Larry Kudlow et Brian Domitrovic ont joint leurs forces pour nous livrer une
excellente étude de la réforme fiscale adoptée par Kennedy en 1964 – qui est
encore plus pertinente aujourd’hui, parce que nous avons une fois encore des
chefs d’Etat qui cherchent à « relancer l’économie », chose que
Kennedy avait promise avant les élections de 1960. Si vous n’en avez jamais
entendu parler jusqu’à maintenant, attendez-vous à ne pas être déçu. Apparemment,
beaucoup n’en savent rien, à en croire le titre de leur livre, JFK
and the Reagan Revolution: A Secret History of American Prosperity.
Et si vous en avez eu vent – j’ai moi-même expliqué cette réforme dans Gold:
the Once and Future Money (2007) – attendez-vous à savourer tous les
détails délicieux que Kudlow et Domitrovic ont retenu de ce moment de l’Histoire.
Une lecture vivement conseillée.
Bien que nous
nous souvenions souvent des années 1950 comme d’une période de santé
économique relativement bonne – ce qui était le cas en comparaison à ce à
quoi nous
nous sommes habitués depuis 1971 – elles ont en réalité été assez
médiocres comparées aux impressionnantes performances des économies allemande
et japonaise de l’époque, ou même à l’expansion de l’économie américaine de
la fin des années 1960. Après avoir été témoin de quatre récessions en onze
ans, Kennedy a fait d’une croissance du PIB de 5% l’objectif de sa campagne
électorale de 1960.
Comment y
est-il parvenu ? Sur les conseils de Paul Samuelson, il a rassemblé un groupe
d’experts qui lui ont dit qu’il aurait besoin de politiques monétaires d’argent
facile et de projets budgétaires pour combattre le chômage (la solution
recommandée par John Maynard Keynes en 1936) ainsi que de taxes élevées pour
empêcher une inflation. Son Secrétaire du Trésor, Douglas Dillon, était quant
à lui un riche homme d’affaires de Wall Street au courant du fonctionnement
de l’économie réelle. Il était aussi un Républicain. Dillon était un partisan
de l’étude de Stanley Surrey, un membre de la faculté de droit d’Harvard – il
n’était pas un économiste, bien qu’il ait plus tard été qualifié de « l’un
des plus grands experts fiscaux de sa génération » et soit l’auteur de
20 livres.
Surrey était d’avis
que la tranche la plus élevée des impôts sur les revenus (91%) était un taux « fantôme »
que personne ne payait : des lobbyistes étaient employés pour trouver
des failles dans le système, ce qui se produit inévitablement lorsque des
taux nominaux très élevés sont adoptés. Des taux plus faibles, pensait-il,
permettraient de générer davantage de croissance. Kennedy s’est penché d’abord
sur l’opinion de ses experts, avant de la laisser de côté pour adopter celle
de Dillon et Surrey. La conséquence en a été une réforme fiscale qui a porté
le taux d’imposition le plus élevé à 70% et fait diminuer toutes les autres
tranches proportionnellement – pour donner lieu à la plus grosse croissance
économique des années 1950 et 1960.
La première
réforme fiscale employée par Reagan en 1982 a été une copie exacte de celle
adoptée par Kennedy en 1964 - un acte délibéré visant à accroître sa
popularité parmi un Congrès majoritairement démocrate. Un nombre substantiel
de Démocrates comprenaient que la meilleure chose à faire pour les classes
moyenne et ouvrière était de générer une croissance du secteur public qui
mènerait à une croissance de l’emploi et des salaires. En 1982, la première
réforme fiscale de Reagan a divisé les deux partis, avec 103 contre 89 voix
parmi les Républicains et 123 voix contre 118 parmi les Démocrates. La
tranche d’imposition la plus élevée a été portée à 50%, et toutes les autres
tranches ont été réduites dans les mêmes proportions.
Comme nous l’expliquent
Kudlow et Domitrovic, la réforme fiscale de 1986, qui a vu passer le taux d’imposition
fédéral le plus élevé à 28%, a été adoptée par le Sénat à 97 voix contre 3.
Edward Kennedy, Joe Biden, Paul Sarbanes, Chris Dodd, Al Gore Jr. et John
Kerry ont tous voté en faveur de la réforme, qui avait été élaborée par le Comité
des voies et moyens de la Chambre en 1985, sous la gouvernance des Démocrates
Dan Rostenkowski, Richard Gephardt et Bill Bradley.
Aujourd’hui, les
Démocrates (à l’inclusion apparente de la famille Kennedy) refusent l’idée
que Kennedy et Reagan aient pu adopter les mêmes réformes ; ou que des
Démocrates aient voté en grand nombre en faveur de ces réformes. Les économistes
de Kennedy, qui lui avaient donné des conseils complètement différents, ont
plus tard décrété être à l’origine de sa réforme.
Aucun des
successeurs de Kennedy n’a embrassé ses intuitions : le Démocrate Lyndon
Johnson et le Républicain Richard Nixon ont tous deux augmenté les taxes et
tenté de combattre les conséquences récessives de leurs décisions grâce à l’argent
facile – ce que conseillaient Paul Samuelson et James Tobin. Le Républicain
Gerald Ford et le Démocrate Jimmy Carter n’ont pas mieux fait. Lorsqu’ils
sont arrivés au pouvoir, les taxes grimpaient régulièrement au travers de l’inflation
des paliers d’imposition. Les élites politiques de l’époque ne s’y opposaient
pas. La Réserve fédérale était supposée être « accommodante » et
chargée de maintenir les Etats-Unis hors d’un état de récession : la
conséquence en a été un effondrement stagflationniste.
Depuis, la
situation a beaucoup changé. Des réformes qui porteraient le taux d’impôt sur
les revenus le plus élevé en-dessous de 20% tout en éliminant automatiquement
90% du code fiscal seraient une bénédiction. Les conséquences en seraient
excellentes. Comment le sais-je ? Parce que plus de trente gouvernements
globaux ont déjà mis en place des réformes fiscales de ce type depuis 2000,
et les résultats en ont été fantastiques.
Les plus gros bénéficiaires en sont ceux qui ne paient plus du tout d’impôts.
Le chômage reste exonéré d’impôts. Une économie privée forte est la seule
source possible de création d’emplois.
Comme l’expliquent
Kudlow et Domitrovic, le succès de Kennedy n’était pas lié qu’à sa réforme
fiscale, mais à un mélange de politiques diverses, et notamment au rejet de
la politique d’argent facile en faveur d’une devise stable. Une devise stable
signifie un étalon
or. Kennedy était un grand défenseur du système de Bretton Woods, que
Reagan a cherché à raviver. Les gouvernements les plus prospères de l’ère de
Bretton Woods, ceux de l’Allemagne et du Japon, ont aussi embrassé des
stratégies de monnaie stable et défendu un taux de change stable avec le
dollar, et donc avec l’or. La Grande-Bretagne et la France ont quant à elles tenté
de relancer leurs économies grâce à l’argent facile, et la conséquence en a
été la dévaluation périodique de leurs devises.
Ce sont les
politiques d’argent facile de Nixon qui ont finalement mis fin à l’étalon or
en 1971 et plongé le pays dans une décennie de stagflation puis quatre
décennies supplémentaires de chaos fiduciaire. Nixon a suivi les conseils
monétaires de Milton Friedman, en adoptant notamment un objectif de
croissance du PIB nominal de 9% en 1972, qui serait atteint grâce à la
création monétaire de la Fed. En 1972, il est parvenu à atteindre un taux de
9,8%. Le dollar a perdu près de la moitié de sa valeur en cours de route. Les
petits-enfants intellectuels de Friedman cherchent maintenant à systématiser
la grande idée de Nixon sous la forme d’un système d’objectif de croissance
mécanique du PIB nominal, bien que cet objectif doive aujourd’hui être plus
proche de 3,65%.
Les stratégies
de monnaie saine et de réduction d’impôts de Kennedy ont produit une
croissance du PIB nominal de 9,6% en 1966, sans aucun recours à l’argent
facile ou à la dévaluation du dollar rattaché à l’or. Et il aurait même été
possible de faire mieux. Le Japon, qui avait réduit ses impôts tous les ans
depuis 1950, a enregistré une croissance de son PIB nominal de 18,4% en 1968 –
avec un yen stable. Entre 1950 et 1970, les recettes fiscales du Japon ont
été multipliées par seize, et ont pu financer l’expansion des aides sociales,
dont personne n’avait besoin parce que le chômage était très bas (avec 1,2%
en 1968). Que se serait-il passé si le Japon avait adopté un impôt
forfaitaire en 1964 ? Peut-être bien plus encore.
Stanley Surrey,
le cerveau derrière la réforme fiscale de Kennedy, s’était rendu au Japon
entre 1949 et 1950 afin de réformer le code fiscal du pays. A l’époque, le
gouvernement japonais a non seulement réduit les impôts des plus fortunés pour
les porter de 85 à 55%, il a aussi éliminé la taxe sur la plus-value, les
taxes des entreprises et la taxe de vente nationale, éliminé l’émission d’obligations
gouvernementales et rattaché le yen à l’or.
C’est là le
pouvoir de la formule
magique de « faibles
taxes et de monnaie
stable » découverte par Kennedy, mais aussi par Andrew Mellon avant
lui et par Ronald Reagan plus tard. Nous n’avons plus besoin de la « découvrir »,
seulement de l’adopter. Elle n’attend que quelqu’un qui cherche vraiment à
refaire des Etats-Unis une grande nation.
J’espère voir d’autres
ouvrages de ce calibre par Brian
Domitrovic. Les médiocres docteurs en économie qui peuplent les
universités du monde semblent tous vouloir devenir le nouveau Paul Samuelson.
D’autres génies se cachent-ils dans les couloirs d’Harvard ?
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