« Dans ce monde, il n’y a rien
d’assuré que la mort et les impôts. » Cet
aphorisme, devenu l’un des plus célebres
proverbes de la sagesse populaire américaine, provient en
réalité d’une lettre écrite (en français)
par Benjamin Franklin à un ami scientifique, J-B. Leroy.
Le contexte a
son importance. Ambassadeur en France jusqu’en 1785, Franklin
s’était lié d’amitié à cet autre
inventeur, comme lui passionné par l’électricité.
Bien plus tard, leurs découvertes et la dynamique de progres liée au capitalisme permettront la
création et la démocratisation de moyens de communication
rendant possible un contact instantané, à quelque distance que
ce soit, entre deux individus quelconque.
Pour
l’heure, les deux amis ne purent que se perdre de vue lorsque Franklin
repartit vers ce qui était en train de devenir les Etats-Unis.
Précisément, Franklin, l’un de ses Pères
Fondateurs, était quelque peu occupé par
l’indépendance de son pays et la rédaction de sa
constitution. C’est d’ailleurs en référence
à cette dernieère qu’il
écrivit : « Notre constitution nouvelle est
actuellement établie, tout paraît nous promettre qu’elle
sera durable; mais, dans ce monde, il n’y a rien d’assuré
que la mort et les impôts. »
De Leroy, il n’avait plus de nouvelles, au point
qu’il se demandait même si son ami n’avait pas péri,
par accident, dans le tumulte qui régnait alors en France. Nous sommes
en 1789, et les temps sont incertains. Hier comme aujourd’hui, on ne
peut être assuré de rien—sauf de la mort et des
impôts, donc.
Mais est-ce bien tout? N’existe-t-il pas une
troisième certitude, à savoir le lien entre pression fiscale et
chômage? N’est-il pas assuré que l’impôt est
mortel pour l’emploi?
Une explication purement théorique du lien entre
ces deux phenomènes ne me paraît pas
judicieuse, ici. D’une part, elle pourrait sembler ardue et ennuyeuse.
Ensuite, on pourrait toujours retorquer que cela
« n’est que de la théorie », un terme que
la méfiance généralisée envers
l’économie et les économistes tend à rendre
synonyme d’ « idéologie » et
même de « propagande. »
Le problème est que l’alternative, une
vérification empirique, est bien plus complexe qu’on ne
l’imagine. En fait, comme de nombreux économistes Autrichiens,
je ne pense pas que les lois économiques puissent être
corroborées de la même manière que les lois naturelles.
Non pas parce qu’elles sont moins vraies, ou parce que la science
économique est moins scientifique, mais parce qu’elle étudie
un domaine différent et doit donc suivre une autre méthode.
Pour le dire simplement, il n’y a pas
d’expérimentation possible, en économie, parce que
l’on ne peut pas étudier ce genre de phénomènes en
créant des conditions artificielles pures dans lesquelles tous les
facteurs non-pertinents sont neutralisés. On ne peut, par exemple,
comparer des pays strictement identiques, sauf du point de vue de leur
pression fiscale, et comparer leurs taux de chômage. Bien entendu, la
chose est rendue encore plus difficile du fait que les mesures du
chômage ne sont pas toujours parfaitement fiables, ni comparables. De
même, le taux de pression fiscale est une donnée très
générale qui ne dit rien du détail des fiscalités
de différents pays, alors que celles-ci peuvent agir très
différemment sur
l’économie.
Ce que je propose ne prétend donc pas être
scientifique au sens le plus fort du terme. Mais j’espère que
l’on m’accordera qu’il ne s’agit pas non plus
d’un simple propos partisan sans valeur de vérite.
Pour ce faire, j’ai choisi 14 pays à peu
près au hasard. Je compare leurs scores dans ces deux domaines, et
analyse les résultats de tendance. Je dis « à peu
près au hasard », parce que j’ai tout de même déliberément choisi d’y inclure la
France, par exemple, ainsi que de considérer des pays
différents en termes de géographie, de puissance
économique, de modèle social, etc. Les données (issues
du CIA Worldfact
Book, pour l’année 2012)
sont reportées dans le tableau suivant (sans ordre particulier), ainsi
que dans le graphique ci-dessous. La
« fiscalité » renvoie à la part du PIB prelevée par l’État, exprimée
en pourcentage.


Pression fiscale
et taux de chômage dans 14 pays
Que
remarque-t-on ? Tout d’abord, qu’il existe une relation
forte entre pression fiscale et
chômage. L’échantillon est évidemment restreint,
mais le coefficient de détermination est si fort (83,5%) qu’il
serait effectivement très improbable d’obtenir un tel
résultat s’il n’existait une véritable relation
entre pression fiscale et chômage.
Peut-on
chiffrer cette relation ? Ici encore, je ne prétends ni à
l’exactitude, ni même à la scientificité. Cette
petite recherche permet néanmoins de donner un ordre
d’idée. Il semble en effet que chaque point
supplémentaire de pression fiscale se traduise par 0,2 point de
chômage en plus.
J’insiste :
je ne pretends pas qu’il s’agisse
là d’une quelconque « loi ». Les
données sur lesquelles je me fonde, de même que la
méthode que je suis, sont loin d’être suffisamment
rigoureuses. Il ne serait pas non plus correct de transposer
mécaniquement cette comparaison entre pays en une observation valable
pour chacun d’entre eux. Et cela d’autant que les effets de la
fiscalité sur l’emploi doivent être bien
différents, non seulement selon le détail de la fiscalite, mais aussi selon les autres
caractéristiques d’une économie. Ces précautions
prises, il n’en reste pas moins des plus probables que les impôts
sont, d’une manière générale, mortels pour
l’emploi.
Remarquons
la place de la France dans le graphique ci-dessus. Si elle a la
plus forte pression fiscale et le plus fort taux de chômage des pays considerés, son taux de chômage est en fait pire
encore qu’il ne devrait l’être. Relativement au reste du
monde, sa pression fiscale est l’une des plus fortes (12ème)
et son taux d’emploi parmi les pires (111ème).
De là
à dire que, pour raviver l’économie, c’est la
pression fiscale qu’il faut combattre…
D’une
manière plus générale, les 50 pays ayant la
fiscalité la plus forte ont un taux de chômage moyen de 9,7%,
alors que celui-ci n’est que de 7,4% parmi les 50 pays ayant la
fiscalité la plus faible.
Évidemment,
une telle comparaison n’est pas tout à fait juste. Si elle
évite l’arbitraire lié à un plus petit
échantillon, elle introduit également de fausses informations.
Par exemple, les statistiques sont ainsi faites qu’elles mêlent
prélèvements obligatoires et revenus du gouvernement,
même si ceux-ci proviennent plutôt de l’exportation
pétrolière. De même, nombre de pays ont une
« fiscalité » faible et un
« chômage » officiel élevé parce
que l’activité y est largement informelle. Inversement, une
pression fiscale élevée n’est souvent possible que dans
des pays industrialisés dont les économies modernes permettent
de contenir le chômage (du moins relativement aux taux très
élevés que l’on observe dans certains pays en
développement.)
Il est
malheureusement très difficile de tenir compte de tels
éléments. Si on nettoie les données brutes de la
manière la moins arbitraire possible (en retirant simplement les pays
pétroliers à fiscalité faible, ainsi que les pays les
moins avancés), la perversité des impôts pour
l’emploi apparaît plus nettement encore : entre pays
relativement comparables, le chômage est presque double parmi ceux dont
la fiscalité est la plus forte (10,9% contre 6,1%.)
Pour finir, il
faut ajouter que la relation entre fiscalité et chômage est
particulièrement dommageable pour les jeunes actifs. Reprenant les 14
pays étudiés plus haut, on observe ainsi la même tendance
que pour la population générale, avec deux différences.

Source :
http://www.guardian.co.uk/news/datablog/2012/may/16/youth-unemployment-europe-oecd

D’une
part, la dispersion est plus importante (les données sont moins
« alignées »), ce qui est normal puisque le
chômage des jeunes est un phénomène plus particulier que
le chômage général. Sa détermination par la pression
fiscale n’en est pas moins remarquable. Surtout, la corrélation
entre les deux est encore plus forte : ici, 1 point de PIB
supplémentaire prélevé par l’État
s’accompagne de 0,25 point de chômage en plus parmi les jeunes.
En conclusion,
il semble donc bien déraisonnable de nier le lien entre impôts
et chômage. Et ce sont surtout les jeunes, particulièrement en
France, qui devraient s’élever pour exiger une baisse de la
fiscalité et du poids de l’État dans
l’économie.
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