Dans quelques mois, cela fera 70 ans que Romain Rolland
est mort. Cet écrivain est le type même d’auteur dont les
Français raffolent et qui est – malheureusement – si
emblématique de l’idéologie régnant dans notre
pays. Il avait une cible particulière : la bourgeoisie.
Pseudo-pacifiste – il a dénoncé
à très juste titre la volonté des pays
belligérants, pendant la Grande Guerre, de remporter une victoire
totale au détriment de la paix – il n’hésite
pourtant pas à soutenir la
révolution russe et le stalinisme. Certains événements des
années 1930 ont montré que le « petit père
des peuples » était bien moins isolationniste que ce
qu’une certaine légende urbaine veut bien admettre…
Heureusement, Romain Rolland est surtout connu pour ses œuvres
littéraires et aussi pour certaines de ses citations, comme celle-ci
qu’on prête parfois – à tort – à
Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de
l’intelligence à l’optimisme de la
volonté ». Cette phrase, de prime abord très hermétique,
est, au final, assez aisée à comprendre : par pessimisme
de l’intelligence, on entend le réalisme de l’être
humain qui serait peu tenté d’entreprendre des actions
inéluctablement vouées à l’échec. Mais
cette rationalité est parfois limitée par sa volonté, si
forte, si « irrationnelle », qu’elle
l’incitera à tenter l’impossible pour satisfaire ses
envies. Les lois de la logique sont ainsi défiées et on peut
imaginer que Romain Rolland trouvait cela positif. On peut le comprendre.
Sauf lorsqu’une phrase si optimiste est
« récupérée » par une
extrême gauche en quête de révolution.
Gilles Suze, regrettée tête de liste du
Nouveau Parti anticapitaliste, avait, en 2009, exposé son
interprétation de cette expression. Et autant se douter qu’elle
ferait frémir n’importe quel libéral : Suze estimait
que le mouvement social était en panne et que les quelques actions du
milieu des années 1990 et 2000 ne suffisaient pas à rendre ses
promoteurs optimistes.
Ces actions, qu’il jugeait porteuses de peu de résultats,
devraient inciter à la déprime du mouvement. C’est
d’ailleurs ce qui se produit au sein de Lutte Ouvrière. Cerise
sur le gâteau, Gilles Suze croyait déceler une stratégie
du Parti communiste français visant à marginaliser le NPA.
Malgré ce constat dépressif, Gilles Suze
incita les militants communistes à s’unir de nouveau et donc
à entrer dans le stade d’une « volonté
constructive », teintée d’optimisme. On n’ose
décemment imaginer les attentes, à long terme, de Gilles
Suze…
Dans une approche encore plus contemporaine et qui
intéressera plus le lecteur que la paranoïa et la
stratégie des trotskistes, la citation de Romain Rolland a également
été inversée pour caractériser le manque de
volontarisme de François Hollande qui n’a jamais semblé réaliser
l’ampleur de la crise qui minait ses années de
présidence, pensant que tout allait rentrer dans l’ordre sans
prendre en main les réformes qui s’imposent. Ce n’est pas
pour rien si Éric Dupin a titré une de ses chroniques sur le
magazine en ligne, Slate :
« Hollande, ou l’optimisme de l’intelligence et le
pessimisme de la volonté ».
À l’heure où la France s’enfonce
de plus en plus dans une « dépression
collective », la citation originelle de Romain Rolland
redevient à la mode et des psychiatres publient
même des ouvrages pour faire tendre les Français vers un
optimisme retrouvé – et ce, dès le plus jeune âge
de l’être humain.
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