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Bastiat
philosophe
Proudhon
disait : « La propriété c’est le vol ». Tel n’est pas le point
de vue de Bastiat
pour qui la propriété possède un fondement philosophique légitime. Elle n’est
pas une simple possession fondée sur la force comme chez Rousseau ou Hobbes,
elle n’est pas un simple droit coutumier que la politique se contente de
protéger, comme chez Montaigne ou Pascal. La propriété est un droit qui tient
sa légitimité de son fondement moral.
Bastiat précise : « J'entends par propriété le
droit qu'a le travailleur sur la valeur qu'il a créée par son travail »
(Propriété et Loi). Il ne s’agit pas seulement de la propriété
foncière. La propriété est une
conséquence nécessaire de la constitution de l’homme, de ses facultés et de
ses besoins. Pour se conserver, l’homme doit travailler, user de ses facultés
pour transformer la matière et l’adapter à ses besoins. « L'homme naît propriétaire, écrit Bastiat, parce
qu'il naît avec des besoins dont la satisfaction est indispensable à la vie,
avec des organes et des facultés dont l'exercice est indispensable à la
satisfaction de ces besoins. Les facultés ne sont que le prolongement de la
personne ; la propriété n'est que le prolongement des facultés » (Propriété
et Loi).
Pour comprendre le fondement moral de la
propriété, il faut donc partir de ce principe que l’homme doit travailler
pour vivre et que le fruit de son travail est le prolongement de ses
facultés, c’est-à-dire de sa personne. Entendu en ce sens, le droit de
Propriété fait partie de ces droits qui ne dérivent pas de la loi positive,
mais la précèdent et sont sa raison d'être. En effet, « la loi est
l’organisation collective du droit individuel de légitime défense » (La
loi). Elle a pour mission de défendre la personne et ses biens.
Bastiat est
ainsi conduit à opposer deux systèmes philosophiques antagonistes. Le premier
système est celui de Rousseau, pour qui le législateur doit organiser la
société, comme un mécanicien qui invente une machine à partir d’une matière
inerte. « Celui
qui ose entreprendre d'instituer un peuple, dit Rousseau, doit se sentir en
état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine, de transformer chaque
individu qui, par lui-même, est un tout parfait et solitaire, en partie d'un
plus grand tout dont cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son
être ».
Le second système, le système de la liberté,
est celui pour lequel la société, les personnes et les propriétés existent
antérieurement aux lois. Dans ce système, ajoute Bastiat, « ce n'est pas
parce qu'il y a des lois qu'il y a des propriétés, mais parce qu'il y a des
propriétés qu'il y a des lois » (Propriété et Loi).
Dans le premier système, celui de Rousseau, le
législateur a pour mission d'organiser, modifier, supprimer même la
propriété, s'il le trouve bon. Pour Rousseau, la propriété n’est pas
naturelle mais conventionnelle, comme la société elle-même. Cette idée
provient du droit romain, dont Rousseau était imbu. À son tour Robespierre
pose le principe que « La propriété est le droit qu'a chaque citoyen de
jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi ».
Dans le second
système, celui de Turgot, Say et Bastiat, il existe donc une loi naturelle,
indépendante du bon plaisir des législateurs. Elle est valable pour tous les
hommes et antérieure à toute société. Ici Bastiat s’inscrit ici dans
l’héritage des physiocrates, et par-delà, dans la tradition de la philosophie
du droit de Cicéron et d’Aristote. La loi ne crée pas le droit. Elle a pour
mission de le défendre.
Bastiat économiste
« S'il y a des lois générales qui agissent
indépendamment des lois écrites et dont celles-ci ne doivent que régulariser
l'action, il faut étudier ces lois
générales. » Ainsi l’économie politique est la science qui étudie les
lois de l’action humaine. « Si, au contraire, ajoute Bastiat, la
société est une invention humaine, si les hommes ne sont que de la matière
inerte, auxquels un grand génie, comme dit Rousseau, doit donner le sentiment
et la volonté, le mouvement et la vie, alors il n'y a pas d'économie
politique; il n'y a qu'un nombre indéfini d'arrangements possibles et
contingents; et le sort des nations dépend du fondateur auquel le
hasard aura confié leurs destinées. » (Chapitre I des Harmonies
Économiques)
L’économie doit aussi décrire
les effets des décisions politiques sur la société. Mais selon Bastiat, elle
doit être attentive, non pas seulement à ses effets à court terme sur un
groupe particulier mais plutôt à ses conséquences à long terme pour la
société dans son ensemble.
Bastiat écrit : «
Entre un mauvais et un bon Économiste, voici toute la différence : l'un s'en
tient à l'effet visible ; l'autre tient compte et de l'effet qu'on voit et de
ceux qu'il faut prévoir. Mais cette différence est énorme, car il arrive
presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les
conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. » Henry
Hazlitt, un économiste américain disciple de Bastiat, précise : « L'art de
l'économie consiste à identifier non seulement les effets immédiats, mais les
effets à plus long terme de tout acte ou de toute décision politique, il
consiste à identifier les conséquences d’une politique non seulement pour un
groupe, mais pour tous les groupes » (Henry Hazlitt, L'économie en une
leçon, 1946).
Parce
qu’identifier les effets cachés d'une décision politique exige un effort, les
électeurs ne voient que les avantages immédiats valorisés par les politiciens
et les médias. Souvent, ils ne peuvent pas mettre en relation les décisions
du gouvernement avec les frais supplémentaires, générés indirectement par le
ralentissement des échanges économiques ou directement par l’augmentation de
l'inflation et des taxes. Les avantages temporaires de la promesse électorale
l'emportent sur le coût d’une action pour la combattre. Le problème en
démocratie, c’est que l’électeur n’a pas les moyens d’être un bon économiste.
Bastiat a illustré sa
distinction entre ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas par un pamphlet
appelé Le sophisme de la vitre cassée. Le garçon qui brise la fenêtre
d'un voisin donne du travail au verrier. C’est ce qu’on voit. De même, dira
Keynes, la destruction de la propriété, en forçant à la dépense, stimule
l’économie et a un « effet multiplicateur » revigorant sur la production et
l’emploi.
C'est seulement ce qu’on
voit. Mais ce qu’on ne voit pas, dit Bastiat, c’est ce que le propriétaire aurait
acheté, mais auquel il doit renoncer, avec l'argent qu’il doit maintenant
dépenser pour réparer sa fenêtre. Ce qu’on ne voit pas, c’est l’opportunité
perdue du boutiquier. S’il n’avait pas eu à dépenser pour réparer la vitre,
il aurait pu accroître son capital et ainsi employer du monde dans une action
de création. Ou bien, le boutiquier aurait pu dépenser l’argent pour sa
propre consommation, employant ainsi des travailleurs pour la production.
Selon Bastiat, la destruction ne stimule pas l’économie comme le pensent
aujourd’hui les keynésiens mais conduit à l'appauvrissement.
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