Les grands prêtres de la folie économique actuelle font la
promotion d’une certaine narrative : notre compréhension de l’économie est
le point culminant de décennies d’améliorations et de recherches. Les temps
plus anciens, plus particulièrement avant Keynes et les années 1950, sont
perçus comme des moyen-âges de superstition et
d’idées fausses.
C’est un
discours qui semble plausible, parce qu’il peut se comparer à la technologie. Il ne fait aucun doute que
nos connaissances électroniques et scientifiques, ainsi qu’en industrie et d’autres domaines, ont beaucoup
progressé, ce qui au fil des décennies nous a permis d’assister à des
avancées presqu’inimaginables.
En revanche, ce
discours ne s’applique absolument pas à nos connaissances en matière
d’économie. Nous vivons si j’ose dire à l’heure actuelle dans un moyen-âge économique
– dans une époque de superstitions et d’idées fausses. Les grandes idées
économiques de notre ère ne sont rien de plus que des théories mercantilistes
réchauffées, qui imitent la pensée économique britannique depuis les années
1600 jusqu’à leur point culminant que représentent les écrits de James Denham Steuart dans les années
1760. Le grand triomphe d’Adam Smith dans les années 1770 était d’être
finalement parvenu à chasser les vestiges du mercantilisme des débats
économiques britanniques.
Nos grandes
politiques économiques d’aujourd’hui, notamment la manipulation monétaire et
les devises fiduciaires flottantes, cherchent à « gérer
l’économie » par le biais de déficits gouvernementaux, et ne sont autres
que mercantilisme pur.
Nous ne
parviendrons pas à avancer en matière de compréhension économique avant que
cela soit compris. L’agenda mercantiliste d’aujourd’hui doit être abandonné,
d’abord au niveau intellectuel, puis au niveau des politiques publiques.
C’est ce qu’a fait le Royaume-Uni, qui est passé d’un coin reculé de
l’économie caché derrière la Hollande au berceau de la révolution
industrielle et centre du plus grand Empire du XIXe siècle.
Ce sont les
politiciens et les gouvernements qui nous ont menés de nouveau vers le
mercantilisme. Alors qu’ils combattaient la Grande dépression dans les années
1930, ils ont fait ce que font souvent les gouvernements en période de crise
– ils ont dévalué leurs devises et dépensé beaucoup d’argent. Nul besoin de
comprendre les rouages de l’économie pour ça. Les politiciens le font aussi
bien que les chiens aboient et que les poissons nagent.
Les économistes
sont arrivés un peu plus tard. La signification de la Théorie de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie publiée par
Keynes en 1936 n’est pas ce qui a permis à ce changement de direction – à
l’époque, les gouvernements du monde avaient déjà mis en place des politiques
mercantilistes depuis plus de six ans. Elle a en revanche montré aux
économistes comment ils pouvaient s’ouvrir aux nouvelles réalités économiques
afin de pouvoir regagner leur sinécure en tant que défenseurs de ce que les
politiciens voulaient de toute façon faire. Le livre de Keynes est
essentiellement illisible, et son titre lui-même nous indique avec quoi
Keynes prévoyait d’alimenter l’emploi.
Keynes lui-même
comprenait ce qu'il avait fait. Un chapitre entier de sa Théorie Générale (chapitre 23, Notes sur le mercantilisme) est dédié à la défense du retour de
l’agenda mercantiliste.
« [Les mercantilistes] pensent qu’un taux d’intérêt
élevé représente un obstacle majeur pour la croissance du capital… et bon nombre d’entre eux ont déclaré que
leur volonté d’élargir la quantité de monnaie est liée à leur désir de
diminuer le taux d’intérêt ».
Ne trouvez-vous
pas que ces lignes résument parfaitement ces quelques dernières années de Bernanke et de quantitative easing ?
Murray Rothbard a beaucoup écrit sur ce sujet, notamment dans
son livre Economic Thought Before Adam Smith, qui était autrefois un texte peu
connu enterré au fin fond des bibliothèques, mais qui est aujourd’hui disponible
gratuitement en format eBook sur le site de Mises.org.
L’une des idées
clés de Rothbard était que le mercantilisme reflète
l’idée de gouvernements importants, et
que la vision classique ou de laisser-faire réflète
l’idée d’un gouvernement limité. Le mercantilisme d’aujourd’hui est une
réflexion de l’expansion du gouvernement des Etats-Unis depuis 7%
du PIB en 1900 à environ
40% aujourd'hui. Ce bref extrait
est aussi tiré de Mises.org :
« De la même manière que l’aspect absolutiste de
l’Etat, le mercantilisme est un système de renforcement de l’Etat et de l’augmentation
de la taille du gouvernement, des dépenses royales, des taxes, de l’inflation
et de la finance de déficit (notamment après la fin du XVIIe siècle), de la
guerre, de l’impérialisme et de l’élargissement de l’Etat-nation. En clair,
un système politico-économique très ressemblant à celui d’aujourd’hui ».
Voilà qui semble
familier…
Voici ce que Rothbard a dit du mercantilisme
en 1963 :
« Le mercantilisme a été bien vu au cours de ces
dernières décennies, contrairement à l’opinion du XIXe siècle. A l’époque
d’Adam Smith et des économistes classiques, le mercantilisme était perçu
comme un mélange d’idées fausses et de création de privilèges. Mais à notre
époque, la vision du mercantilisme a drastiquement changé.
Les Keynésiens pensent les mercantilistes comme reflétant
leur propre pensée économique. Les marxistes, qui sont constitutionnellement
incapables de distinguer la liberté d’entreprise du privilège, perçoivent le
mercantilisme comme progressiste dans le cadre du développement historique du
capitalisme. Les socialistes et les interventionnistes le saluent comme
anticipant l’Etat moderne et la planification centrale.
Le mercantilisme, qui a atteint son apogée en Europe aux
XVII et XVIIe siècles, était un système d’étatisme qui employait des idées
fausses pour construire une structure d’Etat impérial et offrir à des
individus et groupes favoris de l’Etat des subventions et des
privilèges ».
Nous sommes entrés dans une période de crise, qui devrait
durer jusqu’en 2020. Elle devrait pouvoir se débarrasser d’anciennes idées
pour laisser place à de nouvelles. Il est encore trop tôt pour faire quoi que
ce soit. Il est cependant temps de s’éclaircir les idées et de se rendre
compte de ce à quoi ressemblera l’ère à venir.
La crise de la Grande dépression et de la deuxième guerre
mondiale s’est traduite par la transition de gouvernements limités vers de très
gouvernements à l’échelle du monde. La transition de la pensée classique vers
le mercantilisme n’en était qu’un aspect.
Espérons que l’ère à venir soit une ère de gouvernements
limités et de retour à une vision économique classique – ce que j’appelle le
capitalisme du XXIe siècle. L’abandon du mercantilisme sous toutes ses formes
ne sera qu’un pas vers ce renouveau.
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