À l’heure où Ségolène Royal, notre ministre de l’Écologie, du
Développement durable et de l’Énergie, tacle rudement ses alliés écolos en proposant de faire durer
encore dix ans les actuelles centrales nucléaires (qu’il était pourtant
prévu de fermer peu à peu), il semblerait que l’État doive également régler
la coûteuse quadrature du cercle de l’économie d’énergie, notamment à cause
d’EDF.
Contradiction et incompatibilité : telles sont les deux caractéristiques
principales de la gestion de l’environnement et de l’énergie
par le gouvernement français. En effet, même si on peut comprendre la
motivation ayant conduit à réunir Énergie et Écologie dans un même ministère,
dans la pratique, force est d’avouer que ce mariage est pour le moins
antinomique. Ainsi, dans un pays dont la production d’électricité est
assuré à 75% par des centrales nucléaires, il paraît
particulièrement difficile (pour ne pas dire absurde) de vouloir défendre
dans le même temps les thèses anti-nucléaires des partis écologistes. De la
même façon, vouloir à la fois aider EDF à maintenir sa production, tout en
demandant aux usagers de consommer moins, cela frise la schizophrénie
politique.
Et pourtant, c’est bien cette attitude bipolaire que la France a adoptée
depuis quelques années, davantage d’ailleurs pour des raisons électoralistes
que réellement idéologiques (l’écologie, c’est à la mode auprès des
électeurs). Sauf que l’heure est peut-être venue de payer l’addition. Et dans
le cas de l’énergie, la note risque d’être salée pour l’État, notamment en sa
qualité d’actionnaire d’EDF. Car ce glorieux fer de lance du
savoir-faire énergétique français connaît de graves
difficultés depuis presque dix ans maintenant, lesquelles se sont traduites
par une chute inexorable de la valeur de ses actions (passées de
82.51 € le 22 novembre 2007 à 10,90 € le 18 février dernier). Conséquence
directe pour l’État actionnaire, ses parts ont fondu de plus de 80%, soit une
perte nette de 157 milliards d’euros en ce début d’année 2016.
Chronique d’une perte annoncée
Mais le pire c’est sans doute de se dire que tout était écrit d’avance et
que c’est l’État lui-même qui est responsable de la situation. Dès 2005, des
experts en tous genres ont montré que la consommation d’électricité
en France allait fortement ralentir, grâce notamment aux efforts
d’économie d’énergie consentis par les particuliers comme les entreprises, à
la suite justement de grandes campagnes de sensibilisation contre le
gaspillage énergétique et le respect de l’environnement. Campagnes menées par
l’État, faut-il le rappeler ? Et tout le monde s’en félicitait, à l’époque.
Or, étrangement, un peu comme s’ils ne croyaient pas eux-mêmes à efficacité
de leurs campagnes, les gouvernements successifs (épaulés en cela par les
dirigeants d’EDF pas franchement favorables aux mesures d’économie d’énergie)
n’ont jamais voulu prendre conscience de cette stagnation inévitable. L’idée
que l’essor technologique allait inéluctablement s’accompagner d’une augmentation
perpétuelle de la consommation d’électricité avait fini par devenir
une certitude quasi religieuse.
Aujourd’hui, on sait que la consommation d’électricité ne devrait
pas vraiment varier jusqu’en 2020, et elle pourrait même reculer de
2% en Europe, ce que l’actuel président d’EDF, Jean-Bernard Lévy, refuse
catégoriquement. Oui, oui, vous avez bien lu : il refuse tout
simplement de tenir compte d’une tendance globale des usages et
souhaite au contraire s’en tenir à sa propre vision dogmatique de la toute
puissance énergétique française… tandis que tous les pays du monde se
désengagent peu à peu du nucléaire. Mais son aveuglement va encore plus loin.
Alors que la loi de transition énergétique votée
le 22 juillet 2015 impose de limiter à 50 % maximum la production
nucléaire dans la consommation d’électricité intérieure de la France
d’ici 2025, Jean-Bernard Levy annonce qu’EDF continuera à exploiter
l’ensemble de son parc de centrales et en prolongera la durée de
fonctionnement de 10 ou 20 ans. Voilà, c’est tout, merci d’éteindre en sortant.
Fini les économies d’énergie, il faut consommer plus !
Selon lui (et quelques autres), il ne restera plus à l’État qu’à amener
les usagers à accroître leur consommation d’énergie de 50% d’ici 10 ans pour
atteindre mathématiquement le ratio de 50% d’électricité d’origine nucléaire
prévu par les textes. Au passage, parmi les pistes proposées, il s’agirait
par exemple de booster l’utilisation du transport électrique
pour atteindre 5 millions de véhicules « rechargeables » avant
2025. Ce qui risque d’être à la fois assez difficile (au regard des efforts
déployés jusqu’ici pour atteindre les quelques malheureux 40 000 véhicules en
circulation actuellement) et finalement peu significatif car une telle flotte
n’engendrerait qu’une consommation supplémentaire d’électricité d’à peine 3%.
Évidemment, on serait en droit de se dire qu’une telle exigence de la part
d’un industriel, dût-il être le patron d’EDF, est parfaitement ridicule et
que même le gouvernement actuel, dont l’amateurisme comme le clientélisme ne
sont plus à prouver, ne peut soutenir une telle approche. Et pourtant, on
apprenait le 28 février dernier que Ségolène Royal était prête à
prolonger de 10 ans la durée de vie des centrales nucléaires
(reniant au passage la loi de transition énergétique qu’elle avait elle-même
portée l’été dernier).
Une facture qui risque d’être encore plus lourde
Or a-t-elle seulement conscience de ce que cette décision risque de coûter
à l’État ? Car la relative vétusté des centrales françaises (dont l’entretien
a été négligé jusqu’en 2009) et surtout l’incident de Fukushima obligent EDF
à opérer de gros travaux de réhabilitation et de sécurisation dont
la facture devrait atteindre 100 milliards d’euros selon la Cour des Comptes
(auxquels viendront d’ailleurs s’ajouter quelques dizaines de milliards
d’euros supplémentaires pour la fabrication des futurs EPR
dont on dit qu’ils seront déjà obsolètes à leur lancement).
Autant d’investissements qui paraissent donc totalement inconsidérés alors
que la tendance mondiale va dans le sens d’une
« dénucléarisation » énergétique, mais qui seront
probablement suivis par un État devenu incapable de dire non aux exigences de
l’un des derniers dinosaures de l’ère du monopole. Un véritable despote
industriel qui n’accepte pas que le marché, l’évolution ou même les lois lui
dictent sa conduite.
Par conséquent, après s’être tiré une balle de 157 milliards
d’euros dans le pied à force de vouloir ménager la chèvre nucléaire
et le chou écologique, la France est désormais condamnée à suivre la folie
coûteuse (et économiquement suicidaire) d’EDF qui préfère remettre à plus
tard la question du démantèlement inévitable de ses installations
nucléaires. Ce qui au final nous coûtera à tous bien plus cher que
ces « quelques » milliards d’euros, ne serait-ce qu’en termes
d’impact sur l’environnement.