Le 15 septembre 2008, à Wall Street, on assistait à une scène incroyable :
des employés de Lehman Brothers quittent le siège de la banque d’investissement
qui vient officiellement de faire faillite. Ils ont dans leurs mains le
“traditionnel” carton avec leurs affaires personnelles des personnes “fired”
(virées). Cet épisode marquera le début de la plus grande crise financière
connue depuis la grande dépression de 1929. 10 ans après a-t-on tiré les
leçons de ces événements ? Est-il possible qu’une telle crise intervienne à
nouveau, aujourd’hui, en 2018 ? Soyons clairs : personne ne peut
répondre non à cette question.
En 10 ans, la crise dite des “subprimes” a été analysée, décortiquée par
les plus grands spécialistes. Dès le mois de décembre 2008, Jean Tirole
publie une note remarquable de 65 pages pour le compte de l’Ecole d’Economie
de Toulouse qu’il préside : “Leçons d’une crise”. Note que vous
pouvez télécharger ici.
“Les crises trouvent souvent leur origine dans le laxisme des périodes
fastes” écrit celui qui n’est pas encore prix Nobel d’économie, prix qu’il
recevra en 2014. Je ne ferai à ce stade aucun commentaire sur les raisons
invoquées par l’économiste sur l’origine de cette crise de 2008 :
Tout d’abord, le maintien par la Fed de taux d’intérêt de court et long
terme anormalement bas (1% à certains moments pour le taux court) pendant
plusieurs années au début des années 2000 a fourni une liquidité très bon
marché. Combinée à un désir politique d’encourager l’acquisition immobilière
par les ménages et à d’autres facteurs sur lesquels nous reviendrons par la
suite, cette politique monétaire laxiste a alimenté la bulle immobilière.
On se souvient aussi qu’aux Etats-Unis, la multiplication des prêts à
risque aux particuliers -taux fixes pendant une courte période puis
taux variables- avec une stagnation du prix de l’immobilier et à une hausse
des taux ont provoqué un véritable séisme : 1,4 millions de défaillances en
2008, 3 millions en 2009. Les saisies par les prêteurs se multiplient, ces
biens sont immédiatement mis sur le marché ce qui entraîne une augmentation
de l’offre immobilière et donc une baisse généralisée des prix : la bulle
immobilière explose !
On notera que la crise de 2008 n’est donc pas une crise de la dette
publique mais bien dû à une défaillance de la dette privée ! Je vous invite à
(re)lire l’entretien que j’ai eu avec l’économiste
Dany Lang sur les économies zombifiées par les emprunts des particuliers
et des entreprises.
On s’est tous demandé en tant qu’emprunteur lambda qui s’est un jour
retrouvé confronté au refus de crédit de la part d’un organisme bancaire “vos
mensualités dépassent 30% de vos revenus monsieur !“, comment les
autorités américaines avaient pu laisser faire ! “Le laxisme” vous dit Jean
Tirole. Oui, sans doute, mais aussi la manipulation du monde de
la finance. En effet, les banques ont fermé les yeux ou plutôt elles
se sont débarrassées de ce poids, de ce risque en le plaçant dans des
véhicules d’investissement structurés. C’est le recours à la
titrisation de la dette. Et ce n’est pas neutre parce que si les
banques ont des obligations réglementaires importantes, les véhicules
d’investissement (SIV) ont moins d’obligations (sans mauvais jeu de mot).
Devant une telle crise, la banque centrale américaine injecte des
liquidités par centaines de milliards. Il s’agit de sauver l’économie mais
aussi la finance. On se retrouve donc ici dans une transformation de la dette
privée en dette publique. Il y aura le même phénomène en Europe où la BCE
injectera des milliards d’euros pour sauver le système bancaire. Certains
économistes se demandent si pour la prochaine crise, il ne serait pas plus
pertinent de financer les emprunteurs (les privés) afin de diriger le flux
financier directement dans le moteur de l’économie : les entreprises et les
consommateurs.
Bâle III : balles neuves pour la réglementation ?
Dès 2009, les autorités décident plusieurs mesures réglementaires pour
contraindre les banques à ne pas laisser filer le risque emprunteur. Le Think
Tank Terra Nova (proche du parti socialiste) décrit dans un document
publié en septembre 2018 à l’occasion des dix ans de la crise, les mesures
prises. On impose aux banques des seuils réglementaires notamment sur les
fonds propres 3 fois supérieurs à ceux de Bâle II .
L’autre nouvelle obligation concerne les liquidités des banques. En effet,
un des signaux précurseurs de la crise de 2008, c’est une crise de liquidités
sur les marchés interbancaires un an avant ! La BCE avait décidé d’ouvrir les
vannes pour permettre aux banques de retrouver un peu de capacité en cash.
Ces obligations réglementaires sur les liquidités auraient un effet
pervers “agité” par les banques elles-mêmes : le recours au shadow banking
par des financiers qui refuseraient toute cette couche réglementaire.
A-t-on tiré les leçons de la crise de 2008 ?
Malheureusement, ils sont de plus en plus nombreux à penser que non. Il
suffit de regarder vers les Etats-Unis pour s’apercevoir que le risque
emprunteur est en train de revenir. Il ne s’agit pas de l’immobilier mais
d’autres crédits. L’optimisme américain est une valeur tellement ancrée dans
l’ADN de ce pays qu’on commence à s’interroger par exemple sur le poids des
emprunts étudiants. L’Urban Institut a publié à la fin du mois d’août 2018 un
rapport
très inquiétant sur la dette des étudiants.
Avec des chiffres vraiment effrayants. Sur 40 millions d’emprunteurs, 8
millions seraient insolvables. On estime à 15 millions les personnes en
incapacité de remboursement en 2023. On évoque aussi les emprunts pour
l’achat d’une voiture afin de se lancer dans une activité de chauffeur privé
(style UBER). Une inflation qui augmente aux Etats-Unis, des courses dont les
prix baissent en raison de la concurrence des société de VTC ou par l’interdiction
de circulation par les grandes métropoles. Les défaillances vont se
multiplier. Enfin, le commerce est en train de trembler sur ses bases aux
Etats-Unis en raison du développement de l’ogre Amazon et donc on n’a jamais
connu autant de défaillances
dans le commerce de l’équipement de la personne depuis bien longtemps
outre atlantique
Crise en 2018, en 2019 ?
On se focalise sur les Etats-Unis parce que le risque semble important
là-bas même si les chiffres de l’économie sont plutôt bons : chômage au plus
bas, bourse au plus haut. Il y a donc un risque de fin de cycle économique et
il suffit, selon certains experts, que l’inflation augmente, que les taux
grimpent pour que la surchauffe arrive et donc que survienne une
crise dans les 6 mois.
Côté européen, deux pays inquiètent particulièrement les économistes :
l’Italie et sa dette publique qui pourrait se retrouver dans un scénario à la
grecque sauf qu’il sera difficile pour les autres pays européens de renflouer
un tel gouffre. Mais aussi et surtout l’Angleterre et sa sortie de l’Union
Européenne. Le Hard
Brexit s’approche à grands pas et pour l’instant, aucun accord économique
et administratif ne semble se profiler. On s’aperçoit que les échanges vont
être compliqués, certaines industries comme la pharmacie s’aperçoivent que
les certifications vont disparaître et donc que certains produits ne seront
plus exportables ou importables. Les anglais sont en train de faire des
stocks de certains médicaments !