|
Suite de la première partie : L’ascension de la classe
prétorienne
Légions
et licteurs – la caste prétorienne
La
caste prétorienne comprend les membres des forces armées, le
personnel judiciaire local, régional et étatique ainsi
qu’un certain nombre d’officiels militaires ou non dont le
personnel des agences crées pour lutter contre un problème
ad-hoc (drogue, sécurité routière, anti-terrorisme, etc.),
de l’immigration, des frontières,
la police et bien d’autres. Elle comprend également, mais de
manière plus limitée, de nombreux acteurs du
théâtre qu’est celui de la sécurité, tel que
le personnel de la sécurité dans les aéroports. La
mission première de la caste prétorienne est de maintenir
l’ordre. Cela signifie exercer une pression intimidante sur la classe
économique.
Lorsque
le pouvoir de la caste prétorienne s’étend, les actions entreprises au sein de la classe
économique ne se font plus uniquement qu'avec son accord tacite. Que
vous vous déplaciez en voiture, visitiez des lieux publics, marchiez
le long d’une route, ou encore vaquiez en votre propre demeure, chaque
action que vous entreprenez est une action qui vous est permise. En
conditionnant la populace au respect de ses édits, qui au passage sont
parfaitement arbitraires, la caste prétorienne gagne un important
degré d’autonomie dans les actions qu’elle entreprend.
Ceci est confirmé par le fait que les délits commis par la
caste prétorienne ne sont que rarement sanctionnés et, dans le
cas où la sanction est inévitable, cette dernière n’est
généralement qu’une mise en spectacle grotesque consistant
en un sacrifice pour l’exemple, afin de donner l’illusion
d’un contrôle interne efficace.
Les
membres de la caste prétorienne sont typiquement recrutés parmi
la classe économique, plus particulièrement parmi le spectre
socio-économique le moins élevé, ce qui leur offre une
opportunité personnelle et professionnelle qui leur serait autrement
hors de portée. Dès le début de leur entraînement
et du processus d’endoctrination,
l’accent est mis sur le travail d’équipe et la
supériorité de l’équipe par rapport à
l’individu. Bien que la pensée indépendante ne soit jamais ouvertement
découragée, le fait est que la remise en question de
l’autorité et le manque de loyauté envers
l’équipe a pour conséquence une censure, une mise
à l’écart, voire même une expulsion. Naturellement,
la recrue apprend rapidement quel type de comportement est
récompensé, et finit par s’y adapter. Ceci forge un lien
intense et incassable entre les frères d’arme. Ce lien peut
être observé lorsque des gens présentent fièrement
leur insigne ou décoration, longtemps après avoir quitté
leur service.
Remplissant
leur rôle martial, les membres de la caste prétorienne en
arrivent rapidement à mépriser les membres de la classe
politique et à observer la classe économique avec
détachement voire même avec dédain. Le personnel du
maintien de la paix et le personnel militaire discutent derrière des
portes closes des injustices les plus épouvantables avec amusement.
Bien que cela puisse paraître immoral, leur entraînement à
la violence et à l’esprit d’équipe est la raison
fondamentale pour laquelle la caste prétorienne abandonne ses racines
et finit par traiter sa classe d’origine avec le plus grand
mépris. De la même manière, les fourberies de la classe
politique poussent les membres de la caste prétorienne à renier
leur allégeance envers leurs maitres, parfois même dès le
début de leur service.
Naturellement,
comme les membres de la caste prétorienne se considèrent
comme étant à l’écart à la fois de leurs
origines mais également de leurs maîtres, bien qu’ils
soient payés pour leur travail, un nouveau sentiment identitaire
émerge parmi eux. L’adoption de cette identité de groupe,
née de l’entraînement et du travail, définit
l’appartenance à la caste prétorienne. Certaines des
caractéristiques de ce sentiment d’identité sont les
suivantes :
- Apercevoir tout et tout le monde comme
représentant une menace. La
manière dont les membres de la caste prétorienne observent
le monde les pousse à constamment évaluer le conflit et
à se positionner par rapport à celui-ci. Même lors
d’une discussion mondaine, leur dialogue devient rapidement
étrange s’il ne demeure pas centré sur leurs devoirs
martiaux.
- Forte socialisation interne. Parce
qu’ils aperçoivent la vie à travers le spectre du
paradigme martial, les membres tendent à se socialiser entre eux.
La même chose est attendue des membres les plus proches de leur
famille, ce qui est inévitable dans la mesure où cela leur
permet de partager des expériences que les relations externes
sont simplement incapables de comprendre.
- La loyauté est le plus grand des honneurs. Que
l’on s’en réfère comme à un mur de
silence ou à une forme de fraternité, même les
transgressions les plus importantes sont tues. Si les méfaits
sont internes, c’est-à-dire d’un membre contre un
autre, justice est faite à l’échelle interne.
D’autre part, les méfaits externes sont typiquement
balayés sous le tapis, et de nombreux bâtons sont
placés dans les roues des individus extérieurs à la
recherche de vérité.
Dans
une société relativement pacifique et libre, les membres de la
caste prétorienne mènent une existence discrète. Les
militaires se déplacent entre leur lieu de vie et leur caserne, et sont
généralement invisibles des classes économique et
politique, ainsi que toute autre individu qui n’appartienne pas
à la communauté prétorienne. La participation aux
évènements culturels en uniforme est extrêmement mal vue,
si ce n’est interdite. Les militaires et
gardiens de la paix sont supposés vivre et opérer hors de la
vue des autres membres de la société, leur fonction
étant regardée avec un certain détachement voire une
subtile curiosité.
Dans
le même temps que la classe politique demande à la caste
prétorienne de faire respecter ses décisions, leur nature
martiale devient plus visible au cours de la vie de tous les jours. Il y a
plusieurs raisons à cela. La première est que cela permet
à la classe politique de démontrer sa volonté de
recourir à la force pour parvenir à ses fins, ce qui a toujours
été le cas mais est alors rendu observable par le public.
Compte tenu de la diversité du public, de nombreux honneurs sont
rendus à la caste prétorienne afin qu’elle apparaisse
comme étant le défenseur de la classe économique,
grâce à l’utilisation d’apparats et de splendeur,
selon les circonstances.
Au
fil du temps, de plus en plus d'honneurs sont accordés à la
caste prétorienne, dont un traitement préférentiel
auprès d’institutions publiques comme privées. Ils
disposent de prix préférentiels pour leurs déplacements en
train ou en avion, et les embarquements privilégiés sont il y a
peu entrés en vigueur aux Etats Unis par exemple comme avantage
différenciant la caste prétorienne de la masse des citoyens.
Un
autre changement de taille est l’apparence physique des membres de la
caste prétorienne. La transition depuis un uniforme passant
aisément inaperçu vers un uniforme de combat en est l’un
des exemples. Ces uniformes de combat renforcent la position de la caste
prétorienne comme protectrice de l’ordre public,
véhiculent un message de dominance physique, et établissent un
sentiment minime, bien qu’ambiant, de peur parmi la populace. On parle
parfois de militarisation des forces de police. Le terme militarisation
réfère traditionnellement à l’armement croissant
des forces de police. On oublie souvent de noter l’impact psychologique
de cette présence armée sur la population civile –
agrandissant encore plus le fossé entre la classe économique et
la caste prétorienne.
Alors
que l’influence de la caste prétorienne s’accroît,
les ressources qu’elle consomme augmentent. Ceci se manifeste par
l’amélioration constante des équipements,
l’augmentation des budgets d’entraînement et
l’augmentation de la population militaire. Ceci a bien entendu le
bénéfice auxiliaire de diriger les ressources vers les
producteurs d’équipement et de service privilégiés
par la classe politique, bénéfice qui dans certains cas peut en
être la cause première.
Le
besoin de maintenir la caste prétorienne en marche est bien entendu un
fait moins évident. Un prétorien qui s’ennuie est une
créature dangereuse qui ne tardera pas avant de partir à la
recherche de nouvelles choses à faire. Afin de maintenir la caste
prétorienne engagée, la classe politique doit lui fournir une
source continue d’adversaires, qui bien entendu se défendent vigoureusement.
En ‘temps de paix’, ceci est remplacé par
l’entraînement et la remémoration de victoires
passées.
Alors
que la caste prétorienne apparaît comme une nouvelle
entité propre, avec une allégeance portée uniquement aux
membres de cette même classe, les plus anciens membres
prétoriens sont souvent invités à intégrer la
classe politique. Avant cela, ils sont bien entendu
‘testés’ pour leurs aptitudes, puis sont
façonnés. Considérez la longue liste d’officiers
et de chefs de police étant entrés dans les rangs de
l’élite politique. C’est un phénomène
à retenir. La classe prétorienne obtient le support de la
classe politique, qu’elle a durant longtemps méprisé. Les
chefs de police métropolitains, les avocats judiciaires…, tous
sont testés pour leur éventuelle compatibilité
politique, et non pour leurs convictions ou leurs capacités.
A suivre
|
|