Cet article d’histoire de la
pensée économique vise à rappeler l’importance du débat de l’école française
du XIXe siècle sur la question de la fausse monnaie pour la
définition des termes du débat monétaire et bancaire contemporain entre les
économistes autrichiens.
La confrontation des
différentes théories de la monnaie, du système bancaire et du crédit,
constitue sans aucun doute la controverse la plus importante de la science
économique, et mérite à ce titre une attention toute particulière. La
compréhension du fonctionnement du système économique tout entier, et en
particulier des causes institutionnelles à l’origine du cycle économique,
repose sur des hypothèses et des fondements théoriques quant à la nature même
de l’ordre monétaire, bancaire et financier.
C’est pourquoi la polémique
qu’ont eue les économistes français du XIXe siècle sur la question
de l’émission des billets de banque nous permet de retracer l’histoire des
débats entre les différentes écoles économiques, et d’éclairer les
positionnements intellectuels des économistes contemporains, notamment ceux
de l’école de la banque libre et de leurs opposants. En effet, comme nous
allons le montrer, les débats de l’école française d’économie politique
peuvent être considérés comme la préfiguration historique des polémiques
actuelles entre les économistes autrichiens
sur la question des réserves fractionnaires et du crédit bancaire.
L’école française d’économie
politique était en fait composée d’un groupe influent d’économistes, disciples
de Jean-Baptiste Say,
qui ont défendu à la fin du XVIIIe siècle et pendant une grande
partie du XIXe siècle le libre-échange, la libre concurrence, la
propriété privée et le laissez-faire. L’apogée de cette école vint avec la
fondation du Journal des économistes en 1841, une revue économique
influente qui a été dirigée successivement par Jean-Gustave
Courcelle-Seneuil, Gustave de Molinari et Yves Guyot, et qui a eu des
contributeurs aussi éminents que Léon Walras, Frédéric Bastiat, Vilfredo
Pareto ou encore Charles Coquelin ;
et avec la Société d’économie politique, l’une des plus anciennes
sociétés savantes, fondée en 1842 sur le modèle de la Society of Political
Economy.
Le débat sur la fausse
monnaie dans le Journal des économistes (1866)
En 2002, Oskari Juurikkala a
publié un article dans le Quarterly Journal of Austrian Economics sur
le débat de 1866 sur la « fausse monnaie » entre les économistes
français du XIXe siècle, qui s’affrontaient de manière interposée dans le Journal
des économistes[4].
Il faisait l’hypothèse que les éléments, les théories et les arguments
contenus dans les débats monétaires et bancaires de l’école autrichienne
actuelle constituent en quelque sorte l’héritage intellectuel des conceptions
monétaires élaborées dans cette revue.
Ce débat sur la « fausse
monnaie » opposait deux courants au sein de l’école française d’économie
politique du XIXe siècle. D’un côté, les partisans d’un système de
banque libre à 100% de réserves, dont faisaient partie Victor Modeste
et Henri Cernuschi,
et qui pensaient que l’émission de monnaie fiduciaire devait être garantie et
adossée à un stock d’or correspondant, afin d’en assurer la stabilité de la
valeur. De l’autre, les partisans d’un système bancaire à réserves
fractionnaires, où on comptait Jean-Gustave Courcelle-Seneuil
(rédacteur en chef de ce fameux Journal des économistes) et ses
disciples – notamment Gustave du Puynode
et Théodore Mannequin
– qui défendaient à leur tour une liberté bancaire illimitée et la libre
détermination de la quantité de billets en circulation par les banques
commerciales, notamment par des moyens d’innovation bancaire tels que les
réserves fractionnaires.
La particularité du débat
français d’économie politique, par rapport à l’école anglaise, était que la
plupart des économistes s’accordaient sur la nécessité de l’interdiction du
monopole d’émission des billets par la banque centrale, alors que les Anglais
pensaient que la banque d’Angleterre était légitime dans son rôle de prêteur
en dernier ressort et de privilège monopolistique exclusif dans l’émission
des moyens fiduciaires (accordé en 1844).
Même si les deux traditions
avaient un désaccord fondamental sur l’attribution du monopole à une banque
centrale, on peut retrouver les mêmes lignes de fractures sur la question de
la couverture partielle ou intégrale des billets de banque entre l’école de
la banque – libre ou centrale – et l’école de la monnaie – libre ou centrale
– selon la classification de Vera C. Smith[13]
que nous détaillerons plus tard.
À suivre
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