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Les
politiques économiques sont souvent élaborées à
partir d'agrégats arbitrairement définis (le taux d'inflation,
le taux de chômage, M1, M2…), sur la base de données
imprécises et orientées (par exemple la mesure de la
pauvreté ou l'évaluation des inégalités), avec un
grand décalage par rapport à la conjoncture, et enfin, en
référence à des modèles théoriques
outrageusement simplificateurs quand bien même ils ont l'apparence
mathématique de la sophistication (mais c'est peut-être ce
scientisme qui est le plus dévastateur). Il suffit d'entendre
aujourd'hui le débat autour de la Banque Centrale
Européenne qui devrait baisser le taux d'intérêt si l'on
en croit les ministres concernés.
Certes,
tous les théoriciens de l'économie reconnaissent que, par
construction, une théorie économique repose toujours sur un
modèle qui ne peut pas intégrer tous les éléments
qui interviennent dans la réalité du phénomène
étudié, puisqu'il se veut une abstraction de cette
réalité. Cependant, les politiques économiques et autres
interventions publiques sont bien réelles, elles; elles ne sont pas de
simples abstractions mais vont profondément modifier notre vie
quotidienne alors même qu'elles s'appuient sur ces constructions
théoriques pour en retirer une légitimité scientifique
sinon une caution morale.
Ainsi,
Marc Blondel, syndicaliste français très en vue et dont le
moindre propos est repris par tous les médias français, se
réclame explicitement de Keynes pour justifier son appel à une
relance par la consommation alors que la théorie keynésienne
n'est valable que sous certaines conditions très restrictives
(économie fermée, pas de changement des technologies,
stabilité de la fonction de consommation, etc.).
À
problème mal posé, mauvaise réponse
Quand
un problème est systématiquement mal posé, on a peu de
chance de le résoudre. Nos dirigeants de gauche comme de droite se
placent dans la position de régulateur en dernier ressort: selon eux,
il conviendrait évidemment de « réguler le marché
» ou du moins de palier ses défaillances puisque
l'existence de crises conjoncturelles prouveraient que les marchés ne
fonctionnent pas. On peut faire, à ce stade, plusieurs remarques:
Dans des
pays libres, c'est le marché qui est censé être le
régulateur et les prétendues « défaillances
du marché » sont la plupart du temps le
résultat d'un environnement réglementaire et législatif
qui neutralise les processus de marché eux-mêmes (on peut donner
l'exemple de la crise de l'électricité en Californie ou celui
de la crise des cliniques privées en France).
Les «
défaillances du marché » sont
elles-mêmes définies en référence à un
modèle de marché parfait qui n'a jamais existé et qui
est même l'antithèse de la compétition telle qu'elle
existe en pratique. Le fait qu'il existe des technologies différentes,
des asymétries d'information, de la publicité, des marques
différentes, des entreprises de taille différente, etc., n'est
pas le signe d'une défaillance du marché; c'est au contraire la
manifestation, le résultat et l'ingrédient du processus
compétitif lui-même. Quand bien même ces
éléments seraient interprétés comme autant de
défaillances de marché par rapport à un idéal de
concurrence parfaite dans lequel tous les agents économiques ne
seraient que des clones d'eux-mêmes, rien ne prouve que l'État
serait apte à corriger ces défaillances sauf à postuler
que l'État serait dirigé et administré par des
êtres omniscients dont la nature surhumaine les placerait au-dessus non
seulement du marché mais de la société toute
entière.
Les
fameuses « externalités » – qui
justifient l'intervention publique – sont souvent le résultat
d'une absence de définition claire des droits de
propriété, ce qui traduit non pas une défaillance du
marché mais une défaillance des institutions en charge pour ce
qui est de définir et faire respecter ces droits de
propriété. Et si l'on s'en tient à la définition
même des externalités (comme étant l'effet non désiré
positif ou négatif d'une activité d'un agent sur le
bien-être d'un autre agent selon les manuels de micro-économie),
alors tout est externalité et c'est précisément pourquoi
les hommes vivent en société, que la division du travail se
développe et que les marchés existent pour coordonner les
activités par nature décentralisées mais
interdépendantes.
« Le
travail des enfants est-il négatif pour les pays pauvres ou pour les
pays riches qui voient leur commerce extérieur menacé sur des
secteurs en particulier? »
Vouloir
« réguler le régulateur »
qu'est le marché, c'est précisément le neutraliser en
l'empêchant de fonctionner. Manipuler des prix, c'est perdre toute
l'information que contiennent ces prix. Manipuler le taux
d'intérêt en vue de relancer l'investissement est une illusion
keynésienne dans la mesure où le taux d'intérêt
est un prix qui résulte d'un arbitrage entre consommation future et
consommation présente effectué par les millions de
ménages à chaque instant. Si ce raisonnement était
valide, alors il faudrait le généraliser à l'ensemble
des prix: il faudrait, par exemple, baisser le prix des automobiles sous
prétexte de relancer l'industrie automobile...
Or, on sait bien ce qu'il advient de toute politique de contrôle des
prix, qui raréfie l'offre et finit par engendrer la pénurie (en
URSS, le prix des produits de première nécessité
était gelé). La manipulation du taux d'intérêt
sous le prétexte de relancer l'investissement n'a pas de sens puisque
l'investissement sera in fine financé par l'épargne,
c'est-à-dire la partie du revenu qui n'a pas été
consommé. Or, la baisse du taux d'intérêt se fera au
détriment de l'épargne dans le même temps qu'elle
suscitera un besoin accru d'épargne pour financer les nouveaux
investissements. Ces pressions seront autant d'éléments qui
pousseront à la hausse des taux d'intérêt
artificiellement déprimés. Le prix est comme un
baromètre et on ne change pas le climat en manipulant un baromètre.
Définir
des cadres
La
science économique n'est cependant pas inutile dans la mesure
où son étude nous permet de dire aux dirigeants ce qu'il ne
faut pas faire; mais elle ne nous dit pas par là-même ce qu'il
faut faire. La science économique est utile en négatif, pour
nous aider à définir les cadres pour l'action:
c'est-à-dire les institutions favorables au développement de
l'entreprise et de l'activité. Mais la science économique peut
être dangereuse si elle prétend donner des outils d'actions aux
dirigeants eux-mêmes. Car, les décisions politiques ne peuvent
pas toujours se substituer aux décisions individuelles.
Les déclarations du style « il faut... »,
« Y'a qu'à... », «
les riches doivent... » sont autant de slogans
mobilisateurs mais ne peuvent constituer de fondements sérieux
à l'action publique. Dans ce registre-là, le village gaulois se
retrouve souvent à l'unisson pour chanter le refrain de «
l'horreur économique » et déclarer la
guerre à la « mondialisation ». À
Seattle, il y avait près de quarante ONG françaises. Les pays
pauvres réclament pourtant la fin du système de subventions
agricoles américain, européen et japonais qui constitue une
concurrence absolument déloyale pour les pays pauvres.
Mais, lorsque le président de la république française dit
qu'il faut donner un visage humain à la « mondialisation »,
il faut s'interroger sur les non-dits d'une telle proposition aux allures de
programme: est-ce à dire qu'il faut instaurer un État mondial?
Ou qu'il faut simplement corriger les effets négatifs liées à la « mondialisation »?
Mais effets négatifs pour qui et de quel point de vue? Le travail des
enfants est-il négatif pour les pays pauvres ou pour les pays riches
qui voient leur commerce extérieur menacé sur des secteurs en
particulier? Et ces effets négatifs sont-ils bien liés à
la mondialisation, devenu l'alibi bien pratique qui ne désigne plus
rien à force de désigner tout?
Le marché n'est que l'expression des choix des individus responsables
et motivés. À partir du moment où l'on refuse toute
légitimité au principe même du marché, on interdit
aux individus d'exprimer des préférences et de faire des choix,
leur ôtant progressivement la capacité de prendre des
décisions. C'est la « route de la servitude »:
lois et réglementations en tout genre se chargeront d'agir à
notre place, se substituant à notre libre arbitre. Et le
résultat est infaillible: la misère se généralise
puisque le processus de création de richesses ne fonctionne plus en
l'absence de définition claire des responsabilités.
Le maître mot est: régulons! Alors les politiciens
légifèrent sur le temps de travail, les décisions
d'épargne, la retraite ou l'éducation, etc. En France, les «
nouvelles régulations économiques »
sont en marche alors que l'État ne parvient pas à se
réguler lui-même lorsque toute entreprise de réforme du
secteur public est systématiquement stoppée. N'en
déplaise à M. José Bové, notre agriculture ne
souffre pas d'un excès de libéralisme mais de plus de trente
ans d'interventionnisme en tout genre (lobbies, subventions, quotas).
À force de régulation administrative, les producteurs en ont
oublié les aspirations du consommateur pour se contenter de
répondre aux injonctions de Bruxelles.
Ce qui est le plus choquant, c'est que la plupart des
dérèglements économiques résultant des effets de
l'interventionnisme – qui aboutissent toujours à des situations
grotesques dans lesquelles les gaspillages les plus criants côtoient
les pénuries les plus insupportables – sont imputés systématiquement
à un excès de libéralisme. Et l'on pourrait faire la
même observation pour le marché du travail où l'on
constate des pénuries de qualifications qui coexistent avec un
chômage de masse. Il est évident que lorsque tout est mis en oeuvre pour empêcher un marché de
fonctionner, l'offre ne peut rencontrer la demande. Et ceux-là
même qui sont à l'origine des textes et règlements, qui
étouffent la création d'entreprises et font fuir les innovateurs,
se donnent ensuite le beau rôle en appelant à manifester contre
le chômage et les inégalités.
Jean
Louis Caccomo
Chroniques en Liberté
Jean
Louis Caccomo est Docteur en sciences
économiques de l'université d'Aix-Marseille II et maître
de conférences à l'université de Perpignan. Il
intervient comme expert international dans de nombreux programmes de
coopération (Maroc, Algérie, Ukraine, Thaïlande, Mexique,
Syrie, Comores, Chine, Canada, USA).
Les vues présentées par Jean Louis Caccomo
sont les siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit
nécessaire de faire une mise à jour. Les articles
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