Avertissement :
l’article qui suit est entièrement fictionnel, à l’exception des passages qui
ne le sont pas. Il décrit le processus d’évolution en cinq étapes d’un
office familial.
J’ai ressenti le besoin d’écrire
cet article, qui est représentatif d’une grande majorité des offices
familiaux, et pourrait en aider quelques-uns à éviter des maux de tête
potentiellement douloureux.
Première
étape : le patriarche constitue son patrimoine
Voici l’histoire de Hans
Krapenschitter et de sa progéniture. C’est à la fin des années 80 que Hans,
alors âgé d’une trentaine d’années, a fait fortune. L’Allemagne était aux
prises de la récession, les usines étaient closes, les gens n’avaient plus de
travail, les prix de l’immobilier s’étaient effondrés, et les ourlets se
cousaient désormais beaucoup plus bas. Une situation épouvantable.
Des gourous ont émergé de nulle
part, pour dire à tous que le monde ne souffrirait plus jamais de la
cupidité, de l’avarice, du crédit facile et des jupes courtes.
Le futur serait fait de
cueillette de chou frisé dans les jardins communautaires locaux, de films
dans lesquels des jeunes filles portant longues robes fluides et bonnets se
promèneraient dans les prés, cueillant des pâquerettes, tombant amoureuses de
leur instituteur. Il n’y aurait plus de films dans lesquels des gens se font
battre ou abattre dans une boîte de nuit licencieuse, et les jupes des filles
tomberaient désormais bien en-dessous des genoux.
Pour Hans, c’était là un cauchemar
devenu réalité. Et connaissant lui-même quelque chose de la nature humaine,
il a su saisir l’opportunité qui s’offrait à lui. Il a lancé une entreprise
de production de t-shirts imprimés de crânes et de slogans du type Ich werde deinen Arsch treten.
Il a également lancé la ligne de
vêtements pour femme la plus outrageuse jamais créée. Si le monde allait se transformer
en une version globale de La Mélodie du Bonheur, ce ne serait pas sans
un dernier combat de la part de notre cher Hans.
Fort heureusement, la récession
a fini par prendre fin, pour redonner vie à la cupidité, à l’avarice et au
crédit facile. Le crédit facile lui a permis de développer son entreprise
pour capturer une vaste part du marché du nouvel esprit de l’époque, à mesure
que les femmes de footballeurs sont devenues des célébrités et que les
vêtements féminins sont devenus inversement corrélés avec les quantités de
tissu utilisées. La belle époque était de retour.

Hmmm, ok
Deuxième
étape : les banquiers s’y intéressent
Après avoir encaissé quelques gros
chèques auprès de sa banque locale, Hans reçoit une lettre de sa part.
Cher Mr Krapenschitter,
Laissez-moi me présenter. Mon
nom est Mr Frederick
Arsenlichker, et je suis très heureux d’avoir été choisi pour être votre
banquier personnel. Chez Ditschke Bank, nous nous faisons un point d’honneur
d’offrir un service personnalisé à nos clients les plus estimables, c’est
pourquoi je serai à votre service pour vous renseigner quant à la gamme de
produits qui vous est désormais disponible.
N’hésitez pas à me faire part
de vos disponibilités pour que nous puissions discuter de vos besoins en
personne.
Cordialement
Frederick
Arsenlichker (gestion de capital privé, Ditschke Bank)
Hans est flatté. Il se sent apprécié,
bien qu’il ne comprenne pas exactement ce qui vient de lui arriver (ce que
tout cela signifie, c’est qu’il sera désormais spammé par tous les produits
que la banque peut lui offrir – qu’il en ait besoin ou non, et qu’ils soient
appropriés ou non).
Mais revenons-en à Frederick...
Frederick est le genre de
personne qui passe plus d’une heure dans la salle de bain chaque matin, et
qui vérifie l’état de sa frange à chaque fois qu’il passe devant une surface
réfléchissante. Âgé d’une trentaine d’année, il a déjà appris tous les
tenants et aboutissants des opérations de vente. C’est un plaisir d’aller
boire un verre avec lui, et il en sait suffisamment quant à ses produits pour
impressionner les profanes. Il sait comment vendre les produits de sa banque,
mais il n’a jamais eu à gérer de risques – et c’est là même que les
véritables problèmes font surface.
Ce n’est pas de sa faute. Il a
passé sa vie à vendre. Fort heureusement pour lui, il est intelligent, et il
est conscient de ce qu’il ne sait pas. Bien d’autres hommes comme lui
ressemblent à des petits garçons de 10 ans qui viennent de regarder Rocky et
qui, bien qu’ils n’aient jamais appris à se battre, pense avoir ce qu’il faut
pour mettre dix hommes au sol. Parce qu’ils ont observé d’autres vendeurs,
ils se croient à la hauteur de leur tâche. Mais beaucoup ne le sont pas.
Troisième
étape : Hans a besoin d’aide
L’entreprise d’Hans se propage plus
vite qu’un feu de forêt australien pour prendre d’assaut le marché
britannique, où la culture macho apportée par la musique Britpop a fait se
développer une variété nouvelle d’acheteurs odieux, qui ne sont cette fois-ci
plus des jeunes hommes, mais des filles. Sa marque de vêtements est LA marque
à porter. Après avoir signé un contrat de distribution avec le deuxième plus
gros détaillant du pays, il voit son capital gonfler de plus belle.
Même après avoir acheté la
propriété ridicule que voulait sa femme sur la Côte d’Azur, il a de plus en
plus d’argent avec lequel il lui faut probablement faire quelque chose.
Il fait quelques investissements
basés sur les suggestions de plusieurs banquiers privés.
Voyez-vous, Frederick n’est pas
son seul contact dans le monde bancaire. Pour satisfaire les besoins de son
entreprise, Hans a dû établir des relations avec huit banques, qui lui ont
toutes affecté un banquier privé pour l’assister dans ses démarches.
Ces banquiers personnels l’invitent
assez souvent à des réceptions privées, et Hans a pu découvrir, pour son plus
grand plaisir, que les tickets pour le Grand Prix de Monaco ou la finale des
championnats d’Europe lui sont désormais accessibles gratuitement. Non pas
qu’il n’aurait pas les moyens de s’en acheter s’il le souhaitait, mais il
fait toujours bon obtenir quelque chose contre rien du tout. Le problème,
c’est qu’Hans commence à se sentir débordé. Tout son capital doit aussi être
géré.
Voilà des années qu’il connaît
Frederick, et il l’apprécie beaucoup. Bien des banquiers lui paraissent trop
agressifs. Il y a d’abord cet Espagnol, Eduardo, qui a essayé de lui payer
une prostituée la dernière fois qu’ils se sont rendus à une soirée cocktails
organisée par sa banque. Il ne pense pas que sa femme aurait beaucoup
apprécié.
Frederick, quant à lui, est
aussi le conseiller d’une centaine d’autres clients. Il commence à en avoir
assez de son salaire de base avec commissions, d’avoir à pointer quand il
arrive et quand il part tel un spermophile bien entraîné. Et puis
l’atmosphère intellectuelle d’une grosse banque est suffocante.
Il a donc essayé de solidifier
son réseau d’investisseurs et a commencé à sonder le terrain.
Quatrième
étape : Hans emploie de l’aide
Hans : Frederick, je
suis débordé. Je vous connais depuis longtemps, et je vous fais confiance.
Connaissez-vous quelqu’un que vous puissiez me recommander pour m’aider à gérer
mon argent à plein temps ?
Frederick : Maintenant
que vous me le demandez, voilà un moment que je pense à le faire moi-même
pour quelques clients, et je serais intéressé de le faire pour vous.
Autour d’un verre de schnaps et
d’une assiette de saucisses, Frederick devient le directeur des
investissements de l’office familial Krapenschitter, et peut enfin faire
tomber sa chemise et sa cravate en faveur d’un t-shirt, parce qu’Hans a après
tout fait fortune grâce à une ligne de vêtements que des banquiers ne
porteraient jamais.
Cinquième
étape : le désordre
Frederick doit maintenant
apprendre les différences entre vendre un produit et investir sur un produit.
Il contacte ses amis banquiers et établit une liste de produits sur lesquels
Hans pourrait placer son capital. Parce que les banques génèrent beaucoup de
frais, et ont deux règles d’or :
- Générer autant
de frais que possible, et
- Essayer de
garder leurs clients
Il est assez difficile de parvenir
à ces deux objectifs. Pour y parvenir, il est nécessaire de doucement piller
un client, sans jamais qu’il ne se rende compte de ce qui lui arrive.
S’il y a une leçon que Frederick
a pu tirer de ses années passées à la banque, c’est que les clients n’aiment
pas perdre de l’argent. Ainsi, des revenus fixes sont faciles à vendre. Les
frais sont raisonnables, et les clients ne partent pas, parce qu’ils ne
peuvent pas perdre d’argent avec des revenus fixes. Ou quelque chose dans le
genre.
Ce que
les vendeurs ne comprennent pas
Les amis de Frederick vendent
tous des produits à revenus fixes ou, mieux encore, des fonds à faible volatilité.
Ces derniers n’ont fait que
grimper tout au long de leurs carrières (une décennie ou deux). D’après leur
expérience, ces fonds fonctionnent. Ils ne connaissent rien d’autre. Pour
eux, l’Histoire remonte aux iPhones qui ne prenaient pas de photo. Quelle folle
époque c’était !
Les amis de Frederick ne savent
rien si ce n’est que les sociétés pour lesquelles ils travaillent leur
demandent de vendre ces produits.
Ce qu’ils ne savent pas non plus,
c’est que les fonds à faible volatilité qu’ils vendent à leurs clients sont
reconditionnés sous la forme d’obligations synthétiques et vendus sur le
marché des capitaux institutionnels.
Les négociateurs émettent des
options contre ces fonds, et fournissent ainsi des revenus réguliers. Ces
fonds sont ensuite vendus en tant qu’instruments porteurs de rendements aux
fonds de pension et à d’autres institutions. « Ils ne présentent que
très peu de risques, » leur dit-on. Ils sont présentés comme ayant une
très faible volatilité. Parce qu’ils sont presque comme des obligations. Non,
vraiment.
Certains négociateurs pour
comptes propres connaissent les risques qui y sont liés, mais beaucoup n’en
ont pas conscience. Tant que Frederick et la longue liste de clients dans le
réseau d’affiliés des banques continuent d’acheter ces produits, ils peuvent
continuer de leur rapporter de l’argent.
Frederick, qui connait
maintenant très bien le secteur, réalise que les actions devraient
représenter une grosse portion des actifs d’Hans. Parce qu’il ne suit pas les
marchés (il regarde Bloomberg et CNBC, mais ne comprend pas ce qui influence
la liquidité, les flux transfrontaliers, la vélocité de la monnaie, ou la
raison pour laquelle il est nécessaire de suivre le prix de l’or), il ne
comprend pas non plus les cycles des marchés, et devient simplement un
responsable de répartition des actifs dépendant de ses amis (qui sont tous
dans le domaine du courtage).
Sur le papier, le portefeuille
d’Hans semble assez raisonnable, tout en présentant le genre de risque
qu’aurait fui Evel Knievel.
Hans se voit présenter toutes sortes
d’opportunités d’investissement et, ne les comprenant pas, il les transmet à
Frederick pour qu’il y jette un œil.
Un fonds sur l’or ?
Pourquoi diable investir sur un fonds sur l’or, se demande-t-il.
Il recherche le prix de l’or sur
internet, et se rend compte que le métal traverse un marché baissier depuis
vingt ans. Quel genre de personne investirait là-dessus ? C’est
fou !
Il contacte ses amis et leur
demande s’ils disposent d’un fonds sur l’or dans leur ligne de produits, et
ce qu’ils en pensent. L’un d’eux en a eu un pendant un temps, qui a été fermé
pour manque d’intérêt. Clairement, un fonds sur l’or est une perte de temps.
Hans, patriarche qui a su
accumuler un immense capital, et n’a jamais saisi la différence entre une
position à la vente et une position à découvert, a fait de Frederick le
directeur d’investissements de Krapenschitter et de ses 450 millions de
dollars.
Ce qu’aucun des deux ne réalise,
c’est que tous deux se sont laissé emporter dans une guirlande
d’investissements qu’aucun d’eux ne comprend vraiment. Des investissements
destinés à permettre aux banques de faire de l’argent au travers de leurs
frais et du négoce de positions propres contre des produits qui génèrent de
gros rendements.
Frederick, pour sa part, veut
s’assurer de pouvoir garder son travail, c’est pourquoi il se contente de
suivre ses amis vendeurs qui, quant à eux, vendent ce qu’on leur demande de
vendre.
Et pendant que tout cela se
passe, le marché se prépare à l’inévitable – parce que tous les marchés
suivent un cycle, et que celui-ci est sur le point de se renverser.
Mais Hans est sur la Côte d’Azur
à profiter du soleil, et Frederick organise des vacances avec sa nouvelle
copine. Il va l’emmener à Ibiza, où il pourra porter la dernière ligne de
vêtements d’Hans. Il n’en peut plus d’attendre.
« Un banquier est quelqu’un
qui vous prête son parapluie quand le soleil brille, mais vous demande de le
lui rendre dès que la pluie commence à tomber. » - Mark Twain
Remerciements : Chris,
de chez www.CapitalistExploits.at
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