Le grand rassemblement
parisien a été quelque peu fortifiant, mais il se peut aussi qu’il ait révélé
une triste idée fausse de l’idéalisme occidental : les bonnes intentions
suffiront à protéger les proies faciles. La guerre mondiale qui se prépare n’aura
rien à voir avec les deux précédentes. Face au barbarisme néo-médiéval, l’Occident
est une proie idéale. L’Occident tout entier est une proie facile.
Les récriminations
fusent – comme s’il s’agissait d’une compétition de Dancing with the Stars – et beaucoup demandent
à ce que le massacre de Charlie Hebdo ne soit pas surnommé le onze septembre
français. C’est d’abord une question de proportion, disent-ils. Nous avons d’un
côté douze morts, de l’autre 2977, et n’oublions pas que les tours jumelles
se sont aussi effondrées comme des soufflés dans Manhattan au beau milieu de
la cohue matinale. Il est intéressant de voir comment l’Occident se torture
les méninges au point de tomber dans la neurasthénie.
Les appels à l’unité forcent
la question suivante : pour ou contre quoi ? Des appels similaires
ont pu être entendus à Ferguson, dans le Missouri, suite aux émeutes et à la
commotion qui a suivi la décision du jury sur l’affaire Eric Garner. Des
appels assez déconnectés de la réalité du ghetto, comme si unité était
synonyme d’aller manger un bout tous ensemble. Les manifestants ont bien
rapidement fait comprendre à tout le monde que l’idée n’était pas de leur
goût. Si les politiciens français s’imaginent qu’un Etat fraternel pourra se
former en un claquement de doigts entre les masses d’islamistes aliénés et le
reste des citoyens, ils sont sur le point d’être déçus. La méfiance se
renforce dans les deux camps, et puis de toute façon, je doute que c’est de
ce genre d’unité qu’ils parlaient. En Allemagne, ils n’ont pas besoin d’aller
chercher très loin pour se souvenir de l’efficacité effroyable de la
purification hitlérienne de la scène sociale, basée sur un principe sombre
qui demeure essentiellement inexpliqué après tant d’années et des dizaines de
milliers de livres écrits sur le sujet. Il semblerait qu’Hitler s’en soit
pris à un groupe qui ne faisait rien pour perturber l’ordre public. S’il est
une chose qui soit évidente, c’est que les Juifs ont contribué plus que
quiconque à la culture, au savoir et à la science occidentale.
Il est bien compris que
l’Histoire ait des saisons qui ont un dynamisme mystérieux et implacable sur
lequel les Hommes ne peuvent que se laisser emporter en espérant ne pas se
retrouver écrasés. En arrière-plan des perturbations actuelles, il y a non
seulement la montée du fondamentalisme religieux, mais aussi l’effondrement
imminent de la machinerie qui a pu enrichir la plus grosse économie islamique
de notre ère : la machine pétrolière. C’est le pétrole qui a permis aux
populations du monde islamique de prospérer dans un désert aride à la fin du XXe
siècle. Mais cette orgie de richesses touche à sa fin. Et il en sera bientôt
de même pour la capacité de la région à supporter les populations qui l’occupent.
La violente poussée de
la fureur islamiste est généralement un symptôme de l’agonie de la région,
qui se fait déjà ressentir par la désintégration d’un Etat-nation après l’autre
de part et d’autre du Nord de l’Afrique et du Proche-Orient. L’Arabie
Saoudite sera l’un des derniers dominos à tomber puisqu’elle bénéficie encore
du soutien des Américains. La théorie actuelle est que l’Arabie Saoudite
pourra vivre d’un pétrole à 40 dollars puisqu’elle dispose déjà d’importantes
réserves de cash. Mais c’est une idée qui semble être plus un schéma de principe.
Bien avant que l’Arabie ne fasse faillite, elle fera face à des conflits
internes entre les clans et princes qui se trouvent ne pas être les
descendants de Mohammed bin Saoud –soit 15.000 des 29 millions d’habitants du
royaume, et seulement 2.000 de ceux qui appartiennent au cercle du pouvoir.
Le roi Abdullah a plus de 90 ans, et il n’y a plus rien aujourd’hui que sa
fragile carcasse pour tenir tout en place.
Ce sont des problèmes
qui se répercutent aujourd’hui en Occident. L’Occident fait lui-même face à
des crises terminales quant à ses réserves de pétrole et en raison de la
relation, vieille d’un siècle, entre le pétrole et la finance dans la
création de dette. L’armature bancaire se défait aussi sûrement que les
Etats-nations musulmans du XXe siècle, qui pour la plupart sont la création
de l’Occident. La guerre qui nous attend sera une course vers le fond du
gouffre, où le projet humain devra être réinitialisé et établir les règles d’une
vie au-delà de toute sauvagerie.