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Certains scientifiques
aujourd’hui avancent que des comportements culturels complexes comme la
famille, le langage ou les normes morales ne seraient pas des constructions
sociales arbitraires mais des réponses biologiques adaptatives qui ont
émergées lentement au cours du temps au point de constituer des
invariants naturels et universels. Une accumulation de preuves empiriques
tous azimuts vient désormais à l’appui de cette idée
que tout n’est pas acquis et que la part de l’inné serait
bien plus grande qu’on ne pensait.
Pour de nombreux philosophes et chercheurs, pourtant, tout
comportement humain est compris comme « socialement construit »,
c'est-à-dire déterminé par des normes culturelles
modelant le comportement après la naissance. Selon eux, l'esprit au départ
serait semblable à une feuille blanche ou à une
« table rase » et ne se construirait ensuite
qu'à travers l’expérience, l’histoire, le
vécu. Qui considère encore aujourd’hui
le comportement comme fondé sur la nature plutôt que sur la
culture ?
Pourtant, s'il n'existe pas quelque chose comme une nature
humaine stable pour sous-tendre le comportement social, alors peut-il exister
un quelconque critère permettant de juger une politique
donnée ? Certaines institutions sont adaptées à la
nature humaine et d’autres non. Pour en juger il faut disposer
d’un concept de nature humaine. Pour fonder un ordre social juste et
durable, il faut être capable de déterminer un certain nombre de
traits universels et intrinsèques propres à l’homme.
Mais que vient faire la biologie dans cette affaire ?
Peut-elle nous dire quelque chose d’important sur la nature
humaine ? Cette idée a toujours fait scandale, à droite
comme à gauche. Les uns craignent un réductionnisme de
l’esprit à la matière. Les autres évoquent la
résurgence du darwinisme social et la justification des
inégalités par la science.
Le modèle standard
des sciences sociales
Les sciences sociales sont dominées par l'affirmation que
les normes sont socialement construites et que tout comportement humain est
modelé par ces normes, après la naissance. Si l'on veut expliquer
un fait social en particulier, on doit donc se référer —
selon les mots de Durkheim,
le père de la sociologie moderne — aux
« faits sociaux antérieurs » plutôt qu'à la
biologie ou à l'héritage génétique. Selon
lui, la nature humaine « n'est qu'une matière mal
définie, modelée et transformée par le facteur social
». L'histoire, ajoutait-il, montre que même ces émotions
si vives que sont la jalousie sexuelle, l'amour filial ou paternel, sont
« loin d'être inhérentes à la nature humaine
».
Le
chercheur Steven Pinker
a proposé d’appeler mythe de la « table
rase » cette doctrine que l'esprit n'a pas de structure
innée et que toute son organisation viendrait de l'environnement à
travers la socialisation et l'apprentissage. Selon
le modèle standard des sciences sociales, il n'y aurait pas de
différences cognitives ou psychologiques importantes, ni entre les
individus, ni entre les groupes humains. Les différences seraient
entièrement le produit de l'éducation et de la culture, y
compris entre l’homme et la femme : différences de
sensibilité, de goûts, différences intellectuelles,
préférences sexuelles, morales ou politiques. Dans cette
perspective, toutes les
inégalités seraient dues à la discrimination, aux
préjugés ou au conditionnement social. On appelle cela
le culturalisme ou le sociologisme : tout est culturel, tout est social,
il n’y a pas de nature humaine.
Ce
modèle, explique Pinker, est issu en partie
de la théorie du « bon sauvage »,
popularisée par Jean-Jacques Rousseau, selon laquelle l'être
humain à l'état de nature serait bon et innocent : « Il n'y a
point de perversité originelle dans le cœur humain »,
proclamait Rousseau. C’est la société qui perverti
l’homme, selon lui. C’est elle qui produit
l’inégalité et la servitude, notamment avec
l’institution de la propriété.
On retrouve cette idée chez Karl
Marx sous la forme du matérialisme historique. Ainsi selon Marx, « Le mode de production de la vie matérielle domine
en général le développement de la vie sociale, politique
et intellectuelle. Ce n’est pas la conscience des hommes qui
détermine leur existence, mais c’est au contraire leur existence
sociale qui détermine leur conscience. » Pour Marx,
la nature humaine est construite historiquement puisqu’elle est en
interaction constante avec l'environnement social et en particulier avec le
mode de production. Et comme chez
Rousseau, l’avidité,
l’égoïsme, l’ambition personnelle et l’envie ne
sont que les conséquences d’une société où
domine la propriété privée, notamment celle des moyens
de production.
Pour
Margaret Mead, sociologue à la mode dans les années
soixante-dix, les identités masculines et féminines seraient
des constructions sociales conventionnelles. Elle est suivie
aujourd’hui par Judith Butler qui explique que le sexe ne serait pas
une donnée de nature, mais de culture. Or, cette culture serait
dominée par des représentations « hétérosexistes » (l’hétérosexualité
comme norme sociale imposée) et
« phallocentriques » (centrées sur le masculin),
conformément à la grille de lecture marxiste de
l’exploitation. On reconnaît ici la théorie dite du
« Gender », qui n’est
en rien une théorie scientifique mais une hypothèse
sociologique.
Pour
les chercheurs en sciences sociales il est, en effet, très pratique de
considérer l'homme comme une pâte à modeler susceptible
de prendre la forme que l'on voudrait bien lui donner. Cela revient à
affirmer la prédominance du groupe social sur l'individu,
hypothèse collectiviste en phase avec leurs rêves de
transformations radicales de la société.
L’approche évolutionniste
de l’esprit humain et de la culture
Mais
aujourd’hui, ces idées sont de plus en plus remises en question
par les sciences de l'esprit, du cerveau et par la génétique.
Depuis les années 80, on voit émerger aux États-Unis un
nouveau champ de recherches qui se présente comme une synthèse de
différentes disciplines. La biologie
moléculaire et la biochimie ont permis la découverte de la
structure de l'ADN, ouvrant la voie à une nouvelle
compréhension du corps humain. En neurophysiologie, des recherches ont
été faites sur les causes chimiques et physiologiques des
phénomènes psychologiques. Ainsi l'autisme, la dyslexie,
les troubles de langage, les dépressions ainsi que bien d'autres
désordres psychologiques – dont la psychanalyse
prétendait connaître les causes inconscientes – sont aujourd’hui
mieux cernés. On sait, par exemple, que de tels troubles sont
davantage partagés par les vrais jumeaux que par les faux. Ces
derniers ont pourtant un environnement historique et culturel commun, mais
seuls les premiers ont exactement le même patrimoine
génétique.
La
psychologie évolutionniste est l'application des principes de la
biologie aux comportements émotionnels et cognitifs des humains. Elle
consiste à tenter de comprendre l’influence de la
génétique sur certaines parties de l’esprit humain, sans
faire de « réductionnisme ». Le cerveau est un système physique avec des
circuits neuronaux intégrés conçus pour
générer des comportements appropriés à la
survie. Ces circuits neuronaux sont spécialisés pour le
traitement des différents problèmes d'adaptation. Le cerveau
n’apparaît plus seulement comme une
machine à calculer mais comme un organe doté de
capacités spécifiques innées. Les êtres humains naissent
avec des structures cognitives préexistantes et des capacités
spécifiques d'apprentissage qui leur permettent de s’adapter naturellement
à la vie sociale.
Le point commun entre toutes ces recherches, c’est
l’évolutionnisme darwinien, c’est-à-dire
l’idée que l'esprit humain, comme le corps, a
été construit par la sélection naturelle à
travers un processus d’évolution biologique.
Contrairement
aux sciences sociales qui ne voient que diversité et
relativité, l’approche évolutionniste met l’accent,
moins sur les dissemblances que sur les ressemblances profondes qui existent
entre les cultures. Par-delà la diversité des rites et des
coutumes, elle met au jour des schémas structurels universels dans les
comportements les plus quotidiens : morale, politique, famille,
amitié, amour etc. Ainsi les êtres humains se rejoignent-ils
dans la certitude de l’existence de normes morales. Ils ressentent de
façon évidente, quelle que soit leur culture, qu’il vaut
mieux dire la vérité, secourir la veuve et l’orphelin ou
rendre ce qu’on nous a prêté. Bref, la théorie de
la sélection naturelle appliquée à l’être
humain enseigne que notre instinct moral n’est pas une pure
construction relative.
Bien entendu, l'interaction entre
hérédité et environnement est un facteur explicatif plus
complet que la simple génétique. Mais
la nouvelle biologie ne suggère pas le tout-biologique ou le
tout-génétique. Aucun chercheur sérieux ne défend
le
stéréotype réductionniste d’un déterminisme
génétique à 100%. Personne ne dit que tel
gène particulier cause invariablement et inéluctablement tel
trait phénotypique particulier. En effet, la génétique a
découvert que l'expression d'un gène est modulée par son
interaction avec l'environnement.
Il est seulement
question de « prédispositions
génétiques » et donc de probabilités, de
statistiques. « Nombre
de maladies mentales dépendent d'une prédisposition
génétique – mais une fois encore, elle est d'ordre
probable et statistique. Par exemple, l'autisme est certainement
héréditaire à 90%, la schizophrénie à 50%
- et d'autres comme la dépression majeure, les troubles de
l'anxiété, le trouble obsessif-convulsif »,
écrit Steven Pinker dans un entretien
à Philosophie Magazine.
Et il ajoute « Les gènes ne programment pas nos conduites.
Elles proviennent de l'activité du
cerveau, lui-même formé par les gènes. Seules
les tendances émotionnelles, cognitives peuvent être
influencées par les gènes, pas notre conduite ».
La
nouvelle biologie suggère donc simplement une vision plus
équilibrée de l'interaction entre l’inné et
l’acquis dans la structuration du comportement humain. Et il apparait
de plus en plus certain que la variabilité de la culture humaine n'est
pas aussi grande que le disent les déconstructionnistes
post-modernes et les prophètes du relativisme culturel.
À suivre…
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