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C’est également l’une des raisons
pour lesquelles Keynes a été l’un des avocats les plus dévoués du mouvement
fasciste des années 1930. Il célébrait l’esprit d’entreprise de Sir Oswald
Mosley, fondateur du fascisme Britannique. Il s’est allié au New York Times
pour faire l’éloge de la planification centralisée de Mussolini. Il n’est
donc pas surprenant que Keynes ait écrit l’avant-propos de l’édition
Allemande de son livre, parue en 1936, après que les Nazis furent arrivés au
pouvoir. Il a dit lui-même que son livre était plus facilement ‘adapté aux
conditions d’un état totalitaire’ qu’à la libre-compétition et au
laisser-faire. Il ne devrait pas non plus être surprenant, donc, que Keynes
se soit essayé à l’antisémitisme en faisant ouvertement l’éloge des tirades
anti-Juives du premier ministre Lloyd George et de son attaque brutale contre
le ministre Français des finances, le juif Louis-Lucien Lotz.
L’un des aspects les plus
étonnants du monde universitaire est la manière dont un secteur qui vit grâce
à sa réputation d’objectivité et d’amour pour la science peut si facilement
être pris d’assaut par les charlatans, et le succès de ce livre en est le
parfait exemple. Une majorité des économistes âgés de plus de 50 ans ne lui
ont pas prêté attention, mais les plus jeunes l’ont perçu comme une
révélation qui leur a offert des avantages de carrière sur leurs aînés. Le
prestige personnel de Keynes a beaucoup eu à voir avec ça. Comme l’a écrit
Rothbard, ‘il est certain que si Keynes avait été un obscur professeur
d’économie dans un petit collège du Mid-West des Etats-Unis, son travail,
s’il avait été accepté par un éditeur, aurait été complètement ignoré’. Mais
puisqu’il était l’élève d’un professeur de Cambridge et un étudiant de
Marshall, Keynes avait de gros avantages.
Le magnétisme Keynésien était
si fort qu’il a même su attirer quelques anciens suiveurs d’Hayek, qui à
l’époque enseignait aussi à Londres. Plus tragique encore a été la conversion
de Lord Robbins à la cause Keynésienne. Robbins a écrit un très bon livre sur
la Grande Dépression, un livre que l’Institut Mises publie encore
aujourd’hui. Il est écrit entièrement dans l’esprit de Mises. Mais après
avoir travaillé avec Keynes sur la planification économique pendant la
guerre, Robbins est devenu victime de son charisme personnel, et a parlé plus
tard de la brillance ‘extraordinaire’ de Keynes et de sa stature ‘digne d’un
dieu’. Il a écrit que Keynes est ‘certainement l’un des hommes les plus
remarquables à avoir jamais vécu’. Robbins a fini par répudier son meilleur
ouvrage et n’a retrouvé ses esprits qu’à la fin de sa vie.
Hayek a écrit à de nombreuses
reprises que Keynes était lui-même avant sa mort très proche de répudier ce
qui était devenu le système Keynésien. Il base ses propos sur le commentaire
positif fait par Keynes au sujet du livre d’Hayek, Road
to Serfdom, et des propos que lui aurait tenu Keynes en personne.
En analysant ces commentaires,
Rothbard a conclu qu’une telle conversion n’était pas imminente mais que
Keynes faisait simplement ce qu’aimaient faire les Keynésiens : changer
d’avis, sans attachement aucun aux standards, aux principes ou à la moralité.
Il aurait cru, dit et pensé n’importe quoi pour placer sa classe de
techniciens en charge de l’économie du monde. Il est remarquable qu’après une
vie entière à écrire, ses opinions étaient encore si difficiles à comprendre
qu’Hayek ait pu croire, bien que brièvement, qu’il puisse y avoir une once de
sincérité dans les mots et les actions de cet homme.
Comparer son travail avec
celui d’Henri Hazlitt est comme comparer le jour à la nuit. Hazlitt n’a
jamais occupé de poste académique, n’avait pas de connections familiales, et
n’a jamais formellement étudié l’économie. Mais il était un travailleur
assidu qui lisait beaucoup et a su se construire une carrière extraordinaire,
du fait qu’il ait été forcé de quitter l’école pour supporter sa mère devenue
veuve. Il lisait dès qu’il en avait le temps : Mill, Aristote,
Nietzsche, Gibbon, tout ce sur quoi il pouvait mettre la main. Il écrivait
des journaux personnels dans lesquels il développait son opinion sur leur
travail. Pendant ses études, il a conservé le même objectif un peu vieux-jeu :
découvrir la vérité pour pouvoir guider sa vie et ses jugements.
Il travaillait en même temps.
Ses premiers emplois se faisaient suite rapidement et ne duraient souvent que
quelques jours. En accomplissant chacun d’eux, il apprenait un peu plus avant
d’être renvoyé ou de se rendre compte qu’il n’avait pas le savoir-faire
nécessaire. Gardez à l’esprit que c’était bien avant que le salaire minimum
légal soit mis en place. Son salaire moyen augmentait peu à peu au fil de ses
expériences : 5 dollars par semaine, 8 dollars par semaine, puis 10 ou
12. Il est finalement devenu journaliste pour le Wall Street Journal. Il
était payé 75 centimes par article, et est rapidement devenu inestimable pour
son équipe.
C’est en 1910 qu’il a été pour
la première fois réellement exposé à l’économie avec l’ouvrage de Philip
Wicksteed, The
Common Sense of Political Economy. C’est ce livre qui lui a finalement
donné une perspective marginale et classique des problèmes économiques. Il
s’essayait alors à l’écriture. Il est parvenu à faire publier son premier
livre, Thinking
as a Science, à l’âge de 22 ans. L’Institut Mises conserve ce livre,
qui est l’une des plus grandes sources d’inspirations jamais écrites sur
l’éducation personnelle et le devoir d’apprendre.
Il commence son livre comme
suit :
Chaque homme sait qu’il existe
dans le monde des maux qui doivent être résolus. Chaque homme a des idées
assez définies de ce que sont ces maux. Mais aux yeux de la plupart des
hommes, un maux en particulier sort du lot. Pour certains, il contraste tant
avec le reste qu’il les empêche de percevoir les autres, ou de les observer
comme les conséquences naturelles de ce mal principal. J’ai moi aussi ma
petite bête noire, à laquelle dans mes instants les plus passionnés je peux
attribuer tous les autres. Ce mal est l’oubli de penser. J’entends par là le
vrai penser, le penser indépendant.
Ce sont là le ton et
l’approche d’un homme intègre, intellectuellement intègre, d’un homme
déterminé à découvrir ce qui est vrai. Son livre tout entier est écrit ainsi.
Je suis particulièrement attaché à son analyse de la raison pour laquelle les
gens s’attachent tant à l’erreur et ne laissent jamais rien passer. Il aurait
tout aussi bien pu décrire la fascination de la profession économique de
Keynes.
Dans ce passage, tiré de son
livre écrit à l’âge de 22 ans, il parle du préjudice qui affecte
particulièrement les intellectuels : leur propension à imiter des idées
qui, sur le moment, semblent être les bonnes.
Nous tombons d’accord avec
d’autres, nous adoptons les mêmes opinions que d’autres autour de nous, parce
que nous avons peur du désaccord. Nous avons peur de ne pas être d’accord
avec eux en matière de pensée parce que nous avons peur de différer d’eux en
matière d’habillement. Cette parallèle entre le style et l’habillement semble
perdurer. Nous ne voulons pas être vêtu différemment des gens autour de nous
de peur d’être vus comme étranges. Nous avons peur de penser différemment
parce que nous ne voulons pas être perçus comme étranges.
Il se souvient d’une conversation
qu’il a eue avec un intellectuel auquel il a expliqué une idée développée par
Herbert Spencer. Cet intellectuel lui a répondu que les idées de Spencer
avaient certainement été supplantées. Hazlitt a découvert plus tard que
l’homme n’avait jamais lu Spencer et n’avait aucune idée de ce en quoi il
croyait. Hazlitt, comme tant d’autres non-académiciens, avait tendance à
estimer bien plus l’intégrité des classes intellectuelles que ce qu’elles
méritaient.
Il condamne la tendance à
accepter des idées sans les critiquer ou les remettre en question, ce qui
pour lui rend la vie sans intérêt.
Je suis prêt à parier que la
plupart des gens qui font aujourd’hui l’éloge de James, Bergson, Eucken et
Russell seront dans vingt-cinq ans honteux d’avoir jamais prononcé leurs
noms, et ne se dévoueront qu’au néo-futurisme ou à n’importe quel autre
mouvement qui deviendra la grande tendance du moment.
Il poursuit en abordant ce qui
a pu être le credo de sa vie :
Si c’est la forme la plus
commune de préjudice, c’est aussi la plus difficile de laquelle se
débarrasser. Cela demande un courage moral, le courage moral le plus rare qui
soit. Il faut autant de courage à un homme pour défendre une idée opposée à
celle en vogue qu’il n’en faut à un homme de la ville pour peu se vêtir en
une journée étouffante, ou à une jeune femme de la société pour se rendre à
une réunion vêtue d’une robe de l’an dernier. Celui qui possède ce courage
moral est au-dessus des rois, mais il doit payer le cher prix du ridicule ou
du dédain.
Pendant la guerre, il est
retourné travailler pour le journal et a repris sa lecture de livres toujours
plus extraordinaires. Il a suivi les notes d’un livre de Benjamin Anderson
jusqu’à découvrir la Théorie
de la Monnaie et du Crédit de Mises. Il était finalement tombé
amoureux de l’économie de la même manière que la plupart d’entre nous. Il
aimait son élégance, son pouvoir de justification, son amour implicite de la
liberté et son rôle central dans l’émergence de la civilisation. Mais
l’économie n’était pas son seul amour. Hazlitt s’intéressait aussi beaucoup à
la littérature et aux arts, et a trouvé en ces domaines un marché pour son talent.
Il est passé de journal en journal pour finalement devenir éditeur littéraire
chez The Nation, qui était alors un journal libéral mais étatiste.
C’était pour lui un poste
prestigieux, accepté à une période qui deviendrait plus tard le point tournant
de l’histoire de notre nation et de sa vie. En 1932, après l’élection de FDR,
le journal hebdomadaire a commencé à s’intéresser aux différents points de la
politique du New Deal. C’était la constitution interne d’Hazlitt, sa foi en
la vérité, qui l’a poussé à écrire ce qu’il pensait des politiques de FDR. Il
a écrit sur la vraie cause de la Grande Dépression, qu’il percevait non pas
comme un échec du capitalisme mais une correction de la bulle sur le crédit.
The Nation lui-même ne jouait pas le rôle de propagandiste pour les
planificateurs centraux, et les éditeurs du journal laissèrent Hazlitt
exprimer ses idées.
Il a écrit sur les
conséquences du protectionnisme, des contrôles des prix, des aides
financières et de la planification économique en général. Non seulement ces
méthodes ne parviendraient pas à nous sortir de la dépression, a-t-il écrit,
elles étaient aussi contraires à l’esprit de liberté humaine qu’embrassent
les libéraux. En écrivant ceci, il a su dire ce que n’importe quel autre
économiste aurait osé dire une dizaine d’années avant lui. Mais il savait
très bien qu’il allait à l’encontre du Zeitgeist que Keynes lui-même avait
contribué à établir.
Hazlitt a gagné le débat mais
a perdu son emploi chez The Nation. C’était pour lui le premier d’une série
d’évènements similaire, d’une chose à laquelle il est vite devenu habitué. Il
avait travaillé trop dur pendant trop longtemps, et croyait trop en le
pouvoir de la vérité pour oser s’en détacher. Il s’était très tôt fait la
promesse de ne jamais accepter une opinion parce que des gens de pouvoir et
d’influence décidaient de l’adopter. Il serait pour toujours courageux.
Ce n’est pas seulement son don
pour l’écriture qui a attiré H.L Mencken mais aussi sa détermination morale.
Mencken a fait d’Hazlitt son successeur au plus grand journal Américain de
l’époque, The American Mercury. Il y est resté pendant trois ans avant
d’occuper le poste qu’il allait conserver pendant les dix années suivantes.
Editeur en chef du New York Times. Il a écrit plusieurs rubriques par jour
pour le journal ainsi que des critiques de livres à paraître les dimanches.
Il était extrêmement productif. C’est probablement la dernière fois que les
éditions du jour du New York Times étaient correctes.
En 1946, il perdit son travail
suite à une dispute au sujet des accords monétaires de Bretton Woods. Hazlitt
ne cessait de combattre ses erreurs et de prédire son échec. L’éditeur du
journal est venu le voir et lui a expliqué que le journal ne pouvait pas
continuer de s’opposer à quelque chose que tout le monde semblait accepter.
Hazlitt le savait assez bien, et est parti sans rancœurs ni acrimonies. Il a
pris ses affaires et est parti, et s’est lancé dans l’écriture de ce qui
allait devenir le plus grand livre d’économie de tous les temps.
Au cours de ces années, il a
rencontré Ludwig von Mises, qui s’est rendu de notre côté du monde en 1940.
Hazlitt a vu en Mises l’un de ces hommes au courage moral incomparable, un
homme qui, comme il l’a dit dans son premier livre, était ‘au-dessus des
rois’ et capable de défendre la vérité peu en importe le coût. Il a usé de
son poste au Times pour transmettre à ses lecteurs les idées et les livres de
Mises. Il a aidé Mises à trouver un éditeur pour la traduction anglaise de
ses livres et est devenu le promoteur de la vision Misienne. En regardant en
arrière, il est clair que la vie de Mises aurait été très différente sans
l’aide d’Hazlitt. D’une certaine manière, Hazlitt est devenu un Institut
Mises à lui tout seul.
Mais revenons-en à la
succession d’emplois d’Hazlitt. Il est passé du Times à Newsweek, où sa
rubrique BusinessTides a enseigné à une génération ou deux la théorie et la
politique économique. Sa rubrique était remarquable, très joliment écrite et
sans fautes semaine après semaine. Je suis heureux d’annoncer que l’Institut
Mises publiera cette année un livre contenant toutes ses colonnes. J’espère
qu’il parviendra à rétablir la place de droit que tient Hazlitt dans
l’histoire intellectuelle du XXe siècle.
Le temps était venu pour Hazlitt
de s’en prendre à l’homme dont les idées l’avaient obstiné des décennies
durant : John Maynard-Keynes en personne. Hazlitt est le premier et le
seul économiste à avoir analysé ligne par ligne la Théorie Générale de
Keynes. Il a publié un livre de son analyse, intitulé The
Failure of the "New Economics.", publié en 1959, et dans
lequel il explique en introduction qu’on lui avait conseillé de ne pas
l’écrire parce que les idées de Keynes n’étaient déjà plus d’actualité, mais
qu’il a toutefois décidé de procéder, inspiré les paroles de Santayana selon
lesquelles les idées de Keynes n’avaient pas été abandonnées parce qu’elles
avaient été réfutées mais parce qu’elles n’étaient plus à la mode. Aux yeux
d’Hazlitt, la pensée de Keynes ne pourrait jamais devenir démodée. Son livre
a été écrit il y a 52 ans, et Keynes est aujourd'hui à nouveau d'actualité.
Ce qu'Hazlitt a découvert est
que le livre de Keynes était bien pire qu’il l’imaginait. Il n’y a trouvé
aucune idée vraie ni originale. Il a écrit patiemment son livre pour
expliquer ce qu’il voulait dire par là, décortiquant le travail de Keynes
morceau par morceau au travers de 450 pages de prose et d’analyses
fascinantes, et l’a terminé par un chapitre de conclusion qui résume toutes
les erreurs du livre de Keynes.
Je n’ai pas mentionné beaucoup
des autres ouvrages fascinants d’Hazlitt, dont ses deux livres sur l’économie
monétaire. Il était le parfait contraire de Keynes. Alors que Keynes pensait
que l’étape la plus importante dans la destruction du laissez-faire du vieux
monde était d’abolir l’étalon or, Hazlitt pensait qu’il ne pourrait jamais
exister de régime défenseur de la liberté sans que le problème monétaire soit
étudié. Ce que Keynes voulait détruire, Hazlitt voulait restaurer et
implanter comme faisant partie intégrante de l’ordre du marché. Ils étaient
tous deux d’accord sur la centralité de ce problème dans l’aboutissement de
leurs rêves, et sur ce point, ils avaient tous deux raison.
Keynes est mort célèbre, riche
et adoré, admiré par tous pour sa brillance. Jamais il n’a dû faire quoi que
ce soit de courageux. Jamais on ne lui a demandé de faire un sacrifice pour
ce en quoi il croyait. Il n’aurait jamais eu l’idée de le faire, parce que la
simple idée d’un engagement moral ou de responsabilité intellectuelle lui
était inconnue ou simplement sans intérêt.
Hazlitt est quant à lui décédé
alors que sa carrière était au plus bas. Il avait gravi tous les échelons
avant d’être poussé à nouveau jusqu’en bas et finir par travailler et écrire
avec un petit groupe de défenseurs de la libre-entreprise.
Nous avons dans ces deux
approches des images contrastées du rôle de l’intellectuel public. Ce rôle
est-il de défendre la liberté de l’individu et de promouvoir le développement
de la civilisation ? Ou est-il de s'enrichir, de se rapprocher
autant que possible du pouvoir et de devenir célèbre et gagner de
l’influence ? Tout n’est question que d’engagement moral et d’intégrité
personnelle. C’est là le cœur du problème, il est plus important encore que
la théorie économique.
Hazlitt a fait son choix et
nous a laissés avec de grandes paroles de sagesses sur le devoir de défendre
la liberté.
Nous avons le devoir de parler
clairement et courageusement, de travailler dur, et de continuer de mener
bataille tant que nous en avons encore la force… Même ceux d’entre nous qui
ont atteint ou dépassé leur soixante-dixième anniversaire ne peuvent pas se
permettre de se reposer sur leurs lauriers et de passer le restant de leurs
jours à dorer sous le soleil de Floride. Les temps modernes demandent du
courage, ils demandent de travailler dur. Mais si ces demandes sont
importantes, c’est parce que les enjeux le sont davantage. Ils ne sont rien
de moins que le futur de la liberté, le futur de la civilisation.