 %, et
en raison du remboursement de fonds gigantesques collectés par de
nouvelles émissions de dette, il était clair que les choses ne
marchaient plus pour lui. Soudainement, et de manière plutôt
commode, Charles se souvint de l’existence d’une loi contre
l’usure, et les taux d’intérêt supérieurs
à 6 % furent interdits.
Avec tous ses prêts récents, comportant un escompte bien plus
important, il déclara tout simplement la dette illégale, et
cessa de la rembourser (à quelques judicieuses exceptions
près). En une nuit, les bâtons de taille du roi redevinrent ce
qu’ils avaient toujours été : des bouts de bois sans
valeur.
Les créditeurs du roi, principalement les orfèvres et leurs
clients, avaient littéralement tiré la courte paille (si vous
demandiez d’où venait cette expression, c’est de
là).

Charles
II comme il semble qu’on s’en souvienne aujourd’hui, un
chevalier en armure brillante, et non le voleur tyrannique qu’il
était en réalité.
Bien que les bâtons de taille étaient encore utilisés
jusqu’au début du XIXe siècle, et formèrent
même une partie du capital de la banque d’Angleterre lorsque
celle-ci fut fondée en 1694, le marché secondaire ne
s’est jamais vraiment remis de ce coup. D’un coup de crayon,
Charles avait anéanti la plus grande partie du système bancaire
bourgeonnant de Londres, et transformé un très grand nombre de
ses créditeurs en contribuables involontaires sans ressources.
Et pour comble, il gagna même une victoire de propagande, car le peuple
rendit les orfèvres responsables de la situation (bien sûr, ces
derniers n’étaient pas totalement innocents, et par-dessus tout,
ils avaient été crédules).
En revanche, ce qu’a réussi le
système de bâtons de taille et son application par Charles II
fut de soulever la question de savoir comment on pourrait faire
« fonctionner » un système de monnaie fiduciaire
A
suivre…
Mish
GlobalEconomicAnalysis.blogspot.com
ish's
Global Economic Trend Analysis
Réflexions sur de débat de
l’inflation /déflation/stagnation et autres remarques sur
l’or, l’argent, les monnaies, les taux
d’intérêts et les politiques monétaires affectant
les marchés mondiaux.
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