Extrait
d’un article de Times Magazine du
12 Février 1965
Peut-être aucun
autre chef d’Etat n’avait-il jamais déclenché un
tel assaut sur le pouvoir monétaire d’une nation amie. Et
personne d’une telle stature n’avait encore fait une critique si
acerbe du système monétaire international depuis sa
création en 1944. Et voici Charles de Gaulle proclamant la semaine
dernière que la suprématie du dollar dans les échanges
internationaux arrivait à son terme et appelant à un
éventuel retour à l’étalon-or que les nations du
monde entier avaient détruit il a y a cinquante ans et invitant
pratiquement tous les autres pays à suivre la France et à
échanger leurs dollars contre de l’or. Cela était
particulièrement irritant, d’autant que les USA étaient
en train de s’appliquer à prendre des décisions
difficiles concernant leur politique monétaire.
La fuite. Le Président Johnson est confronté
à la tache ingrate de ce qu’il nomme produire des
« actions fortes et ciblées » pour faire face au
déficit américain persistant de la balance des paiements, un
problème qui est intimement lié à l’or. Les
conseillers du président sont actuellement encore en train de
débattre sur la « force » de ces mesures
imminentes.
Il existe une prise de
conscience croissance, soutenue par l’offensive de de Gaulle que les
tentatives du passé pour combler les déficits n’ont
été que de simples palliatifs et que le problème a
commencé à miner l’influence américaine dans le
monde.
Juste avant
l’intervention de de Gaulle, le Secrétaire du Trésor
Douglas Dillon a admis pour la première fois publiquement que le
déficit des paiements US
avait augmenté plus fortement qu’anticipé en 1964. Il
atteignait environ 3 milliards de dollars, et tout cet argent était
légalement susceptible d’être échangé contre
de l’or sur simple demande. La Réserve Fédérale a annoncé
que l’offre d’or US avait baissé de 100 millions la
semaine dernière soit un record plancher pour
les 26 dernières années avec 15,1 milliards de dollars.
Le mois dernier, la
France a converti 150 millions de dollars contre de l’or et projette de
convertir encore 150 millions très prochainement. Suivant cet exemple,
l’Espagne a silencieusement échangé 60 millions de ses
dollars de réserves contre de l’or- la plus grosse transaction
depuis l’ère Franco. Pour débloquer davantage d’or
et satisfaire la demande croissante, un comité du congrès a
approuvé la semaine passée une proposition du Président
Johnson d’éliminer la couverture de 25% sur l’or
nécessaire à la garantie des dépôts faits
auprès du système de réserve fédéral. Mais
des inquiétudes croissantes surgissent à Washington que les
nations qui, jusqu’ici, s’étaient abstenues de convertir
leurs dollars en or par considération pour les USA ne se mettent
également à convertir leurs dollars en or une fois que cette
quantité supplémentaire d’or sera dégagée
et que donc, davantage de chargements d’or sortant de Fort Knox.
Privilège de
Signal. C’est dans cette
situation très tendue que de Gaulle s’est exécuté
et ceci sans tenir compte de sa promesse faite en 1963 de soutenir le
système monétaire international dans lequel le dollar joue un rôle
dominant et dans lequel tout le commerce libre est réalisé soit
en dollars, soit en livres sterling, soit en or. L’époque est
révolue depuis longtemps, a-t-il déclaré lors
d’une conférence de presse (voir THE WORLD) dans laquelle les
monnaies d’une ou deux nations pouvaient jouir « du privilège
de signal, de cet avantage de signal ». Le monde actuel, a dit de
Gaulle, a besoin d’une base monétaire
indiscutable et celle-ci ne doit pas porter le sceau d’un quelconque
pays en particulier. En vérité, on ne voit pas très bien
comme on pourrait avoir un autre critère standard que
l’or ».
De Gaulle semblait appeler à quelque
chose comme un étalon-or classique modifié quand il a
recommandé de manière ambigüe « des mesures
complémentaires et transitoires» pour l’accompagner.
Cependant, il n’y pas de doutes quant à ses intentions :
promouvoir son leadership pour réduire l’influence
économique, militaire et culturelle américaine à
l’étranger.
Dans un régime d’étalon-or les Etats-Unis ne
seraient plus en mesure de rembourser leurs dettes étrangères contre
des dollars mais uniquement contre de l’or. Les hommes d’affaires
devraient revoir leurs investissements dans les sociétés
étrangères (de Gaulle la semaine dernière a
qualifié de tels investissements une « forme
d’expropriation »). Tant que les USA n’équilibreront
pas leurs paiements en or, les consommateurs américains devront
réduire leurs achats de biens étrangers. Raison : comme
les dollars ne seraient plus l’équivalent de l’or, ils
seraient convertis contre de l’or à l’étranger
dès qu’ils seraient dépensés. Les Etats-Unis
deviendraient tout de suite moins puissants dans le monde des affaires parce
que bien qu’ils aient le double de PNB que les nations du marché
commun, ils détiennent à peine plus d’or que ces six pays
réunis.
Stricte discipline. Conscient
sans aucun doute de l’ironie impliquée dans cette attaque
lointaine, de Gaulle a baptisé son plan la « Règle
d’Or ». Que pourrait-on dire en faveur de sa
proposition ? La valeur de la monnaie serait garantie par
l’immuabilité de l’or. En théorie, le
système monétaire deviendrait plus stable et moins
vulnérable aux crises de confiance. En liant l’offre de monnaie
à l’or, le système ne pourrait se permettre d’avoir
une expansion trop grande. Aux Etats-Unis et en Angleterre, pays qui peuvent
payer leurs déficits au moyen de leur propre monnaie, cela imposerait
une discipline fiscale stricte, contiendrait le financement par le
déficit et permettrait d’éliminer les nombreux
excès qui conduisent à l’inflation et à la
récession. Et d’ailleurs, cela forcerait les USA à
éliminer leur déficit de la balance des paiements rapidement,
d’une manière ou d’une autre.
Pour contrer l’argument selon lequel le système
paralyserait aussi le commerce international en raison d’une
pénurie globale de l’or, les champions de
l’étalon-or prônent une autre mesure qu’ils
considèrent nécessaire : de doubler ou tripler le cours de l’or
à 35 $ l’once et donc d’augmenter énormément
les réserves monétaires qui financent le commerce mondial.
Pour le moment au moins, les économistes mondiaux les plus
renommés, les banquiers et financiers croient
que ce futur doré, même s’il est désirable en
théorie et pratiquement impossible à réaliser en
pratique. Après la conférence de presse de de Gaulle, les
dirigeants des gouvernements britanniques et d’Allemagne de
l’Ouest ont déclaré qu’ils ne voyaient pas
d’un bon œil le retour à l’étalon or. Le
Trésor US a déclaré que ce modèle produirait une
guerre économique : les nations demanderaient à leurs
débiteurs d’être réglées
entièrement et en totalité en or et un grand nombre de ces pays
n’auraient pas assez d’or pour le faire. La conséquence
serait ensuite un embargo sur l’or de la plupart de ces pays, une
augmentation des droits de douanes et une restriction du commerce mondial.
Lors d’un récent meeting à Bellagio
en Italie, trente des trente-deux économistes mondiaux les plus
éminents se sont opposés à un retour de
l’Etalon-or.
La grande majorité des économistes et financiers
rejettent également l’idée d’une augmentation du
cours de l’or, ce qui reviendrait à une dévaluation des
autres monnaies mondiales.
Selon un expert mondial de l’or de Yale, Robert Triffin :
« cela aiderait les nations non-alliées et blesserait nos
amis et conduirait à un effondrement de la coopération
monétaire internationale. » Les plus grands producteurs
d’or, la Russie et l’Afrique du Sud seraient aidés car
leur or aurait immédiatement une valeur deux ou trois fois
supérieure à celle qu’elle a actuellement. Les pays qui
ont aidé les Etats-Unis en conservant de grandes quantités de
dollars de réserves seraient désavantagés en particulier
l’Allemagne, le Japon et le Canada.
De plus, puisque le Congrès devrait normalement débattre
et voter sur les changements du cours de l’or, de nombreux
détenteurs de dollars se précipiteraient pour les
échanger contre de l’or. En théorie, la
réévaluation de l’or pourrait être
préparée en secret par toutes les nations concernées et
annoncée simultanément. En pratique, les économistes
pensent que cela est pratiquement impossible à réaliser. Et
donc, pour toutes ces raisons, le Président Johnson, dans son Message
Economique, il y a deux semaines, a répété six fois que
les USA sont bien déterminés à maintenir l’or
à son cours actuel.
Nouvel Axe Européen. De Gaulle ne croit probablement pas que le monde va revenir à
un étalon-or. Il a beaucoup été influencé par
Jacques Rueff, son mentor économique et probablement le plus ardent
défenseur d’un retour à l’or. Rueff a salué
l’explosion de de Gaulle la semaine dernière comme
« une invitation à une entreprise commune qui va
délivrer l’occident d’un système monétaire
absurde ». Mais de Gaulle, bien qu’il admire sa
théorie, est un artiste du possible et il est probablement en train
d’utiliser la menace d’un étalon or dans l’espoir de
mettre une certaine pression sur les USA et la Grande-Bretagne afin
d’accepter des changements plus mineurs dans le système actuel
qui seraient favorables à la France. Pendant les six derniers mois, il
a soutenu la création d’une nouvelle monnaie de réserve
internationale appelée le CRU (ou unité de réserve
collective) qui donnerait un poids plus grand à l’or et une
puissance financière plus importante aux nations ayant de larges
réserves d’or. Les Etats-Unis y ont été
opposés mais l’attaque de de Gaulle sur le dollar pourrait
forcer Washington à reconsidérer la chose.
Les plus hauts responsables du Comté Directeur de la
Réserve Fédérale pensent que de Gaulle, aidé par
l’Espagne de Franco, est en train de former un nouvel axe
européen créé dans le but d’embarrasser et
d’affaiblir les Etats-Unis en attaquant le dollar. Pour soutenir le
dollar, le Président de la Fed William McChesney Jr. a pressé
le Président Johnson à procéder à des changements
radicaux et précipités pour éliminer les déficits
de la balance des paiements. « D’une manière ou
d’une autre, quelque chose doit être fait », a-t-il
dit récemment. « Il est important que nous faisions face
à ce qui est finalement devenu un déficit chronique et qui nous
laisse dans une position faible. »
Martin, Douglas Dillon et le Directeur du Budget Kermit
Gordon sont en train d’exercer des pressions en faveur de mesures qui
affecteraient dramatiquement les politiques des nations
étrangères et domestiques. Parmi les propositions que
l’un ou l’autre des trois ou bien les trois ont proposées
conjointement : une taxe de 50$ à 150 $ de sortie du territoire
par personne pour décourager le tourisme à
l’étranger, un contrôle direct des investissements
à l’étranger, une coupe plus grande dans les
investissements à l’aide étrangère et si
nécessaire une réduction drastique des troupes
stationnées en Europe. Ces propositions ont été
chaudement débattues pendant une série de meetings secrets
à la Maison Blanche. Le Département d’Etat est contre
tout retrait des troupes ou toute coupe dans l’aide étrangère,
et le Département du Commerce argumente que les restrictions sur
l’investissement détruiraient la réputation des USA comme
étant le marché du capital le plus libre au monde. La Maison
Blanche pense qu’une taxe sur les personnes concernant les touristes
qui se rendent à l’étranger serait un véritable
poison politique.
Le compromis de Johnson. Le
département d’Etat croit, en fait, qu’un déficit
des paiements de 3 milliards ne devrait par vraiment inquiéter une
nation ayant une économie de 650 milliards de dollars et deux fois
plus de créances en devises étrangères que les pays
étrangers n’en n’ont contre le dollar. Il argumente que
les USA pourraient réduire le déficit de 500 millions en comptabilisant
ses dépôts étrangers à court termes aux USA comme
des actifs au lieu de dettes.
Un fort soutien en faveur de cette perspective optimiste a
été apporté la semaine dernière par Pierre-Paul
Schweitzer, le Président Directeur Général du Fonds
Monétaire International et le Contrôleur en chef des monnaies de
rang mondial. « Une estimation plus réaliste pourrait
abaisser quelque peu le déficit global », a-t-il
affirmé. « la structure de la balance des paiements US est
une de ses forces sous-jacentes ».
Avec sa préférence habituelle pour les compromis, le
Président Johnson a décidé plus tôt la semaine
dernière de faire quelques aménagements légers. Ceux-ci
devaient inclure une petite restriction de l’offre monétaire
domestique afin d'empêcher le dollar de s’écouler vers
l’étranger, une taxe sur les crédits des banques
américaines à l’étranger et une campagne de presse
pour persuader les hommes d’affaires américains de
réduire leurs investissements à l’étranger. Le pavé
dans la mare de de Gaulle a pu convaincre le Président que des
politiques plus dures sont nécessaires. En tout cas, Washington est
d’accord avec de Gaulle sur au moins un point : quelques
changement devraient être faits dans un système monétaire
mondial qui met les USA à mal.
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