En mars dernier, Georges Langeais, professionnel de la « Monétique et
Ecommerce » et Maitre de Conférences à l’Université de Paris sur la Cybersécurité,
avait publié un excellent article sur lemoneticien.com intitulé « La France à l’heure de la
Restriction des Libertés Numériques et Numéraires ». Un article visionnaire
sur l’inefficacité du plafonnement des paiements en espèces dans le cadre de
la Lutte contre le terrorisme en France. Rien en effet, comme viennent de le
prouver les désastreux événements qui viennent de se dérouler à Paris, ne
peut arrêter des terroristes organisés et déterminés. Pas cette mesure phare
de lutte contre le financement du terrorisme en tout cas. Est-ce que cette
mesure a pour autant lieu de s’arrêter ? Il y a peu de chances. Les mesures
risquent d’être au contraire plus restrictives et nos libertés numéraires et
numériques de s’amoindrir… En attendant les retours de Monsieur Langeais que
nous avons récemment interviewé à ce sujet, voici ce qu’il en est de la
mesure phare du projet de « Loi 2015 sur le financement du terrorisme et sur
le renseignement de lutte antiterroriste ».
Le Plan d’action de Lutte contre le financement du terrorisme
Le dossier de presse du Gouvernement de mars 2015 présentant la Lutte
contre le financement du terrorisme commence par cette citation de Michel
Sapin : « L’argent est partout et tout le temps le nerf de la guerre : les
terroristes ont, pour continuer à agir, besoin des financements
indispensables à l’achat d’armes, de véhicules, de caches. La lutte
internationale contre le financement du terrorisme est un rempart fondamental
de la paix et de la sécurité dans le monde ». Ce en quoi il n’a pas tort…
« Il faut taper là où ça fait mal » écrivait Dom Bochel Guégan, chroniqueuse du Nouvel Obs en
février dernier, en réaction au reportage diffusé sur Arte “Daech, naissance d’un État terroriste“. Véritable mafia,
Daech est devenu en quelques années une organisation possédant autant de
richesses qu’un État africain, contrôlant aujourd’hui un territoire à cheval
sur la Syrie et l’Irak, grand comme la moitié de la France.
Le reportage de Jérôme Fritel (Goldman Sachs – La banque qui dirige le monde)
et Stéphan Villeneuve raconte de l’intérieur les enjeux politiques de cette
organisation terroriste.
Le rôle des banques
« J’aime ma banque, mais après les documentaires consacrés ce mardi soir
sur Arte sur “Daech, la naissance d’un État terroriste” et l’assise de
celui-ci sur la véritable mine d’or que représentent le racket, les trafics
en tout genre, le pétrole et leurs millions de dollars volés, je m’interroge,
mais que fait donc ma banque ? », avait réagi Dom Bochel Guégan.
Dans un rapport (en anglais) publié en octobre 2014, Jean-Charles
Brisard, expert en financement du terrorisme, déclarait que la fortune de Daech
représentait 2 000 milliards de dollars au total. « Pétrole, gaz, phosphate,
blé, orge, coton… L’Etat islamique a mis la main sur d’importantes ressources
naturelles en Irak et en Syrie. Il contrôle aussi 140 succursales bancaires
dans ces deux pays », relaie le site Novethic qui a recueilli les propos de
Jean-Charles Brisard. Le problème est que Daech se développe sur le modèle
d’une économie autofinancée, que toutes les transactions se font sur place
par le biais de banques de dépôt qui ne peuvent donc pas tomber sous le coup
de sanctions onusiennes.
S’il est difficile d’appréhender ces 140 succursales bancaires au niveau
international, « il semble tout de même évident que tout cet argent ne peut
circuler en cash en permanence et doit donc user des canaux bancaires
internationaux traditionnels, ceux-là même que j’utilise avec mes toujours
maigres économies », poursuit Dom Bochel Guégan.
Le Plan d’action de lutte contre le financement du terrorisme vise
justement à identifier et à mieux tracer les opérations suspectes, car il est
évident que Daech passe aussi par des réseaux bancaires internationaux.
La mesure de plafonnement en question
La Lutte contre le financement du terrorisme consiste notamment à signaler
systématiquement à Tracfin les dépôts et retraits d’espèces supérieurs à 10
000 €, et à baisser le plafond de paiement en espèces en France.
En vertu du Plan d’action pour lutter contre le financement du terrorisme,
le code monétaire et financier a donc été modifié pour abaisser le seuil de
paiement en liquide de 3000 à 1000 euros pour les résidents français
(particuliers et commerçants) et de 15000 à 10000 euros pour les
non-résidents.
« Ces plafonds imposeront simplement aux professionnels d’utiliser des
moyens de paiement offrant une véritable traçabilité (chèque, virement, carte
bancaire notamment) ».
Mais est-ce bien suffisant ? Ce n’est pas la limitation des paiements en
espèces qui va empêcher le financement de Daech. Ces mesures ne pourront être
efficaces sans l’accompagnement d’un « embargo sur les territoires gouvernés
par l’Etat islamique pour que rien [pétrole, gaz, phosphates, céréales…] ne
puisse en sortir » selon Jean-Charles Brisard.
Conséquences sur nos libertés
Les gouvernements détestent le cash car il n’est pas traçable. Nous allons
assister petit à petit à la disparition des espèces sonnantes et
trébuchantes. Il faut donc s’attendre à ce que les mesures prises dans le
cadre de la Lutte contre le terrorisme aient un impact direct sur nos
libertés numériques et numéraires. Si les gouvernements tentent petit à petit
de supprimer le cash, le « tout paiement numérique » représente un risque
certain tant au niveau de nos libertés individuelles qu’au niveau de la sécurité
des moyens de paiement électroniques. C’est le sujet que nous aborderons
prochainement avec Georges Langeais.