Les
gouvernements ont la possibilité de payer leurs factures de trois
manières différentes : par les impôts, la dette et
l’inflation. Le peuple est généralement conscient des
deux premiers parce qu’elles sont difficiles à camoufler. Mais
le troisième mode de paiement tend à passer inaperçu aux
yeux du grand public parce qu’il implique une réduction lente et
subtile du pouvoir d’achat de la monnaie ainsi qu’une politique
généralement complexe.
Dans
cet article, je vais me pencher sur le rôle de la Réserve
Fédérale pendant la première guerre mondiale et
expliquer quels instruments et leviers ont été utilisés
par les autorités monétaires pour réduire la valeur de
la monnaie publique afin de financer les dépenses de guerre. Cet
exemple va aider les lecteurs à mieux comprendre l’idée
plus générale d’un « impôt par
l’inflation » et comment une telle taxe pourrait être
utilisée dans le futur pour financer les conflits.
C’est
le monopole du gouvernement sur l’offre de monnaie qui lui permet de se
servir de l’inflation comme source de revenus. Les souverains, en
réduisant secrètement la quantité d’or incluse
dans les pièces de monnaie émises au public, pouvaient
récupérer l’or et avec ce dernier avoir les moyens de
financer leurs conquêtes. Peu à peu le public se rendait compte
que les pièces étaient adultérées et qu’elles
contenaient moins d’or qu’indiqué sur leur face. Leur
valeur baissait et les pièces détenues par le public
supportaient le coût de cette perte de pouvoir d’achat.
Les
lois sur les monnaies à cours forcé adoptées par les
gouvernements ont empêché le public d’échanger les
mauvaises pièces contre une valeur moindre que leur valeur faciale.
Une baisse de leur pouvoir d’achat supprimerait une source de revenus
significative : la possibilité pour le gouvernement
d’émettre de mauvaises pièces à un niveau de
valeur élevé.
L’usage
de la force pour subventionner une pièce de monnaie d’une valeur
inférieure à sa valeur faciale a réduit son
attractivité et sa capacité à se procurer un
détenteur. L’usage de la force a corrompu la valeur des
informations contenues que sont les prix et a diminué la confiance du
public envers la monnaie. Ce déclin de l’efficacité du
système monétaire en raison de l’adoption d’une
mauvaise monnaie et de la mise en place de lois en faveur d’une monnaie
à cours forcé constitue a un
coût supporté par le public qui utilise cette monnaie.
Tandis
que les rois adultéraient leurs pièces de monnaie pour aider au
financement des guerres qu’ils menaient, la Réserve
Fédérale a utilisé l’inflation pour aider à
financer sa participation à la première guerre mondiale. Elle
l’a fait en créant et en émettant des dollars en
échange de la dette émise par le gouvernement. En fait,
l’actif du bilan de la Fed s’est transformé en un
déversoir pour obligations de financement de la guerre. De plus, la
Fed a acheté cette dette comptabilisée dans son bilan à
un cours plus élevé que le marché ne l’aurait
absorbé, et sa participation au financement de la guerre
représente donc une subvention supportée par tous ceux qui
détiennent de la monnaie dont le pouvoir d’achat décline.
Avant
d’expliquer comment fonctionne ce processus, il est nécessaire
de connaître un certain nombre de choses sur la Fed.
L’institution a commencé ses opérations en 1914 sur le
principe des « real bills » [effets de commerce]. Les
banques membres ont pu emprunter du liquide à la Fed, mais uniquement
en soumettant des « effets de commerce » en tant que
garantie.
Ces
billets à ordre étaient des instruments à court terme
créés par les organisations commerciales pour aider au
financement de leurs opérations courantes. Les billets étaient
garantis par les inventaires/stocks des entreprises émettrices,
c’est là l’élément
« réel » du billet à ordre. En
discomptant ou en prêtant du liquide aux banques sur la base de billets
à ordre, la Fed a pu augmenter l’offre monétaire.
A
l’origine, la section 16 de la Loi sur la Réserve
Fédérale exigeait que tous les billets en circulation
émis par la banque centrale soient couverts à 100% par des
billets à ordre. En plus de cela, la Fed devait détenir 40% de
ses réserves en or. A cette époque-là, les billets de la
Fed étaient convertibles en or et les 40% de réserves
détenues en or constituaient une sécurité additionnelle.
Ainsi, pour chaque dollar de dette émis, la Fed devait virtuellement
détenir 140% de réserves dans ses coffres, 1 dollar en billet
à ordre et 40 cents en or à l’actif de son bilan.
Il
était également permis à la Fed de s’engager dans
les achats d’obligations du gouvernement et de créances
bancaires sur le marché libre. Mais la dette gouvernementale
n’était pas de nature commerciale et donc n’était
pas considérée comme un véritable billet à
ordre. Et comme le taux de 100%
de couverture ne pouvait être atteint pour les billets émis en
contrepartie de la part de la dette gouvernementale détenue par la
Fed, la Fed ne pouvait émettre qu’un nombre limité de
billets pour financer la dette avant de se confronter à
l’exigence qu’était celle de la couverture à 100%.
Ainsi,
la doctrine des billets à ordre telle que le prévoyait la loi
sur la Réserve Fédérale limitait de manière
significative le fait que l’actif du bilan de la Fed ne serve de
réceptacle pour l’accumulation de la dette gouvernementale et de
reconnaissances de dettes. Pour soutenir le financement de la guerre dans
laquelle il était entré en avril 1917, le gouvernement
américain devait ouvrir l’actif du bilan de la Fed à la
dette de guerre du Trésor américain.
« Pour
aider au financement de la guerre, le gouvernement américain devait
ouvrir le bilan de la Fed aux dettes de guerre du Trésor ».
Un
pas important a été réalisé en juin 1917 avec la
relaxe de la double exigence de 100% de billets à ordre et de 40%
d’or pour chaque dollar émis. Un petit changement de la Section
16 indiquant que 40% de réserves d’or pouvaient être
simultanément remplacées par 40% de billets à ordre.
Au
lieu de détenir 1.40$ d’actifs pour chaque dollar émis
(1,00$ en billets à ordre et 40 cents en or), la Fed
n’avait plus besoin que de
détenir 1$ comprenant 40 cents en or et 60 cents en billets à
ordre. Le montant important de garanties ainsi dégagées
servirait à l’émission de nouveaux billets. L’ajout
en 1916 de la Section 13.8 à la loi sur la Réserve
Fédérale a constitué un pas important permettant
à la Fed de financer l’effort de guerre. Ce changement a permis à
la Fed d’accorder pour la première fois des prêts à
des banques avec la dette gouvernementale comme garantie. Mais une telle
garantie n’était pas considérée comme un
véritable billet à ordre et n’était donc pas
éligible pour contribuer aux 100% de couverture requis pour chaque
dollar émis.
Ainsi,
alors que les emprunts sur la dette gouvernementale étaient
autorisés, leur quantité était largement limitée.
S’ il y avait un peu de mou concernant les billets à ordre
détenus en excès par la Fed couvrant le billet d’un
dollar nouvellement émis, alors, selon la section 13.8, un
crédit pourrait être octroyé.
Les
Etats-Unis se préparant à la guerre, le Président Woodrow Wilson annonçait en avril 1917 la campagne
de lancement des premières obligations de financement de la guerre ou
« obligations de la Liberté ». Pour aider au
lancement de ces obligations de guerre, un autre changement légal
avait eu lieu pour permettre l’acceptation dans le bilan de la Fed de
la dette gouvernementale. La section 13.8 permettait maintenant aux
crédits de servir, au même titre que les effets de commerce et
l’or, en tant qu’actifs de garantie pour l’émission
des billets de monnaie de la Réserve Fédérale.
Ainsi,
on pouvait maintenant satisfaire à l’exigence de 60% de
couverture “réelle” non seulement au moyen d’effets
de commerce mais aussi au moyen de papiers « virtuels »
de la dette gouvernementale. La Fed n’était dès lors plus
confrontée à aucune exigence de couverture et pouvait ainsi
introduire la dette gouvernementale sans dans son bilan pour augmenter
l’émission de papier-monnaie.
La
possibilité de prêter avec comme garantie la dette
gouvernementale a été renforcée par l’adoption par
la Fed d’un taux d’escompte préférentiel sur tous
les crédits garantis par les Obligations de la Liberté. Ce taux
a été fixé à 3%, soit un pourcent en dessous du
taux habituel.
Selon
Fishe, [1] les banques membres pouvaient ainsi
réaliser un profit sur la marge en achetant les bonds de la
Liberté à 3,5% lors de la mise sur le marché des
obligations du gouvernement et ensuite financer ces achats en présentant
ces obligations à la Fed pour obtenir un crédit au taux
préférentiel de 3%. « Si les banques membres
souscrivaient aux émissions de la totalité des obligations de
la Liberté par cette méthode…elles réalisaient un
gain de 410 958 $ net d’impôts tous les 15 jours. »
écrit Fishe.
Ces
changements ont eu pour résultat immédiat un allongement massif
du bilan de la Fed, fondé pratiquement uniquement par les
crédits de la Fed à ses banques membres et garantis par la
dette gouvernementale. Cela est facilement observable dans notre graphique
ci-dessus. Le composant escomptes/avances des actifs de la Réserve
Fédérale s’est rapidement accru en 1917. En 1919, les
escomptes garantis par les obligations du gouvernement représentaient
pratiquement 100% de tous les escomptes réalisés (comme le
montre le bas du graphique). Les garanties données avant ces
changements étaient avant tout des dettes privées.
Les
modifications qui ont libéré la Fed de l’exigence de
garanties permettaient maintenant au bilan de la Fed de fonctionner comme un
« réceptacle » très efficace en faveur de
l’accumulation de la dette gouvernementale. Le Trésor ne
dépendait plus du bon-vouloir des individus privés et des
banques pour intégrer la dette gouvernementale dans leurs bilans
respectifs, il disposait maintenant du bilan de la Fed comme débouché
sur lequel il pouvait compter.
«En
1920, un dollar permettait d’acheter seulement la moitié des
biens qu’il permettait d’acheter en 1914 ».
De
plus, en surévaluant les garanties des dettes gouvernementales par un
taux d’escompte préférentiel, la Fed a créé
un système d’incitation qui a encouragé le secteur
privé à utiliser la Fed comme
« déversoir ». Les investisseurs privés
pouvaient acquérir les obligations de la Liberté, puis les
soumettre à la Fed pour obtenir des crédits à taux
réduits.
Le
Trésor US était ravi de ce mécanisme parce que cela
signifiait que les campagnes d’émission des obligations de la
Liberté auraient toujours une demande significative de la part des
investisseurs. La nécessité de détourner les investisseurs
du secteur des obligations privées au moyen d’un gain attractif
(un taux facial élevé) était évitée. Le
Trésor pouvait alors narguer la concurrence en utilisant la Fed pour
fournir des crédits subventionnés par un taux préférentiel.
Le
résultat de toutes ces machinations a été une inflation
importante variant entre 13 et 20% pendant la plus grande partie de la guerre
comparé au taux de 1% d’inflation de la première
année d’existence de la Fed. En 1920, le dollar avait un pouvoir
d’achat inférieur de 50% à celui du dollar
d’avant-guerre.
Pour
résumer, en surévaluant la dette gouvernementale, la Fed a
été capable d’émettre de la monnaie à un
rythme plus élevé que cela n’aurait été le
cas autrement. Le secteur privé, attiré par la carotte
qu’était le taux d’escompte réduit, s’est
tourné vers la Fed pour obtenir de la liquidité, mais le
secteur n’avait pas de demande réelle à long terme pour
ces dollars et a essayé de s’en débarrasser, ce qui a
résulté en une chute de la valeur du dollar.
Au même
moment, en surévaluant les garanties gouvernementales qu’elle
attirait dans son bilan, la Fed réduisait la qualité de ses
propres actifs. Les banquiers et investisseurs qui observaient de telles
statistiques devenaient de plus en plus inquiets et vendaient leurs dollars
en échange de bien ayant une valeur plus digne de confiance.
De
cette manière, une bonne portion des coûts de la guerre
étaient payés par tout un chacun détenant des dollars
dont le pouvoir d’achat était à la baisse. Et en effet,
Friedmann et Schwartz estiment que 5% des coûts de la guerre ont
été financés par l’inflation de la Fed. [2].
En
élargissant le bilan de la Fed et en lui permettant d’accepter
des dettes (obligations) gouvernementales, l’Etat s’était
assuré de pouvoir financer la guerre via l’inflation. Une banque
centrale indépendante, telle qu’établie dans les
années 1950, n’a réussi que partiellement à
réduire la possibilité pour le Trésor d’utiliser
la Fed pour subventionner ses guerres. Ce n’est qu’en retirant
complètement le monopole sur la monnaie de la Réserve
Fédérale et en introduisant un choix et une compétition
entre les monnaies que ce lien funeste pourra être strictement
contrôlé.
[1] Fishe, P.H. (Aug., 1991). "The Federal Reserve
Amendments of 1917: The Beginning of a Seasonal Note Issue Policy." Journal of Money, Credit, and Banking.
[2] Friedman, M.,
and Schwartz, A. A Monetary
History of the United States, 1867–1960.
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