La monnaie n'existe plus aujourd'hui.
A l'extrême, avant l'émergence prochaine des monnaies libres car
"virtuelles" - ce qu'il faut espérer -, existe pour l'instant
encore la monnaie qui est "réglementée" par les autorités d'un pays
ou d'une région et que la plupart des économistes mettent curieusement de
côté dans l'explication de leur discipline.
L'ensemble des pays a réussi à faire jusqu'à présent que le monde soit truffé
de "monnaies réglementées" tantôt échangeables internationalement
(comme l'€uro ou le dollar), tantôt non échangeables internationalement
(comme le yuan renminbi), sur quoi peu est analysé.
On laissera de côté la confusion qui consiste à parler de monnaie convertible
pour des monnaies non échangeables internationalement (comme le yuan renminbi
par exemple).
Reste que la réglementation a détruit la monnaie.
Un autre mot serait nécessaire pour désigner ce qu'elle recouvre aujourd'hui.
Comme il n'en existe pas, à défaut, parlons de "monnaie
réglementée".
1. La "monnaie réglementée".
La "monnaie réglementée" a peu de choses à voir avec ce que le
public dénommait hier, au début du XXè siècle,
"monnaie", avant en particulier l'interdiction de la convertibilité
des substituts de monnaie bancaires en monnaie or (cf. ce
texte par exemple).
Pour leur part, les économistes en question ont de nombreuses approches de la
"monnaie réglementée" qui n'insistent pas sur cette dernière
caractéristique.
2. Fonctions et services.
A en croire certains, l'économie politique a pour domaine les choses, objets,
ressources, richesses, etc. et les fonctions ou services.
Et ainsi, par extension, les économistes définissent la "monnaie
réglementée" par ce qu'ils dénomment "fonctions" (moyen de
paiement/échange, réserve de valeur, unité de compte) ou "services"
(faciliter l'échange, rendement pécuniaire ou non).
L'histoire n'est pas nouvelle.
Dans le livre intitulé Money, Credit and
Commerce, Alfred Marshall (1923) avait considéré p.49 que :
" 6. Currency differs from other things
in that an increase in its quantity exerts no direct influence on the amount
of the service it renders."
Ma traduction
en français.
"6. La monnaie diffère des autres choses en ce qu'une augmentation
de sa quantité n'exerce aucune influence directe sur le montant du service
qu'elle rend."
Et il avait
expliqué dans la foulée que :
"The exceptional character of this "Quantity" statement in
regard to the value of currency has been described in many ways.
But the central fact in the account now submitted is that an increase in
the amount of money in a country does not increase the total services which
it performs.
This statement is not inconsistent with the fact that an increase in amount
of gold in a country's currency increases her means of obtaining goods by
exporting gold; and also gives her a power of converting some of her currency
into articles of ornament.
It merely means that the purpose of a currency is firstly to facilitate
business transactions; and for this purpose, it needs to be clearly defined
and generally acceptable.
Next, it needs to command a stable purchasing power: such stability can be
attained by an inconvertible paper currency, so long as the Government
(1) can prevent forged notes from getting into circulation, and
(2) can make the people absolutely certain that genuine noted will not be
issued in excess.
Gold coins may indeed be regarded as currency based on the belief that Nature
wilt not countenance a violent increase in the
currency drawn from her stores.
If there were discovered (in spite of the opinion of geologists and
mineralogists that no such thing is physically possible) a mine of gold ore
with contents as large in volume as those of a vast coal mine, then gold
coins would cease te serve any good purpose1.
1. The elaborate and careful printing of paper currencies, makes plausible
imitations of them very expensive, and yet liable to prompt detection.
Forgery of Bank of England notes is well known to be prevented by exceptional
arrangements and methods.
Of course the stability of value of a gold coinage owes something to the
stability of the demand for gold for ornament and for some industrial uses:
but the discovery - if it were possible - of a vast deposit of gold would
make it difficult to find good uses for it.
We can conceive a planet, of different construction from ours, in which
enough iron ore to make a good saw has a higher exchange value than a pound
of gold 2.
2. This consideration can be extended. If diamonds became abundant, they
would revolutionize and extend branches of industry in which hard steel is
not hard enough: but they would need to be used with great caution for
personal ornament. On the other band. if a falI in
the price of wool, or almost any otber serviceable
commodity, caused a greater quantity of it to be consumed at a less aggregate
cost, there would be a nearly proportional increase in the real wealth of the
world: the rich would gain only a little: but the poor would be more warmly
clad.
If an inconvertible currency is controlled by a strong Government, its amount
can be so regulated that the.value of a unit of it
is maintained at a fixed level.
That level may be such that
(1) the average level of prices, as evidenced by a trustworthy index number,
remains unchanged: or
(2) that this average level adjusts itself to general changes of prices, in
countries whose currencies are firmly based on the precious metals: or
(3) that the Government of the country in question sets up a carefully framed
list of general prices within its territory; and so adjusts the amount of her
currency, that (say) a thousand units of it command, on the average, uniform
amounts of commodities in general, on some plan of the kind suggested in
Chapter III above.
"Convertible" notes - that is, notes for which gold (or other
standard metallic) currency will certainly be given in exchange on demand -
exert nearly the same influence on national price levels, as would be exerted
by standard coins of equal nominal value.
Of course, if even a small doubt arises as to their full convertibility
into standard coins, men wiII be shy in regard to
them: and if they cease to be fully convertible, they will fall in value
below the amounts of gold (and of silver) which they profess to
represent."
Ma traduction
en français.
" Le caractère exceptionnel de l'état de cette "Quantité" en
ce qui concerne la valeur de la monnaie a été décrit de nombreuses façons.
Mais le fait central du compte maintenant soumis, est qu'une augmentation
de la quantité de monnaie dans un pays n'augmente pas les services totaux
qu'elle fournit.
Cette déclaration n'est pas incompatible avec le fait qu'une augmentation du
montant d'or dans la monnaie d'un pays augmente ses moyens d'obtenir des
biens en exportant de l'or, et lui donne aussi un pouvoir de convertir une
partie de sa monnaie en articles de décoration.
Elle signifie seulement que le but d'une monnaie est d'abord de faciliter les
échanges commerciaux, et à cette fin,elle
a besoin d'être clairement définie et acceptable en général.
Ensuite,elle a besoin de
commander un pouvoir d'achat stable: une telle stabilité peut être atteinte
par une monnaie papier inconvertible, aussi longtemps que le gouvernement
(1) peut empêcher les billets contrefaits de pénétrer dans la circulation, et
(2) peut rendre les gens absolument certains que les billets authentiques ne
seront pas émis en excès.
Les pièces d'or peuvent en effet être considérées comme de la monnaie fondée
sur la croyance que la Nature n'encouragera pas une augmentation violente de
la monnaie tirée de ses réserves.
Si (en dépit de l'avis des géologues et minéralogistes qu'une telle chose
n'est pas physiquement possible) on découvrait une mine d'or avec des teneurs
aussi grandes en volume que celles d'une vaste mine de charbon, alors les
pièces d'or cesseraient de servir un bon but 1.
1. L'émission raffinée et minutieuse des monnaies de papier rend les
plausibles imitations de celles-ci très chères et encore responsables de détection
rapide.
La falsification des billets de la Banque d'Angleterre est bien connue pour
être empêché par des dispositifs et des méthodes exceptionnelles.
Bien sûr, la stabilité de la valeur d'un monnayage d'or doit quelque chose à
la stabilité de la demande d'or pour l'ornement et pour certains usages
industriels mais la découverte - si cela était possible - d'un vaste gisement
d'or la rendrait difficile à trouver de bons usages pour cela.
Nous pouvons concevoir une planète, de construction différente de la nôtre,
dans laquelle assez de minerai de fer pour faire une bonne scie a une valeur
d'échange supérieur à une livre d'or 2.
2. Cette considération peut être prolongé.
Si les diamants devenaient abondants, ils révolutionneraient et étendraient
les branches de l'industrie où l'acier dur n'est pas assez dur: mais ils
auraient besoin d'être utilisés avec une grande prudence pour l'ornement
personnel.
D'autre part. si une chute du prix de la laine, ou de presque toute autre
marchandise à service, provoquait une plus grande quantité de celui-ci à être
consommés à un coût moins global, il y aurait une augmentation à peu près
proportionnelle de la richesse réelle du monde: les riches gagneraient
seulement un peu plus: mais le pauvre serait plus chaudement vêtus.
Si une monnaie inconvertible est contrôlée par un gouvernement fort, son
montant peut être réglé de telle façon que la valeur d'une unité de celui-ci
soit maintenu à un niveau fixe.
Ce niveau peut être tel que
(1) le niveau moyen des prix, confirmé par un indice de confiance, reste
inchangé: ou
(2) que ce niveau moyen s'ajuste aux variations générales des prix, dans les
pays dont les monnaies sont fermement fondées sur les métaux précieux: ou
(3) que le gouvernement du pays en question établisse une liste soigneusement
encadrée de prix généraux dans le territoire, et ainsi ajuste le montant de
la monnaie, que (par exemple) un millier d'unités de celle-ci commande, en
moyenne, des montants uniformes de marchandises en général, du genre proposé
dans le chapitre III ci-dessus.
Les billets «convertibles» - c'est-à-dire les billets pour qui la monnaie
d'or (ou d'autres objets métalliques standard) sera certainement donnée en
échange sur demande - exercent presque la même influence sur les niveaux de
prix nationaux, comme il le serait par des pièces de monnaie étalon de valeur
nominale égale.
Bien sûr, même si un petit doute se pose quant à leur pleine convertibilité
en pièces standards, les hommes seront timides à leur égard:
et si elles cessent d'être pleinement convertibles, ils perdront en valeur en
bas des montants d'or (et d'argent ) qu'ils
prétendent représenter."
Bref, pour Marshall, la (quantité de) monnaie rendait service et elle était à
distinguer du montant du service de la (quantité de) monnaie rendu, il n'y
avait pas de relation entre les deux.
Mais il ne précisait pas outre mesure ce qu'était le service ou son montant
et en quoi il fallait le distinguer de la quantité de monnaie.
Il n'aura pas le temps de le faire avant les réglementations qui vont
meurtrir le XXè siècle puisqu'il mourra en 1924.
Reste que les choses, les objets ne rendent pas des services, ils n'ont pas
des fonctions, seul l'être humain les fait tels par son action.
Parler des services ou des fonctions des choses, fussent-elles dénommées
"monnaie", est une imposture - on est dans la rhétorique au mauvais
sens du mot - sauf à préciser qu'il s'agit d'une façon de s'exprimer qui sera
jugée utile par certains ou que, par exemple, le service en question est le
département de telle ou telle firme.
En d'autres termes, seul l'être humain est source de services ou de
fonctions, soit directement, soit indirectement, et il n'y a pas de fonction
ou de service autonome, ou qui tombe du ciel, à commencer par la (quantité
de) monnaie que la plupart des économistes ignorent, à commencer par les
"monétaristes", et qui les amène à parler de monnaie alors qu'un
autre mot eût été nécessaire.
3. Motifs psychologiques de la population.
Il en est différemment des économistes d'une deuxième approche.
S'intéresser à des motifs psychologiques de la population (motif d'échange,
motif de précaution, motif de spéculation), est en effet pour eux une autre
grande façon, plus récente, qu'ils ont choisie pour procéder à l'étude de la
"monnaie... réglementée".
L'approche est tellement tarabiscotée qu'elle ouvre la voie à une troisième,
plus ou moins dépendante, qui met l'accent sur des considérations de la
comptabilité réglementée (au travers des notions comptables de
"liquidité", de "réserves officielles" et de "solvabilité").
4. "Monnaie réglementée" et actif liquide.
Pire que les réglementations de la monnaie à quoi l'étude de celle-ci devrait
inciter, il y a ainsi l'accent mis sur la "préférence pour la
liquidité", ancre du motif de spéculation keynésien pris pour référence
générale de la demande de monnaie.
Dans cette approche, la "monnaie réglementée" cannibalise la notion
de comptabilité réglementée qu'est la liquidité et devient la "liquidité
absolue", à quoi les économistes comparent les autres actifs de patrimoine,
plus ou moins liquides, les autres réserves de valeur.
Et aujourd'hui, la liste des actifs plus ou moins liquides est longue...
Et les banques centrales semblent s'être données pour règle de dire
lesquelles sont liquides - et qu'elles sont prêtes à acheter ou à prendre en
pension - et celles qui ne le sont pas.
D'un jour à l'autre ou presque, d'ailleurs tout peut changer.
En d'autres termes, avec cette voie de la comptabilité réglementaire inspirée
d'une approche répréhensible de ce qu'on dénommait "monnaie" hier,
la "monnaie réglementée" se voit juxtaposée, sans réserve, à des
"actifs de patrimoine" et de la "liquidité", tout cela
sans se préoccuper des réglementations assénées.
La confusion ne s'arrête pas là.
5. Le mythe des biens et services.
Il est classique aujourd'hui d'entendre parler des "biens et
services" et d'en voir proposer une mesure - avec l'utilisation de la
"comptabilité nationale" - qui n'est autre que le "produit
intérieur brut".
Mais la distinction est fallacieuse.
Il n'existe pas des biens et des services.
Il existe des services qui sont des actes d'échange menés par les gens, par
vous et moi, sur quoi on ne met pas l'accent.
Et, ex post, les services sont des résultats qui cachent les actes
antérieurs effectués.
En tous les cas, ils sont de type jugé "bien" ou "mal",
comme peuvent l'être les quantités d'objets.
6. Il n'y a pas de service "non marchand".
L'imposture est totale quand le mot "service" est prolongé par un
qualificatif qui le déforme ou le dénature et devient, par exemple,
"service non marchand".
Le service, acte d'échange de l'être humain, est nécessairement échangeable
et le "service non marchand" est un oxymore sauf à transformer,
sans le préciser, le mot "service" et à y voir, le plus souvent, un
département dont on ne précise pas l'administration étatique d'où il procède.
7. Fausse jonction.
La fausse approche des biens et services rejoint parfois celle de la valeur.
La valeur fait référence aux prix et quantités des objets, résultats de
l'offre et de la demande, voire des actions économiques humaines.
La jonction se produit quand le mot "valeur" désigne sans
distinction bien ou service.
Et l'une s'appuie à l'autre.
Ainsi, par exemple, le "produit intérieur brut"
(P.I.B.), "somme des valeurs ajoutées" du pays comme le veut en
principe la comptabilité nationale, varie arbitrairement en raison des prix
ou des quantités considérés par les comptables nationaux et donne lieu à des
combats à n'en plus finir entre pseudo-économistes qui ont pour point de
départ ce faux fait du P.I.B., véritable forfait.
Dans ce cas, le mot "valeur" désigne autant des biens que des
services qu'il n'est pas possible de séparer les uns des autres, malgré le
souci de l'économie politique d'y parvenir.