Nous coulons aujourd’hui les fondations des systèmes monétaires du futur –
chose que l’ancien directeur de la Fed, Paul Volcker,
a récemment appelée le besoin
de développer un système monétaire international adapté à notre temps.
Ce développement consiste principalement
en des idées – idées qui seront plus tard intégrées aux systèmes
monétaires du monde réel. Sans ces idées, il ne peut y avoir de système.
C’est aussi simple que cela.
Je pense que nous sommes encore aujourd’hui traumatisés
par notre plus récent système monétaire, l’arrangement de Bretton
Woods de 1944-1971. Il s’agissait d’une époque prospère
à l'échelle du monde – la meilleure, je dirais, du siècle dernier depuis
1914. Ce n’est pas quelque chose que quiconque aurait voulu voir se terminer.
Il est facile de comprendre pourquoi cette fin abrupte et
prématurée a pu être traumatisante. Je propose que nous nous y penchions
aujourd’hui, et puis que nous en fassions le deuil.
Bretton Woods s’est effondré en période de
paix et de prospérité pour deux raisons de base : la première, parce que
les gouvernements ont voulu adopter des notions mercantilistes de
manipulation monétaire, et deuxièmement, parce qu’ils n’avaient pas idée de
comment gérer le système existant, et de ce pourquoi il avait été créé.
La cause principale de l’échec de Bretton
Woods a été la nomination par Richard Nixon de son bon ami Arthur Burns en
tant que directeur de la Réserve fédérale en février 1970. Burns, comme les
autres sympathisants de Nixon, a expliqué à ce dernier que la récession
mineure de l’époque pouvait être contrée grâce à une certaine dose
d’impression monétaire. Leur objectif était une hausse du PIB nominal de 9%
en 1972, qui aurait pu mettre tout le monde de bonne humeur juste à temps
pour les élections. C’était leur stratégie.
Il se trouve qu’il soit impossible d’imprimer de la
monnaie tout en maintenant la parité du dollar avec l’or, qui était à
l’époque de 35 dollars par once. Pour y parvenir, il est nécessaire d’adopter
des techniques liées à un panier de devises, comme les économistes de
l’établissement l’ont finalement réalisé après des décennies
de dégâts. Ces techniques requièrent l’abandon d’une politique monétaire
domestique et discrétionnaire en faveur d’une gestion économique
mercantiliste.
Vous pourriez penser que les sympathisants de Nixon se
soient un jour réunis pour discuter d’une éventuelle renonciation à
l’arrangement de Bretton Woods, ou pour s’amuser
avec la presse à imprimer au service de l’opportunité politique, et que les
devises flottantes en ont été la conséquence inévitable.
Mais ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées.
Comme John Butler l’explique dans son récent livre intitulé The Golden Revolution,
les sympathisants de Nixon se sont réunis quelques jours avant que Nixon
mette publiquement fin à la politique de parité entre le dollar et l’or le 15
août 1971. Paul Volcker, qui était alors
Sous-secrétaire des affaires internationales du Trésor, était présent. Et
Arthur Burns, directeur de la Fed, l’était également.
Et semble-t-il que le plus gros défenseur du maintien de Bretton Woods et
de la parité dollar/or de 35 dollars par once lors de la réunion se soit
avéré être Arthur Burns !
Le directeur de la Fed et économiste monétaire n’avait pas
idée que sa stratégie d’impression monétaire entrait en collision avec la
politique d’étalon or existante.
Aucune. Un tel degré d’ignorance impliqué, chez les
experts du monde, est encore aujourd’hui difficile à imaginer.
J’ai appelé cela l'impressionnante
ignorance des années Bretton Woods. J’ai encore
du mal à y croire aujourd’hui.
Etrangement, ce que je viens de vous dire est assez
différent que ce que vous pourriez entendre de la bouche des économistes
grand public d’aujourd’hui, qui ne font que répéter les idées qui étaient
conventionnelles pendant les années 1960.
Ils expliquent les choses comme ça :
« Le
statut de devise de référence conféré au dollar par le système de Bretton Woods a entraîné un déficit constant de compte
courant aux Etats-Unis. Ce déficit de compte courant a été exacerbé par les
dépenses déficitaires du gouvernement des Etats-Unis qui visaient à financer
le programme de Grande société du président Johnson et la guerre au Vietnam.
Les déséquilibres de la balance de paiement ont finalement mené le système à
sa fin ».
Voici une version
de cette histoire, tirée tout droit du site internet du FMI. Une autre
peut être trouvée
sur Wikipédia, qui ressemble de près à ce que nous trouverions dans les
manuels scolaires.
J’aimerai souligner ici qu’il ne s’agissait pas de la
vision idiosyncratique d’une seule personne, mais de l’opinion du grand
public, et il en est encore ainsi aujourd’hui.
Mais je ne me lancerai pas dans trop de détails. Tentons
toutefois de déterminer si cette vision des choses a une relation quelconque
avec la réalité.
Premièrement : les Etats-Unis ont enregistré un
déficit constant de compte courant qui a pris des proportions telles que le
système monétaire du monde s’est effondré. Est-ce vraiment le cas ?
Non. Les Etats-Unis ont enregistré un surplus chaque année tout au long des
années 1960, avec en moyenne 0,5% du PIB.
Un surplus. Pas un déficit.
Deuxièmement : Le gouvernement fédéral des Etats-Unis
a enregistré un déficit, lié au privilège exorbitant de vente d’obligations à
des banques centrales en tant qu’actifs bancaires.
C’est faux. Pendant les années 1960, le déficit fédéral
moyen s’élevait à -0,7% du PIB. Moins d’1%. Voilà
qui ne me semble pas catastrophique. Le plus gros déficit a été enregistré en
1968 et s’élevait à -2,7% du PIB.
Les déficits étaient limités et le PIB augmentait. Les
ratios dette/PIB atteignaient donc des niveaux largement supportables.
Rien de bien désastreux ici non plus. A la fin du système de Bretton Woods en 1971, le ratio dette fédérale/PIB était
de 35%.
Qu’en est-il des rendements des obligations sur dix
ans ? Peut-on vraiment parler de privilège exorbitant dont ont pu profiter les Etats-Unis, tels que des taux d’intérêts
extrêmement bas ?
Les rendements des obligations étaient assez élevés pendant les années 1960,
parmi les plus élevés de l’Histoire des Etats-Unis.
Mais observons la période dans son ensemble. Peut-on y
voir des déséquilibres de balances de paiements à l’échelle du monde qui
suggèrent une catastrophe imminente ?
A dire vrai, la période de Bretton Woods a
enregistré les plus faibles déséquilibres de balances de paiements de ces 150
dernières années (ce qui a été dû en partie aux contrôles de capital qui
étaient répandus à l’époque). En plus de cela, les déséquilibres de balances
de paiements d’avant 1914 n’étaient pas des problèmes. L’étalon or classique
a pris fin en raison du financement de la première guerre mondiale par
l’impression monétaire, et non pas en raison des flux de capital à
l’international.
En clair, la vision commune est un conte de fées. Ce qui
aurait dû se passer est très simple, et Adam Smith l’a très bien expliqué en
1776 :
« Si le
papier en circulation venait à excéder les quantités appropriées au système
de parité, il devrait être immédiatement renvoyé vers les banques pour être
échangé contre de l’or et de l’argent ».
Ou, pour
résumer cela en trois mots : Trop de
dollars.
Tout
simplement.
Imaginez
maintenant les grands experts monétaires de notre monde se rendre d’un hôtel
cinq étoiles à une autre pour discuter des implications d’un conte de fées
qui ne s’est en réalité jamais produit.
Et pendant
plus de dix ans, de 1960 à 1971.
C’est assez
drôle, dans un sens étrangement écœurant.
Voilà pourquoi
nous n’avons pas d’étalon or aujourd’hui.
Si nous
voulons pouvoir établir de nouveaux systèmes monétaires dans le futur, il
nous faut diagnostiquer correctement nos erreurs passées – notamment lorsque
ces erreurs peuvent être résumées par trois mots. Comment pourrions-nous
autrement éviter de commettre les mêmes erreurs à nouveau ? Je me
demande parfois si la race humaine en est capable, et pourtant, une telle
chose est déjà arrivée. Adam Smith s’en est rendu compte. Il en va de même pour
David Ricardo, John Stuart Mill et d’autres.
Estimons-nous
heureux que le processus de détérioration des arrangements monétaires actuels
se soit récemment avéré modéré. Nous avons encore beaucoup de fondations à
couler avant d’être capables de créer de nouvelles institutions capables de
durer des siècles.
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