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presslib’ » (*)
Il est soudainement
beaucoup parlé de taxes en Europe – sur les bonus, ainsi que sur
les transactions financières – tandis qu’aux Etats-Unis la loi
instituant la réforme de la régulation financière subit
les derniers assauts des membres de la Chambre des représentants,
avant que les sénateurs ne prennent le relais, pour conclure à
l’été 2010 sans doute. Les membres de la Chambre des
représentants n’ayant pas – encore – la tête a
discuter des taxes, le Sénat étant pour sa part en plein examen
de la réforme de la santé.
Sans se décourager pour
autant, reprenant son costume de franc-tireur, Gordon Brown, le premier
ministre britannique, a pris l’initiative, comme il l’avait
précédemment fait en annonçant les mesures de sauvetage
initiales des banques britanniques, avant le premier G20 de Londres. Il
s’efforce, semble-t-il avec succès, d’entraîner dans
un premier temps toute l’Union européenne derrière lui
à propos de la taxation des bonus (et non plus d’un appel
à leur limitation), bénéficiant du ralliement dans la
foulée de Nicolas Sarkozy et de celui, mais encore du bout des
lèvres, d’une Angela Merckel qui rencontre à tout bout de
champ des obstacles au sein de sa coalition gouvernementale.
C’est une
taxe sur les bonus bancaires qui tient donc dans l’immédiat le
haut de l’affiche, la nécessité d’étudier
une taxation des transactions financières venant d’être
cependant réaffirmée par les chefs d’Etat
européens à Bruxelles, dans le cadre du mandat de
réflexion qui a été donné lors du dernier G20 au
FMI. En dépit du rejet immédiat, en clôture du dernier
G20 finances de St Andrews, de toute perspective de cette nature par Tim
Geithner, secrétaire d’Etat au Trésor américain.
Beaucoup va être dit et
discuté à propos de ces deux projets, dont les
caractéristiques ne sont pas précisément cernées
et les décisions de les appliquer pas encore formellement prises. Ce
qui laisse du grain à moudre à ceux qui vont s’efforcer
d’en minorer à tout prix les portées, voire d’en
empêcher l’avènement. Mais nous sommes vraisemblablement
entrés dans un nouvel épisode de la crise. En regard de la
poursuite et de l’approfondissement social de celle-ci, il
n’était en effet plus pensable pour les gouvernements
européens, qui vont devoir demander dans leurs pays de lourds
sacrifices avec un important coût social, afin de réduire les
déficits publics, de partir la fleur au fusil et sans munitions. Ils
doivent prendre en compte le sourd ressentiment qui s’est
installé dans l’opinion publique envers les banques, symboles du
système financier, et y répondre par des actes tout aussi
symboliques. Cela s’appelle faire de la politique de nos jours.
Le sujet qui montait dans
l’actualité, l’éventualité d’une
banqueroute grecque, n’est pas pour autant remisé. La place
importante qui lui a subitement été accordée
n’avait pas pour seule raison la situation d’endettement
déjà préoccupante du pays, la qualité douteuse de
ses statistiques économiques n’arrangeant rien, mais
également le fait que d’autres pays européens sont dans
la ligne de mire des marchés financiers.
Toutefois, il est apparu
qu’en dépit de quelques batailles d’arrière-garde
(menées au sein même du gouvernement allemand de coalition), un
consensus s’était vite fait sur la nécessité de
faire corps, ayant entretemps exercé une pression maximum sur le
gouvernement grec afin qu’il s’engage résolument sur la
voie des sacrifices (ceux qu’il va imposer aux Grecs). Nous rappelant
que si les statuts de la BCE lui interdisent de financer la dette d’un
Etat, ils autorisent de fermer les yeux sur les liquidités massivement
apportées par celle-ci aux banques grecques, afin qu’elle
achètent cette même dette ! L’idée est
d’éviter une intervention du FMI, qui ferait désordre au
sein de la zone euro. Et d’y faire de la Grèce un exemple à
suivre. On dit à ce propos que les financiers de la City auraient
déjà adopté le charmant acronyme de PIGS (cochons) pour
identifier, à la manière du BRIC des pays émergents
(Brésil-Russie-Inde-Chine) cette fois-ci le Portugal, l’Irlande,
la Grèce et l’Espagne. Oubliant de faire figurer dans cette
liste de l’infamie (mais ils sont hors zone euro)… le
Royaume-Uni, ainsi que l’Islande, déjà enterrée,
pour ne pas traverser l’Atlantique.
Ce qui nous amène à
nous demander s’il n’y aurait pas une corrélation entre
ces deux campagnes – taxes sur les bonus et prochaines mesures drastiques
de réduction des déficits publics – la première
étant une sorte de tir de barrage d’artillerie qui
précéderait une forte offensive en faveur de la seconde (qui
devra tôt ou tard être lancée). Il est toutefois
également possible de s’interroger : cette même
campagne allant à la rencontre de l’opinion publique – lui
vendant l’idée qu’elle ne sera pas seule à
supporter les énormes coûts d’une crise dont elle
n’est pas responsable – ne risque-t-elle pas d’avoir un
effet contraire à celui recherché ? Offrant certes un
exutoire à la vindicte populaire, mais risquant que celui-ci devienne
un point d’appui pour que plus soit exigé ? « Ne
quittez pas l’antenne ! » (stay in tune), comme on
disait sur les postes radiophoniques !
Il est tout aussi envisageable,
dans cette affaire qui ne fait que débuter, que les gouvernements
réagissent ainsi face à l’inextricable situation dans
laquelle ils se trouvent. Indéniables complices consentants
d’une finance qui se révèle pourtant ouvertement rebelle
à leur égard, dès qu’ils envisagent ne serait-ce
que légèrement en heurter les intérêts.
Rabaissés dans la pratique au rang de simples exécutants
chargés des basses besognes. Ayant cependant besoin, eux, d’être
réélus selon les règles d’un suffrage universel
parfois porteur de mauvaises surprises. La concrétisation
éventuelle d’une taxe sur les transactions financières
reflète le besoin qu’éprouvent ces mêmes
gouvernements, qui multiplient les accommodements plus ou moins discrets avec
les financiers, de se protéger un peu mieux des éclaboussures
que ces derniers provoquent par leur comportement, ainsi de ce qu’ils
vont devoir annoncer et endosser.
Quelles conséquences
pourraient être attendues d’une telle taxe ? Si tout du
moins elle voit effectivement le jour et ne se réduit pas, au final,
à une mesure totalement ridicule, tel le projet de Bernard Kouchner,
ministre Français des affaires étrangères, auquel
s’était opportunément ralliée Christine Lagarde,
ministre de l’économie et des finances. Si toutefois les
Américains ne parviennent pas à en étouffer totalement
le projet. Le fameux diable qui se vautre dans les arguties et se
repaît des détails va faire une apparition de plus, et avec lui
toutes les craintes que cette taxe soit dévitalisée
derrière un épais nuage de soufre.
Ces obstacles franchis,
s’ils doivent l’être, il est communément admis
qu’elle pourrait contribuer à notablement réduire le
volume des activités spéculatives financières,
enchérissant leur coût, rendant même certaines
d’entre elles non rentables, diminuant ainsi la taille des futures
bulles financières est-il espéré. Mais l’effet
pourrait être contraire, amenant les opérateurs financiers
à accroître la rentabilité de leurs opérations,
afin de compenser ce nouveau coût, augmentant leur prise de risque et
précipitant d’autant de nouvelles crises. Taillées
à minima, enfin, elles pourraient permettre de tenter de justifier un
solde de tout compte. Le bilan escompté d’une taxe
financière, financier aussi bien que politique, n’est donc pas
garanti par avance.
Par ailleurs, ces projets de taxe
(comme ceux qui portent sur le démantèlement des
mégabanques), ne sont pas porteurs d’une solution principielle
aux dérèglements majeurs du capitalisme financier. Ils ne
s’attaquent pas à leurs causes et ne cherchent qu’à
en limiter les effets. En ce sens, seules des interdictions drastiques
pourraient empêcher que se renouvellent les crises financières,
avec le risque annoncé que la prochaine soit encore plus
dévastatrice que l’actuelle, les Etats ayant
épuisé leurs munitions, leur endettement ne pouvant augmenter
à l’infini. L’interdiction des paris sur les
fluctuations de prix est de ce point de vue une mesure centrale, dont les
conséquences décisives sont masquées par le
caractère faussement anodin de son énoncé. Toutefois, vu
l’extrême fragilité des édifices financiers, on
peut se demander si mêmes des mesures limitées de taxation
n’auraient pas des effets imprévus en chaîne. Qui
seraient, eux aussi, en quelque sorte systémiques !
Dans l’immédiat, les
regards vont nécessairement se tourner vers les Etats-Unis, afin de
mieux estimer les chances que le soutien européen au principe
d’une taxe financière y soit repris, une fois mis en forme
par le FMI au printemps prochain, car c’est bien entendu la condition
préalable à son sacrement. Les débats du Congrès
sur la régulation financière, acharnés depuis plusieurs
mois, se poursuivent encore aujourd’hui à la Chambre des
représentants, avant que le Sénat ne prenne le relais, sur la
base d’une autre proposition de loi, considérée comme
plus dure pour l’industrie financière. Tous les
amendements sur la table n’ont pas encore été
adoptés ou rejetés à l’heure où ce billet
est publié, de telle sorte qu’il est difficile de faire
même un premier point d’étape sur un document qui fait
1.279 pages et qui fourmille de nouvelles mesures.
Quelle sera la résultante
de ces débats, de ces stratégies d’influence des lobbies,
des convictions quasi religieuses de certains, sans oublier la manière
dont les congressmen anticipent la pression de leurs électeurs ?
Il est peu probable que la face du monde de la finance en sorte
bouleversée, que les boulons seront vissés là où
ils devraient l’être. Alors que les décisions prises
à Washington auront vocation à faire internationalement
jurisprudence, comme autant de faits accomplis, les Européens
étant à la traîne, retardés par des Britanniques
qui jouaient pour cette raison même la montre.
Le débat à propos
d’une taxe sur les transactions financières, lui, couve sous la
cendre : une proposition de loi est sur le bureau du Congrès, des
signaux sont apparus qui montrent qu’il est discrètement
engagé au sein de l’administration Obama, à la recherche
de réponses politiques à la baisse de la popularité du
président et à ses conséquences pour les élus
démocrates à l’occasion des élections de mi-mandat
qui s’approchent.
Les dés n’ont pas
fini de rouler sur le tapis. Le débat sur la manière de se
prémunir du danger représenté par les
établissements financiers TBTF ne va pas non plus
s’éteindre. Pour une simple raison : la crise est loin
d’avoir encore produit tous ses effets. Nous sommes engagés dans
une dynamique imprévisible, de tous points de vue. La crise proprement
financière n’est absolument pas près d’être
terminée, la crise économique est profonde –
résultant à certains égards de causes que l’on
peut désormais analyser comme durables, si ce n’est même
structurelles – ses conséquences sociales s’approfondissent
et vont être de moins en moins supportables.
Le pari d’une croissance
retrouvée qui allégerait du poids croissant des défauts
de remboursement les banques, et éviterait de trop éprouvantes
mesures de réduction des déficits publics, est plus
qu’incertain. François Fillon, le premier ministre
Français, vient de déclarer, jeudi à Bonn, que
« la sortie de crise est dangereuse », pensant
notamment aux pertes d’emploi et à ce qui va les accompagner.
Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat Français à
l’emploi, vient de l’évoquer à sa manière en
déclarant sur une radio « La politique sociale, ça
ne peut plus être s’occuper uniquement des plus
défavorisés. Ceux qui trinquent le plus dans la crise sociale,
ce sont les classes moyennes. Il y a un moment où il faut
arrêter le « politiquement social correct ». La
France a « un système de protection sociale fondé
systématiquement sur les seuils de revenus et qui laisse de
côté les classes moyennes, notamment modestes »
a-t-il poursuivi.
Nous y sommes : la crise, en
Europe comme aux Etats-Unis, va avoir des conséquences
inédites. Les classes moyennes vont être touchées,
et c’est cela qui, des deux côtés de l’Atlantique,
est le phénomène le plus politiquement préoccupant pour
les pouvoirs en place, pas seulement pour les gouvernements.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de
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Paul Jorion, sociologue et
anthropologue, a travaillé durant les dix dernières
années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste
de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
Les vues présentées
par Paul Jorion sont les siennes et peuvent évoluer sans qu’il
soit nécessaire de faire une mise à jour. Les articles
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