Derrière les transactions financières, il y a des systèmes techniques, et
le plus gros des systèmes de règlements internationaux c’est le réseau SWIFT,
détenu par les Américains. Ce système SWIFT peut permettre, parce qu’il est
utilisé par tout le monde, d’exclure un pays de tout le système financier
international.
Avec l’augmentation des tensions géopolitiques, il y a un risque
évidemment, en ne plaisant pas aux « maîtres » américains, d’être
viré du système, les conséquences en seraient majeures pour un pays. La ruine
assurée, le pays concerné est littéralement débranché du reste du monde.
D’où la nécessité pour des pays comme la Chine et la Russie, pour qui
l’indépendance signifie encore quelque chose, de mettre en place des
solutions alternatives fonctionnelles susceptibles de prendre le relais en
cas d’exclusion.
Alors que s’ouvre le 25 juillet à Johannesburg le sommet annuel des BRICS,
la question du monopole du réseau SWIFT, par lequel transite la majorité des
transactions financières mondiales, occupera une partie des débats. La Russie
et la Chine cherchent une alternative à ce système sous influence occidentale
qui se mue parfois en levier de pression.
« Il y a des risques à utiliser les réseaux financiers internationaux, le
système financier global, duquel fait partie la Russie. » Nous sommes le 24
mai 2018. Lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Elvira
Nabiullina, gouverneure de la Banque centrale de Russie, confirme ce que les
spécialistes des transactions financières internationales savaient déjà :
Moscou a entamé sa quête d’une alternative au système SWIFT, le mastodonte
par lequel transitent presque toutes les transactions financières mondiales.
« Depuis 2014, nous développons nos propres systèmes, incluant un système de
paiements. À l’intérieur de la Russie, nous avons maintenant la possibilité
de transférer des données financières d’une manière similaire à SWIFT »,
ajoute la patronne de la Banque centrale russe. Et la Russie n’est pas seule
à chercher à disposer d’une alternative à SWIFT. Pékin développe aussi son
propre système.
Afin de comprendre la volonté des deux puissances, attardons-nous un
moment sur le système SWIFT. Acronyme de « Society for Worldwide Interbank
Financial Telecommunication » (société de télécommunication financière
interbancaire mondiale), cette société fondée en 1973 à Bruxelles a créé un
processus commun et standardisé pour les transactions financières. Elle
fournit un réseau sécurisé à plus de 10 000 institutions financières à
travers le monde. SWIFT ne transfère pas de fonds. Son but est d’envoyer des
ordres de paiement entre différents comptes et institutions selon une
procédure très codifiée. Le réseau réalise en quelque sorte un acte notarial
qui assure la non-répudiation des échanges. L’écrasante majorité des acteurs
financiers ont recours à SWIFT : les banques évidemment, mais également les
courtiers en Bourse, établissements de trading, chambres de compensation,
etc. Dans ce contexte, il serait financièrement dramatique pour un pays
d’être exclu d’un tel réseau sans disposer d’une autre alternative. C’est ce
que nous a confirmé Dominique Garabiol, banquier et professeur associé à
l’université Paris 8 :
« C’est très pénalisant, car cela interrompt les flux sur les plans
commercial et financier. Il existe toujours des possibilités de contourner,
mais c’est une procédure très lourde et très lente. Cela oblige à avoir des
comptes partout à travers le globe pour faire transiter l’argent ce qui rend
cette possibilité très coûteuse. »
Si SWIFT est une société coopérative détenue et contrôlée par ses
adhérents, sa position préférentielle au sein du système financier mondial la
soumet à de vives pressions politiques. En 2012, l’Iran avait été exclu du
réseau SWIFT sous la pression des États-Unis et de l’Union européenne qui
avaient pris des sanctions économiques contre Téhéran dans le contexte de son
activité nucléaire. L’une des raisons principales vient du fait que toutes
les transactions en dollars effectuées dans le monde tombent sous le coup de
la loi américaine. Sachant que le billet vert est la monnaie de référence des
échanges commerciaux internationaux et que les grandes banques américaines
occupent une place importante au sein du système SWIFT, les moyens de
pression sont très grands. Parfois, la société bruxelloise résiste. Dans le
sillage des premières sanctions économiques prises par l’UE en 2014 suite au
rattachement de la Crimée à la Russie considérée comme illégale par l’UE, le
Parlement européen envisageait l’exclusion de la Russie du réseau SWIFT. La
compagnie avait alors refusé cette possibilité.
« SWIFT tente de résister, car elle sait très bien que si elle se plie
trop vite aux exigences américaines, les banques chercheront une autre
solution. Mais son pouvoir de résistance a des limites, encore une fois à
cause des transactions en dollars qui sont soumises à la juridiction
américaine », explique Dominique Garabiol.
Reste que pour la Russie, la menace d’une exclusion du réseau SWIFT ne
s’est pas évanouie. C’est dans ce contexte que Moscou a cherché à se doter de
son propre système. SPFS pour « System for transfer of financial messages »
(Système de transfert de messages financiers), se veut donc être la réponse
russe à SWIFT. Des centaines d’établissements financiers russes ainsi que des
géants étatiques comme l’industriel Rostec et le pétrolier Rosneft ont déjà
été connectés au système. Comme le rappelle le site internet de la Banque
centrale russe, le projet a bien pour but de parer à une éventuelle exclusion
de SWIFT en se voulant être « un canal alternatif pour la coopération
interbancaire avec le but d’assurer et de garantir des prestations de
services ininterrompues pour la transmission de messages électroniques
concernant les transactions financières ».
« Le système est déjà opérationnel et il autorise, à l’intérieur de la
Russie, le transfert de données financières », déclarait la présidente de la
Banque centrale russe en mai 2018 avant de qualifier le système de «
compétitif ».
À l’intérieur de la Russie… C’est avec cette précision que les questions
sur la crédibilité de l’initiative deviennent légitimes. Timothy Ash,
stratégiste spécialiste des marchés émergents pour Bluebay Asset Management
qualifie le SPFS de « peu crédible ». Il souligne que le système peut
potentiellement fonctionner pour le marché intérieur russe et quelques
marchés non occidentaux. Cependant, il est pour lui « irréaliste » de
penser qu’il conviendrait à des échanges avec des partenaires occidentaux.
Une analyse partagée par Maximilian Hess, analyste des risques politiques
pour la société londonienne AKE Group :
« La Russie travaille en effet sur son alternative à SWIFT, mais son
potentiel d’atténuation des risques posés par une éventuelle exclusion de
SWIFT est limité. »
Il ne voit cependant pas la Russie se faire prochainement exclure du
système SWIFT même si la menace continuera, selon lui, d’être agitée.
Le Pays des Tsars n’est pas le seul à chercher à bousculer l’hégémonie de
SWIFT. Le 8 octobre 2015 était lancé à Shanghai le CIPS, acronyme de «
Cross-Border Interbank Payment System » (Système de paiement interbancaire
transfrontalier). Il a pour but de permettre à des entreprises opérant en
Asie et en Europe de transférer des fonds en yuan vers des comptes en Chine.
Auparavant, ce genre d’opérations étaient conduites en transitant par des
comptes off-shore via SWIFT. Le système chinois a déjà convaincu plusieurs
établissements financiers étrangers installés dans le pays. Plus qu’une
volonté de concurrencer SWIFT, c’est bien le désir de faire de l’ombre au
dollar qui anime Pékin. Le 25 mars 2016, Alain Raes, directeur général de
SWIFT pour la zone Asie-Pacifique, et Li Wei, directeur exécutif du CIPS, ont
signé un accord établissant une collaboration pour développer le CIPS en
utilisant SWIFT comme canal sécurisé et ainsi connecter le CIPS avec la
communauté mondiale des utilisateurs de SWIFT. Le but de la manœuvre pour la
Chine est clairement de faire plus de place au yuan dans les échanges
internationaux au détriment du dollar.
« Bien sûr, il serait bien plus efficace d’avoir un système international sur
lequel tout le monde pourrait compter, qui se distinguerait par sa clarté et
son inviolabilité tant au niveau des règles que de l’accès », déclarait en
mai 2018 Elvira Nabiullina.
Un tel système pourrait-il venir des BRICS ? Dominique Garabiol n’exclut pas
cette possibilité, mais met en garde contre les risques de pressions venant
de Washington :
« On peut tout à fait envisager la mise en place d’un système
international parallèle à SWIFT qui associerait des pays qui ont des flux
internationaux conséquents comme les BRICS par exemple. Mais le problème sera
toujours celui de la pression américaine. On peut par exemple imaginer que si
le Brésil prenait part à une telle initiative, Washington ferait tout pour
qu’il cesse d’y participer. »
Le banquier est néanmoins persuadé que la donne va changer :
« SWIFT va garder pour un temps sa position dominante, mais elle
s’affaiblira immanquablement devant l’émergence d’autres initiatives à
l’internationale qui auront pour origine les changements dans les rapports de
force entre nations. À l’avenir, les circuits financiers internationaux
seront beaucoup plus diversifiés et évidemment que dans ce contexte, il y
aura de la place pour des acteurs qui seront moins sous influence américaine .»
Des tractations ont peut-être déjà commencé en ce sens. La Russie et la
Chine disposent déjà de leurs propres systèmes. Les mettront-ils en commun ?
Seront-ils rejoints par l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et même d’autres
pays ? Nul doute que ces questions occuperont une partie des débats lors du
sommet.
Le 10e sommet des BRICS aura lieu du 25 au 27 juillet à Johannesburg en
Afrique du Sud. Il se déroulera en présence des Présidents russe Vladimir
Poutine, chinois Xi Jinping, brésilien Michel Temer, sud-africain Cyril
Ramaphosa et du Premier ministre indien Narendra Modi. Officiellement, la
priorité sera donnée à la « collaboration en vue d’une croissance inclusive
et d’une prospérité partagée ». De quoi parler transactions financières
internationales ?
Source Agence russe Sputnik.com ici