Le
billet précédent avait discuté le choix du populisme
récemment fait par le gouvernement, plus préoccupé par
son image auprès de son électorat traditionnel (les classes
populaires, les fonctionnaires et les employés proches des syndicats)
que par des réformes durables. Ce billet propose de développer
une autre dimension marquante des politiques récemment mises
en œuvre: le colbertisme.
Le
colbertisme fait référence à des politiques
économiques protectionnistes et nationalistes mises en place au
XVIIème siècle par Jean-Baptiste Colbert, puissant ministre et
contrôleur général des finances de Louis XIV, qui
s’est distingué par l’octroi de monopoles, notamment sur
la production des miroirs et des tapisseries (Les Gobelins) mais aussi sur le
commerce extérieur (Compagnie française des Indes orientales).
La
communication et les éléments de langage de l’actuel
Ministre de l’économie, l’ancien Ministre du redressement
productif, Arnaud Montebourg, semblent être centrés autour de
l’image et du nom de Colbert, qui, jusqu’à maintenant,
avait été relégué aux livres d’histoire.
Une vidéo promotionnelle
intitulée La nouvelle
France industrielle, disponible sur le
site de l’Elysée et visant à glorifier les réalisations
de l’industrie française, commence par exemple par l’image
de Colbert. En 2013, Montebourg a lancé le site Colbert
2.0 (destiné à convaincre
les PME de l'intérêt qu'elles auraient à relocaliser leur
production en France). Lorsqu’il vante devant des journalistes la
création d’une Compagnie nationale des mines de France (CMF),
encourage la participation de l’État dans le capital du
constructeur PSA, ou s’oppose au rachat d’Alstom par General
Electric (pour des raisons exclusivement patriotiques), Arnaud Montebourg n’hésite pas à
prononcer fièrement son slogan :
« Le colbertisme est de retour et c’est un
bien. »
Tandis
que le choix du colbertisme ne fait plus de doute et semble être
parfaitement assumé par le Ministre de l’économie, la
question que l’on se pose est de savoir s’il sait vraiment
à quoi il faudrait se tenir pour ressusciter au XXIème
siècle dans un pays démocratique des politiques
économiques nées sous l’Ancien Régime dans un
cadre autoritaire.
Pour
mieux comprendre la portée de ces politiques économiques, il
faut replacer le colbertisme dans le cadre d’une pensée
mercantiliste dont l’obsession majeure est la balance commerciale,
censée demeurer excédentaire pour témoigner de la
santé économique d’un pays. La raison pour laquelle les
mercantilistes mettaient l’accent sur la production nationale et
attachaient autant d’importance aux exportations, repose sur leur
interprétation des questions économiques à travers une
vision belliqueuses du monde, où les souverains agissent comme les
uniques propriétaires du territoire qu’ils contrôlent
militairement.
Ainsi,
l’on comprend mieux que ce raisonnement tient tant que les points de
vue des citoyens ne sont pas pris en compte individuellement et que le pays
reste la propriété d’une seule personne. Dès lors
que l’on s’intéresse aux préférences et
intérêts des individus et que l’on constate qu’ils
ne coïncident pas forcement avec ceux du souverain, le calcul de la
balance commerciale nationale n’a plus aucun intérêt.
Autrement
dit, si l’on se met à la place d’un entrepreneur,
employé ou citoyen, ce n’est pas l’excédent
commercial du pays, mais la balance comptable de l’entreprise pour
laquelle il travaille, qui pourrait lui permettre d’augmenter ses
revenus et son bien-être. D’un point de vue économique,
une balance commerciale excédentaire a autant de valeur pour un
citoyen patriote qu’une victoire de l’équipe de
France de football : elle peut faire plaisir aux supporteurs mais ne les
enrichit pas pour autant directement.
Le
projet d’Arnaud Montebourg consistant à protéger
l’industrie française de la concurrence internationale et de la
mettre sous la perfusion des subventions pour le simple plaisir des
électeurs nationalistes sera donc sans doute à l’origine
d’un véritable désastre économique et social.
Décider de la hauteur de la chaise de son Ministère qui doit
fusionner avec qui, et qui doit acheter quoi, sans avoir la moindre
connaissance des enjeux économiques spécifiques à chaque
marché et sans assumer les risques entrepreneuriaux découlant de
telles décisions, ne peut que donner lieu à des choix
arbitraires et contre-productifs.
Si
l’intérêt du Ministre pour l’histoire
économique s’avère être si prononcé, il
aurait sans doute beaucoup de leçons à apprendre des maints
échecs d’autres Colbert
modernes.
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