Si le droit de propriété a
longtemps constitué un rempart protégeant le citoyen contre les
intérêts des puissants, il est aujourd’hui en France
bafoué d’une manière autrement plus perverse
qu’à l’époque monarchique. Dans notre pays
cohabitent, il est vrai, deux concepts contradictoires puisqu’à
la déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
s’oppose une soumission absolue aux pouvoirs publics. Comme nous allons
le voir dans le monde réel, c’est la liberté individuelle
qui est sacrifiée à l’absolutisme bureaucratique.
Le texte ci
dessous a été prononcé par M. Pierre Jouventin,
chercheur au CNRS de Montpellier, lors du colloque
"Environnement-propriété" de l'ICREI de juin 2006,
dont je vous ai déjà présenté les actes.
Dans ce texte court mais corrosif, Pierre Jouventin
démontre comment certains élus locaux peu scrupuleux, sous le
prétexte fallacieux d'un très hypothétique
"intérêt général", détournent les
outils législatifs existants au profit d'intérêts
personnels.
"NIER LE DROIT DE PROPRIETE EN
ABUSANT DU CONCEPT D’INTERET GENERAL"
Par Pierre Jouventin
En
1763, William
Pitt concluait ainsi son Discours à la
Chambre des Lords : "Dans
sa chaumière, l’homme le plus pauvre peut défier la toute-puissance
du souverain. Son frêle toit peut trembler, le vent la traverser, la
tempête et la pluie entrer, mais le roi d’Angleterre ne pourra
jamais entrer et ses soldats n’oseront pas franchir le seuil du logis
en ruines".
L’incorruptible
parlementaire doit se retourner dans sa tombe car si le droit de
propriété a longtemps constitué un rempart
protégeant le citoyen contre les intérêts des puissants,
il est aujourd’hui en France bafoué d’une manière
autrement plus perverse qu’à l’époque monarchique.
Dans notre pays cohabitent, il est vrai, deux concepts contradictoires
puisqu’à la déclaration des droits de l’homme et du
citoyen, s’oppose une soumission absolue aux pouvoirs publics. Comme
nous allons le voir dans le monde réel, c’est la liberté
individuelle qui est sacrifiée à l’absolutisme
bureaucratique.
Lorsqu’une
autoroute, une ligne de haute tension ou de TGV est construite et qu’un
propriétaire s’oppose à son passage, il parait
légitime (*) que l’intérêt public prime sur
l’intérêt privé et que le propriétaire soit
exproprié après avoir reçu une juste
indemnisation.
Mais
les communes ont obtenu que ce principe de la primauté de
l’intérêt public soit élargi pour permettre
la mise en place d’ "équipements collectifs". La
nature de ces équipements étant variable et leur aspect
collectif étant parfois discutable, une brèche a
été ouverte dans le droit de propriété permettant
à certains élus de spolier les petits propriétaires. Si
une route présente en effet un intérêt
général manifeste, la loi française considère
qu’un ensemble immobilier mis en place par des promoteurs n’est
pas d’intérêt public alors que le même ensemble
promu par une collectivité territoriale l’est, les élus
étant par définition les représentants de
l’intérêt public. La justification de cette
différence subtile se trouve dans le fait qu’une partie
des immeubles de la Zone d’Aménagement Concerté (ZAC)
doit être attribuée au logement social(**).
Or
le ministre Jean-Louis Borloo (nd.VB: A l'époque, en 2006,
ministre de la ville) a étendu la définition du
logement social à tout logement aidé par l’Etat,
donc aux placements immobiliers effectués dans le cadre de la loi
Robien pour lesquels aucun critère social n’est demandé
au locataire : la frontière entre privé et public est donc
devenue si floue qu’elle a parfois disparu… Grâce
à cet élargissement du concept d’intérêt
général, de plus en plus de mairies parviennent à
contourner le droit de propriété récupérant du
terrain à bâtir par des expropriations présentées
comme des réhabilitations sociales.
Du
moins la loi prévoit-elle d’indemniser les propriétaires
au juste prix, mais d’autres lois permettent d’y échapper
et même de transformer un projet social coûteux en une
opération immobilière bénéficiaire. En effet de
plus en plus de mairies manquent de terrain et d’argent alors que le
prix du foncier s’envole. Dans le midi de la France en particulier,
certaines claironnent en novlangue qu’elles « maitrisent le
foncier » et « font du social » tout en mettant en place un
système infaillible de spoliation, un rouleau-compresseur qui permet
d’exproprier légalement pour une bouchée de pain puis de
revendre la plus grande partie des terrains au centuple du prix payé
au propriétaire.
Dans
le Plan Local d’Urbanisme (PLU, auparavant POS ou Plan
d’Occupation des Sols), il suffit de mettre en « Zone verte
» les terrains faciles à viabiliser sous prétexte de
protection de l’environnement ce qui les rend inconstructibles. Les
prix sont alors gelés de même que l’urbanisation et, de
fait, une réserve foncière est créée dans
laquelle la mairie sera seule à pouvoir puiser au fur et
à mesure de ses besoins. Quand une vente a lieu, la mairie exerce son
droit de préemption et quand bon lui semble, elle transforme la zone
verte en zone à urbaniser (AU0-6) puis crée une ZAC afin
d’exproprier au prix dérisoire que fixe le Service des Domaines
à un terrain inconstructible. A la prochaine
délibération du Conseil Municipal, le terrain devient
constructible et voit son prix multiplié par cent.
La
mairie n’a évidemment pas le droit de spéculer mais elle
crée une société d’aménagement, un
organisme-relais auquel elle revend plusieurs fois plus cher les terrains
expropriés et qui détient le monopole de leur viabilisation.
Après installation de l’eau et de
l’électricité, la société-écran
construit quelques HLM pour justifier toute l’opération.
Surtout, elle revend plusieurs dizaines de fois plus cher le terrain à
bâtir aux promoteurs qui revendent, le plus souvent comme placement
immobilier, les appartements construits au prix du marché. Croyant
promouvoir le logement social, le législateur a favorisé la
spéculation. Il a cru protéger les propriétaires
d’une part par l’enquête publique dont la mairie peut ne
pas tenir compte et d’autre part par une indemnisation au prix du
marché dont nous avons vu ce que font les maires peu scrupuleux.
Cette
escroquerie légale n’est possible que grâce à la
bienveillance de la législation française qui postule
qu’un élu représente nécessairement le bien public
et qu’il n’est pas nécessaire de donner au
propriétaire -même par une action en justice- le droit de
discuter cette conception unilatérale de l’intérêt
général. L’exproprié peut réclamer un
meilleur prix pour son bien mais il ne peut s’opposer à
l’expropriation car, simple citoyen, il n’est pas qualifié
pour définir le bien public. Bref, nous nous retrouvons dans le
classique cas de figure du seigneur qui, avant la révolution
française, piétinait les blés du fermier lors de ses
chasses à courre : défenseur légitime du peuple du fait
de son château-fort et ses hommes d’armes, il était -de
droit- le seul à représenter l’intérêt
général.
A rapprocher de
ce que j'écrivais récemment: notre droit du sol est devenu un instrument de vol
légalisé, généralement au
profit des mieux nantis. Sans parler de la corruption
qu'il favorise.
(*) Naturellement, je pense que
l'auteur reste trop formaté par des années de conditionnement
étatique, lorsqu'il estime qu'il y a des cas où
"l'intérêt public" peut primer sur
l'intérêt privé, car cela ouvre la porte à toute forme
de spoliation. Ce qu'il démontre fort bien dans la suite de son
propos.
(**) Pratique
appelée "inclusionary zoning"
outre atlantique, dont j'ai eu l'occasion d'exposer, par
l'intermédiaire d'une recherche universitaire,
la contre-productivité économique en terme
de production totale de logements.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow
de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks
tanks francophones dédiés à la diffusion de la
pensée libérale. Spécialiste d'aménagement du
territoire, Il est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du
logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon),
où il montre que non seulement l'état déverse des
milliards sur le logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics
sont directement à l'origine de la crise. Au pays de l'état
tout puissant, il ose proposer des remèdes fondés sur les
mécanismes de marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec
2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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