Des excès inquiétants sont en train de se développer dans le secteur
bancaire de l’ombre (shadow banking), qui pèse pour 52 trillions de
dollars. Les investisseurs risquent des pertes sérieuses à l’occasion du
prochain retournement de cycle, selon l’agence de notation DBRS.
La chasse au rendement a mené au développement des prêts à effet de
levier, des CLO et autres instruments à haut risque qui font
furieusement penser à la crise Lehman.
Si les banques ont été contraintes d’augmenter leurs réserves et sont
censées être bien plus sûres qu’en 2008, les risques ont migré vers les
poches du vaste secteur non bancaire. Le shadow banking
représente aujourd’hui 67 % d’un secteur financier qui pèse 97 trillions
de dollars.
Ce secteur prête directement de l’argent, notamment aux entreprises, comme
le secteur bancaire traditionnel, mais il n’est pas régulé aussi
strictement.
Selon DBRS, les modifications qu’a connues le secteur bancaire américain
de l’ombre représentent un risque significatif. Celui-ci est le plus
important du monde, il pèse bien plus lourd que celui de la Chine, surtout en
ce qui concerne les prêts à effet de levier. « La qualité de ces
crédits s’est détériorée », a écrit l’agence de notation.
Le marché du crédit à effet de levier a doublé depuis le pic enregistré avant
Lehman, pour atteindre aujourd’hui 1,2 trillion de dollars. Les crédits dotés
d’une protection minimale ou inexistante pour les créditeurs ont bondi de 20
à 80 %. Les prêts à effet de levier concernent des crédits accordés
à des sociétés dont l’endettement est 4 fois supérieur ou plus à leur marge
brute d’autofinancement.
La Bank of England a émis de nombreux avertissements en ce qui concerne
ces crédits. Alex Brazier, responsable de la stabilité
financière à la BoE, a déclaré que les entreprises utilisent des combines
comme les rachats d’actions afin d’embellir leur profil. (…)
La banque s’alarme également de la croissance des fonds fermés, qui pèsent
désormais pour 30 trillions de dollars à l’échelle mondiale. Ces fonds
détiennent souvent des actifs illiquides. Par exemple, il
faut en moyenne 297 jours pour vendre de l’immobilier commercial. Pourtant,
ces fonds promettent aux investisseurs qu’ils peuvent retirer leur argent à
tout moment. Ce qui n’est pas sans danger.
« Cela pourrait déboucher sur quelque chose de systémique »,
a déclaré cette semaine le gouverneur de la BOE, Mark Carney.
« Ces fonds sont construits sur un mensonge,
à savoir qu’il existe une liquidité quotidienne pour des actifs qui sont
fondamentalement illiquides. »
Les pièges de ce modèle ont été récemment mis en exergue lorsque des
investisseurs ont retiré pour plus de 5 milliards de dollars de 6 fonds gérés
par H20 Asset Management en raison de craintes concernant
des liens avec un magnat allemand controversé. Depuis, les retraits de ces
fonds possédés par Natixis ont été gelés. (…)
Selon DBRS, presque 2/3 de l’activité du secteur bancaire de l’ombre
concerne des « véhicules d’investissement collectifs » qui
concentrent le risque, ce qui pourrait remettre en question la stabilité financière
en cas de crise. (…)
Le montage des CLO est meilleur que celui des instruments
qui ont provoqué la crise des subprimes (CDO, obligations
adossées à des actifs). (…) Malgré tout, on ignore qui possède exactement ces
CLO, même si on sait que les caisses de retraite en ont une quantité
appréciable. « Il est difficile de savoir où réside le risque »,
admet DBRS.
Ce qui fait retentir une sonnette d’alarme Lehmanesque. En 2008,
on a ainsi découvert que la plupart des 2 trillions de crédits subprime appartenaient
à des banques européennes et à des fonds qui avaient
emprunté des dollars sur les marchés des capitaux à une maturité de 3 mois.
Lorsque le marché interbancaire a cessé de fonctionner, ces institutions
furent contraintes de vendre leurs actifs subprime, ce qui a
provoqué cette spirale qui a fait exploser le système financier.
M. Brazier a déclaré que les régulateurs mondiaux ne disposent pas de
données suffisantes concernant le secteur bancaire de l’ombre. Il est grand
temps pour eux de se faire une idée des risques sous-jacents.
Source : article d’Ambrose Evans-Pritchard, publié sur le site du Telegraph